▪ Les médias ont vite enterré le débat concernant de la décision de la Fed qui avance de 48 heures la publication des stress tests, tellement la hausse des indices démontrait que « quelque chose avait fuité ». Nous sommes donc noyé sous un déluge de chiffres emblématiques dont nous vous faisons grâce, tant ils ont été déclinés sur toutes les polices de caractères… jusqu’à la saturation !
La ficelle est certes grosse mais comment résister ?… Il est tellement plus agréable d’égrener des listes de records que de s’étendre sur le fort soupçon de délit d’initié (concernant le secteur bancaire). C’est d’ailleurs ce dernier qui a justement propulsé les indices américains vers des niveaux qui n’ont plus été approchés depuis juin 2008 ou même décembre 2007.
La flambée tardive de Wall Street avait permis mardi soir de coiffer les places européennes au poteau (1,8% pour le S&P contre 1,7% pour l’Euro-Stoxx 50). Mais les indices américains ont reperdu de l’altitude après la publication d’un communiqué de la Fed sans le moindre élément nouveau.
▪ La Fed siffle la fin de la récré
Affichant +0,8% à une heure de la clôture, le Dow Jones et le S&P 500 ont explosé à la hausse (+1% supplémentaire) en découvrant vers 20h05 l’annonce du projet de rachat de 15 milliards de dollars de ses propres titres par J.P. Morgan. Cette annonce a aussitôt été suivie de l’envol de Bank of America.
La Fed évoque pudiquement la circulation de rumeurs pour justifier la divulgation des stress tests immédiatement après la clôture mardi soir. Mais tous les observateurs ont bien compris qu’elle avait choisi de siffler prématurément la fin de la récré, afin que les fuites et autres bruits de couloirs ne profitent pas qu’aux seuls initiés d’ici ce jeudi.
Bien entendu, lors de la reprise des cotations en Europe mercredi matin, il n’y en avait que pour le Nasdaq à 3 000 et l’espoir de voir le S&P tester les 3 400 points (zénith du 5 juin 2008) dès ce mercredi.
La décision hors norme de la Fed n’a même pas été évoquée. Les commentateurs se sont bornés à rappeler qu’une majorité des 20 plus grosses institutions financières des Etats-Unis (en fait 15 sur 19) avaient satisfait aux critères de capitaux exigés.
De beaux chiffres symboliques (gonflés à l’hélium), voilà ce dont veulent entendre parler « les gens » cette année après un second semestre 2011 calamiteux, déclarent en choeur les vendeurs d’actions et les stratèges qui souhaitent attirer les clients vers la Bourse.
Il ne faut pas stresser les épargnants avec les événements anxiogènes, les statistiques qui fâchent ou les pratiques douteuses de certains cadors de Wall Street.
Mais pas de chance ! Au lendemain même d’une séance bien singulière à Wall Street, un long article publié en tribune dans le New York Times fait l’effet d’une véritable bombe.
▪ Une démission d’un dirigeant de Goldman Sachs fait l’effet d’une bombe
Un haut dirigeant de Goldman Sachs (en charge des produits dérivés) démissionne avec un fracas médiatique qui n’a, semble t-il, aucun précédent dans l’histoire de la banque la plus controversée (sinon la plus haïe) de Wall Street.
L’article de Matt Taibbi intitulé « Goldman Sachs, la machine à bulles », publié dans l’hebdomadaire Rolling Stone en juillet 2009, avait déjà fait grand bruit. Il révélait que la firme avait parié contre ses propres produits structurés sur le marché des dérivés de crédit.
L’éclatement de la bulle des subprime et le dépôt d’une série de plaintes pour pratiques déloyales avait grandement écorné l’image de la firme « dévouée à ses clients ».
Ce mythe avait déjà du plomb dans l’aile depuis l’introduction à prix d’or de « daubes » (selon l’expression même des salariés de Goldman Sachs sur le Nasdaq en 1999/2000). Par « daubes », nous entendons des entreprises zombie qui ont majoritairement fait faillite et ont ruiné les souscripteurs, tandis que leurs dirigeants et Goldman Sachs se partageaient les fruits des IPO (émissions d’actions à prix ouverts, les cours étant systématiquement boostés à la première cotation).
Une nouvelle étape dans le déboulonnage du piédestal vient d’être franchie avec la tribune au vitriol de Greg Smith qui « balance » sur Goldman Sachs — vous avez remarqué, les initiales « GS » sont les mêmes ! Il égratigne également le patron, Lloyd Blankfein, ainsi que le numéro deux, Gary Cohn, avec une abondance de détails et d’anecdotes qui laissent le lecteur pantois.
Il dénonce une culture « toxique et destructive » de l’avidité, qui foule au pied tous les principes éthiques, des pratiques contraires aux intérêts des clients… eux-mêmes qualifiés de muppets (marionnettes, NDLR). Il y en comme cela a trois pleines pages, inspirées de ses 12 ans de carrière au service de la firme — et que vous pouvez lire en intégralité au début de cette Chronique, traduites par nos soins.
Les beaux esprits ne manqueront pas de souligner qu’il s’est accommodé durant 12 ans de ces mauvaises pratiques qui l’ont enrichi… jusqu’à ce qu’une forte baisse des bonus versés début 2012 coïncide avec sa démission à grand spectacle.
Petits bonus, grands effets ?
▪ Les anciens de GS retrouvent vite du travail dans les hautes sphères
De quoi cependant jeter une ombre sur de puissants personnages ayant dopé leur CV par l’exercice de hautes fonctions chez GS. Cela les a souvent conduits à des postes de conseillers spéciaux du président (à la Maison Blanche), de secrétaire américain au Trésor, de membres influents de la Fed ou encore de patron de la BCE.
Quelques heures plus tard, c’est le très respecté Paul Volcker — le prédécesseur d’Alan Greenspan, devenu en 2001 conseiller spécial de Barck Obama à la Maison Blanche — qui déclare que le changement de statut de Goldman Sachs en société cotée puis en banque à l’automne 2008 l’a amené à « développer une mentalité conduisant à de nombreux conflits d’intérêt à l’encontre de sa clientèle.
Lui aussi sait de quoi il parle puisqu’il a supervisé pendant des années GS en tant que patron de la Fed. Voilà qui ne va pas manquer de relancer le débat concernant le rôle de certaines puissantes banques d’affaires de Wall Street dans la crise systémique de 2008.
▪ Malgré des déclarations fracassantes, les indices américains continuent à faire bonne figure
Pas de quoi émouvoir les marchés américains ni même empêcher le Nasdaq d’inscrire (à la toute dernière minute) une septième séance de hausse consécutive, grâce à un ultime coup de reins salvateur qui lui permet d’afficher 0,03% au final.
Le S&P 500, en revanche, s’effrite de 0,12% mais les optimistes observent que le Dow Jones affiche 0,13%, de quoi faire taire les pessimistes.
Chacun des deux camps verra midi à sa porte mais cette séance s’est surtout caractérisée par une volatilité extrêmement faible — à peine 0,4% entre les extrêmes du jour — et une remontée marginale de l’aversion au risque avec un VIX qui grimpe de 3,5% à 15,3.
Un tel score traduit cependant un degré de confiance exceptionnellement élevé de la part des investisseurs puisque ce niveau de 15 équivaut au plancher historique testé lors des précédents sommets majeurs de juin 2007, avril 2010 et mai 2011.
Que les permabulls ne se réjouissent pas trop vite, le test des 15 a toujours précédé une correction d’au moins 15% dans les trois mois qui ont suivi ces cinq dernières années.