▪ En tant qu’investisseur, bien vendre est la chose la plus difficile à faire. A mon avis, personne n’y parvient de façon constante, y compris les grands investisseurs — passés et présents — que j’ai pu étudier. Tout le monde a un jour vendu une valeur juste avant de la voir monter plus haut. Et tout le monde s’est obstiné à garder à un titre pour finalement voir de gros bénéfices lui passer sous le nez.
N’oublions pas qu’il n’est pas recommandé de garder des titres coûte que coûte. Le célèbre investisseur Thomas Phelps écrit : « mon conseil d’acheter à bon escient et de garder a pour objectif d’empêcher l’activité improductive, et non de recommander de mettre les titres de côté et de les oublier ».
Mais qu’en est-il des bénéfices partiels ? Dans ma lettre, Capital & Crisis, je ne conseille pas de vendre systématiquement la moitié de la position lorsqu’elle double. Je suis de toute façon contre les règles mécaniques, quelles qu’elles soient. Je préfère utiliser mon jugement. Lorsqu’une action est pleinement valorisée ou presque, j’ai tendance à la vendre — ou du moins une partie. C’est souvent le cas après un doublement rapide. Si elle reste sous-valorisée, j’ai tendance à la garder.
D’autres grands investisseurs suivent cette même approche. Ainsi, le regretté Peter Cundill vendait systématiquement la moitié de sa position après doublement. Je vous conseille l’ouvrage de Christopher Risso-Gill There’s Always Something to Do: The Peter Cundill Investment Approach [« Il y a toujours quelque chose à faire : la méthode d’investissement de Peter Cundill », NDLR.]. Dans ce livre, il nous raconte comment Cundill a acheté Tiffany & Co. pour 11 $ et l’a revendu lorsque le titre a atteint sa valorisation estimée (19 $ par action) au bout d’un an. Le problème est que six mois plus tard, l’action était à 50 $. Comme le raconte Risso-Gill :
« Ce résultat a soulevé d’interminables discussions parmi les membres du conseil d’administration de Cundill Value Fund sur la manière de résoudre le problème du moment opportun de vendre. Peter lui-même n’avait aucune proposition ou formule totalement satisfaisante. Finalement, la solution s’avéra tenir du compromis. Le fonds vendrait automatiquement la moitié d’une position dès qu’elle aura doublé, ce qui revenait à avoir un coût nul pour les actions restantes. Par la suite, c’était au gestionnaire de portefeuille de décider quand vendre le reste de la position ».
Plus tard, Cundill expliqua : « lorsqu’une action double, vendez-en la moitié — vous obtenez alors une position libre. La suite s’apparente plus à de l’art. Savoir quand vendre dépend des circonstances ». Je pense que c’est là une démarche raisonnable qui permet de louvoyer entre peur et cupidité, entre risque et récompense. Je ne pense pas que de telles décisions devraient être automatiques mais vous devriez songer à vendre lorsque les valorisations sont atteintes à 100%.
▪ L’exemple TAREF
On peut trouver un bon exemple d’échec de vente sur une tout ou partie d’une action qui a atteint sa valorisation dans la dernière lettre trimestrielle du fonds Third Avenue Real Estate Fund (TAREF), géré par Michael Winer et Jason Wolf. Ce document est très intéressant et l’attitude des gérants, qui ont admis et discuté de leur erreur, attire le respect. TAREF possédait une grosse position dans Forest City Enterprises. C’était un investissement qui a beaucoup rapporté au fonds : durant les 10 années qui ont précédé le 30 septembre 2008, Forest City a offert un rendement annualisé de 16,7%.
Toutefois, au cours des trois années suivantes, jusqu’au 30 septembre 2011, l’action a généré une perte annualisée de 29,4% ! Messieurs Winer et Wolf ont écrit : « après 10 années au cours desquelles nous avons offert à nos actionnaires des rendements stratosphériques, la plupart de ces rendements ont été reperdus… Qu’est-il donc arrivé ? »
Beaucoup de choses ont changé dans l’entreprise au cours de cette période, comme vous pouvez l’imaginer, et cela a donné lieu à beaucoup de discussions. Mais Winer et Wolf ont conclu qu’ils avaient commis une erreur en ne réduisant pas la position en 2006 et 2007. « L’action avait atteint des plus hauts record et il devint plus difficile de justifier le prix de l’action sans distendre nos estimations de valorisation ».
A la suite de cette expérience, ils ont adopté une démarche différente. Ils décidèrent de se montrer « plus proactifs pour réduire et/ou éliminer les positions en fonction de l’estimation de prix ou de réallouer sur les titres présentant des variations plus intéressantes ».
Winer et Wolf résument :
« Ces ajustements proactifs de portefeuille ne représentent pas un changement essentiel de notre méthode d’analyse des entreprises et du prix de leurs titres ; cela ne signifie pas non plus que nous nous sommes à présent engagés dans le ‘timing de marché’. Nous décidons de quand entrer et sortir de nos positions en nous basant sur des valorisations fondamentales, pas sur des attentes de mouvements de prix des marchés ».
A mon avis, c’est très juste. C’est essentiellement ainsi que je considère ce problème, comme nous le verrons ensemble lundi.
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[…] ▪ En tant qu’investisseur, bien acheter est essentiel… mais bien vendre est peut-être encore plus important, comme nous le voyions vendredi. […]