** Il n’y avait vraiment pas suffisamment de bonnes surprises à monter en épingle vendredi dernier pour entretenir la spirale haussière amorcée il y a 10 jours. Il aurait pourtant suffi que les trimestriels de Microsoft soient simplement conformes aux prévisions et le tour était joué.
En effet, la sévère chute du moral des ménages américains — un chiffre qui vide de sa substance le discours euphorique dominant — a été passée par pertes et profits dès sa parution.
Les places boursières ont donc entamé à contrecoeur une petite phase de consolidation ce vendredi. Cela a d’ailleurs été bien timide puisque le CAC 40 n’a lâché que 0,22% tandis que l’Eurotop 100 ou l’Euro-Stoxx 50 ne s’effritaient que 0,1%. Battant un nouveau record mensuel en début de matinée, Paris, qui consolidait légèrement à 90 minutes de la clôture, a bien failli inscrire un "10 sur 10".
Le CAC 40 doit se contenter d’aligner neuf séances de hausse consécutives. Un nouveau plus haut intraday a toutefois été établi à 3 408 points — à 0,5% du record annuel des 3 426 points du 6 janvier. C’est un élément technique positif ; le soulèvement de la résistance des 3 400 points montre que l’indice a encore de l’énergie ascensionnelle en réserve… C’est tout du moins ce que postule la théorie chartiste, mais les comportements des (gros) spéculateurs évoluent plus vite que les manuels.
Le principe du toujours plus ne fonctionne que dans un vrai marché, où le déséquilibre des force se joue à la marge. De toute évidence, la composante "psychologie des opérateurs" est marginalisée par la puissance, désormais sans partage, de l’outil informatique.
La psychologie ne constitue tout au plus qu’un alibi, la confiance apparente un simple prétexte, pour ce qui s’apparente de plus en plus à de la manipulation de cours pure et simple.
** Il y a une version politiquement correcte à la phrase qui précède : l’environnement boursier évolue, la puissance des machines (rien de péjoratif dans ce vocable, compte tenu de leur sophistication prodigieuse) constitue un simple auxiliaire permettant d’anticiper puis de profiter au maximum d’une tendance, par nature éphémère.
La réalité est toute autre. Loin de suivre passivement le cours des choses, les logiciels quantiques en sont devenus les architectes. Ils construisent littéralement un canal directionnel durable mais totalement déconnecté de la réalité économique. Bien entendu, il y a toujours l’excuse de marchés qui ne se nourrissent que d’anticipations… et certains sont ravis d’y croire encore.
Mais sans l’outil informatique et la saturation des carnets d’ordres, nous ne pourrions assister à une envolée de 14% s’accompagnant d’une contraction des volumes — auxquelles viennent s’ajouter des échanges réels réduits à leur plus simple expression et qui ne traduisent en aucun cas l’afflux d’investisseurs que la hausse aurait rendu plus confiants.
Si l’entretien d’une telle spirale haussière à un but (simple supposition), ce n’est pas d’attirer des acheteurs stables : ils se positionnent plus volontiers sur des respirations du marché.
Le déclenchement de stops (à l’achat cette fois-ci) peut en revanche motiver une clientèle spéculative. Même s’il s’agit précisément de celle qui a été laminée il y a 15 jours après la validation, incontestable du point de vue technique, d’une "épaule/tête/épaule" baissière sous 3 100 points.
Contrairement au DAX 30, au S&P ou au Nasdaq, le CAC 40 n’a pas encore validé le franchissement d’une résistance majeure comme les 3 400 points. Il reste même coiffé par la grande résistance oblique long terme qui unit les sommets de décembre 2007 et mai 2008.
Mieux vaut attendre prudemment que le zénith annuel des 3 425 points soit franchi pour valider la "tête/épaules inversée" qui propulserait le CAC 40 vers les 4 000. Beaucoup (trop) de monde l’a identifiée ; la tentation pourrait être très forte de s’appuyer sur de piètres indicateurs économiques et trimestriels (systématiquement jetés aux oubliettes depuis le 9 juillet) pour justifier une correction tout aussi brutale que la hausse l’ayant précédée.
** Les investisseurs ne croient pas à un tel scénario. D’ailleurs, les indices américains, en recul de 1% initialement, revenaient à l’équilibre à la mi-séance vendredi soir.
La chute de 9% de Microsoft était prévisible, celle de 3,5% d’AMEX ou de 8% d’Amazon également… Cependant, compte tenu de l’envolée de jeudi, ces chutes restaient largement indolores en terme performance hebdomadaire (+3,5% pour le Dow Jones ou le S&P).
Dans ces conditions, il n’y a pas de raison d’établir un parallèle entre la chute inattendue de 0,8% du PIB britannique (soit -5,7% en rythme annuel) et l’absence de signes de reprise aux Etats-Unis. Londres a d’ailleurs terminé dans le vert et se retrouvait créditée de la note maximum de 10 sur 10 évoquée en préambule.
L’euphorie apparente des investisseurs a été à peine entamée par la publication d’un indice de confiance du Michigan en nette baisse à 66 en juillet (70,8 en juin). Voilà un chiffre qui s’inscrit complètement à contre courant de la foi inoxydable affichée par Wall Street dans la résilience des ménages américains confrontés au chômage et au fardeau du surendettement.
Mais l’imposture intellectuelle consistant à faire croire que des trimestriels "moins pire que prévus" sont annonciateurs d’une embellie réelle ne prend pas. Chacun se rend bien compte en effet qu’en dehors de Goldman Sachs et JP Morgan, les profits chutent et les chiffres d’affaires dégringolent. Quant aux postes salariés, ils sont ajustés en fonction de l’effet recherché sur l’opinion des analystes — la plupart affectionnant les programmes de réductions de coûts et les sacrifices demandés aux employés.
C’est Serge Tchuruk (l’ex-PDG d’Alcatel-Lucent) qui avait le mieux brossé le portrait de l’entreprise cotée telle que la rêve Wall Street : une société sans usine et sans salariés, gérant des brevets et sous-traitant la fabrication du matériel technique dans les pays émergents, payant des impôts symboliques dans une myriade de paradis fiscaux… et empruntant au besoin de l’argent pour réduire le nombre de titres en circulation afin d’augmenter le revenu par actionnaire.
Un tel rêve est partagé par beaucoup de PDG rémunérés en stock options et au bonus. Vous devinez aisément quelle est leur priorité en cette période de dépression… Car leur but n’est pas de maintenir le maximum d’effectifs au travail afin d’éviter que la consommation ne s’effondre lorsque le catéchisme des "jeunes pousses" apparaîtra aussi mensonger que le mythe de l’innocuité des subprime, de Goldilocks ou de la Nouvelle Economie.
Philippe Béchade,
Paris