Vendredi après-midi, j’étais à l’antenne sur BFM Business lorsqu’une source officielle proche de l’Elysée a informé à 16h15 une agence de presse tricolore que la France venait d’être avisée de la décision de Standard & Poor’s de priver la France de son Triple A. Nous avions tous eu connaissance, naturellement, de la fuite publiée par une agence de presse concurrente en début d’après-midi.
Mais quel scoop ! Quel choc psychologique ! Quels moments terribles !
Autour du studio, la plupart des journalistes couraient dans tous les sens en poussant des cris et en s’arrachant les cheveux ; d’autres au contraire se jetaient à plat ventre sur le sol, les mains sur la tête en signe de prostration. J’ai assisté en direct à des scènes de détresse collective comparables à l’annonce de la disparition d’un dictateur nord-coréen !
Pardonnez-moi cette pantalonnade. Mais si on ne peut plus plaisanter avec ce genre de non-événement — rappelez-vous du vrai faux communiqué de Standard & Poor’s du 10 novembre dernier qui annonçait déjà la perte du AAA — on ne peut plus rire de rien !
▪ La perte du Triple A : un non-événement à relativiser
Il faut relativiser… parce que de la panique et du drame, du vrai de vrai, il s’en produisait le soir même au large de la Toscane avec le naufrage du Costa Concordia, un navire de croisière hébergeant à son bord deux fois plus de passagers et de membres d’équipage que le Titanic (qui sombra il y a très exactement 99 ans et trois mois).
Le basculement meurtrier du Concordia a été provoqué par une grosse voie d’eau sur le flanc gauche du navire à cause d’un récif affleurant. Si l’ordre d’évacuation avait été donné immédiatement après le choc, la totalité des passagers aurait probablement eu le temps d’être installée dans les canots de sauvetage, même si le navire commençait à gîter.
La côte étant proche de 50 mètres, la mer calme et les températures clémentes, le bilan de la catastrophe aurait pu se limiter à quelques entorses et quelques contusions. En l’occurrence, il est permis de parler d’effet de surprise, d’impréparation des acteurs du drame et de panique lors du basculement à 90 degrés survenu 40 minutes (une éternité) après l’avarie.
Alors les commentaires publiés quelques heures auparavant présentant la perte du Triple A de la France comme une « épreuve, une catastrophe » me font sourire, si l’on peut dire…
Comme j’étais en direct et que le journaliste n’avait que moi sous la main pour recueillir une réaction à chaud, je me suis empressé de rejeter toute forme de sensationnalisme. Ton qui a en revanche été choisi par CNN ou encore CNBC, qui affichaient des breaking news en caractères géants, comme si une météorite géante venait de surgir de derrière la Lune.
▪ Une « menace » déjà dans les cours
Je rappelle que les marchés avaient déjà acté la dégradation de S&P depuis fin octobre et surtout mi-novembre. En effet, l’écart de rendement entre les Bunds allemands et les OAT naviguait entre 120 et 190 points de base depuis deux mois — illustrant le fait qu’il existe des Triple A qui sont plus égaux que d’autres.
Je n’ai pas manqué d’observer qu’avec un repli de 1% des actions quelques minutes après la « nouvelle », le bilan de la semaine à la Bourse de Paris restait largement supérieur à 1%.
En ce qui concerne la chute (pour le coup assez brutale) de l’euro sous les 1,27 puis les 1,2650, j’affirmai qu’il ne se trouverait pas grand monde pour la déplorer.
▪ La France : un bouc émissaire ?
Je m’étonne au passage que les dépêches ne fassent pas état de perspectives de dégradation pour d’autres pays de la Zone euro. En effet, certains ont une situation budgétaire qui n’est certainement pas plus brillante que celle de la France — dont les médias anglo-saxons ont semblé pendant quelques minutes faire le centre du monde.
Standard & Poor’s a rapidement remis tout le monde d’accord et la France à sa place puisque pas moins de neuf pays ont vu leur note lourdement dégradée, et pas d’un seul cran comme s’est empressé de le souligner notre ministre de l’Economie.
Vouloir nous faire avaler que ce n’est pas la France qui est visée mais qu’elle est au contraire « une victime collatérale du manque de gouvernance de la Zone euro » est en revanche un peu gros. La notation de l’Allemagne est maintenue et la perspective reste à « stable », contre « négative » pour la France (même après dégradation).
C’est bien la preuve que la situation économique de notre beau pays inspire quelques craintes intrinsèques et non d’ordre général. Mais ce constat ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes à double-battant par les spécialistes des marchés de taux depuis le milieu de l’automne.
Je n’aurais pas manqué de manifester beaucoup plus d’inquiétude (mais ce sont les aléas du direct) si les dépêches circulant de Paris à Wall Street ne s’étaient pas focalisées que sur la sanction touchant la France. Tous les pays situés au sud des Alpes ou des Pyrénées (ce qui inclut Chypre) voient leur note abaissée de deux crans.
▪ Le FESF va mal
Voilà qui risque de porter un coup fatal au FESF dont trois (mais en pratique un seul compte vraiment) contributeurs conservent leur AAA, tandis que les pays demandeurs de prêt voient leur signature sévèrement affaiblie. C’est cet effet ciseau qui pose un sérieux problème — non les blessures d’orgueil de la France qui savait depuis longtemps à quoi s’en tenir, sinon pourquoi lui fallait-il payer plus de 3% pour se refinancer à 10 ans ?
Les prochaines émissions de l’Espagne et de l’Italie risquent de se compliquer sérieusement, et ne parlons pas de la Grèce !
Difficile de ne pas se demander pourquoi le capitaine du paquebot Europe — qui a clairement fait savoir qu’il est allemand — fonce depuis des mois vers récif de la dette, sans ralentir sa course ni dévier sa route.
Espérons que l’avertissement de S&P (qui vient de tirer le signal d’alarme) relancera le débat sur un renforcement des moyens financiers du FESF et de son successeur désigné, le MES, malgré l’opposition germanique.
Un haut dirigeant européen qui a souhaité garder l’anonymat considère que la seule avancée concrète de la fin de l’année 2011, c’est le traité instituant l’adoption de la Règle d’Or et l’automaticité des sanctions contre les pays qui ne la respecteraient pas.
Cette histoire de traité est insensée, ajoute-t-il : la chancelière allemande Angela Merkel l’exige non pas pour sauver l’Europe, mais pour donner des gages à son opinion et à sa majorité parlementaire qui, sans cela, s’opposerait à l’élan de solidarité souhaité par la France et Bruxelles en faveur des pays les plus fragiles.
Olli Rehn lui-même, ainsi que de nombreux membres de la Commission européenne, jugent les exigences allemandes superflues puisqu’il suffirait simplement de mettre en oeuvre les dispositions déjà existantes.
La priorité du moment devrait être le renforcement du FESF ou du MES, alors que les créanciers ne se bousculent pas pour lui avancer des fonds depuis le mois d’août 2011.
▪ La France sanctionnée à cause de l’immobilisme européen
C’est très précisément le manque chronique de mesures visant à muscler les fonds de secours qui inquiète Standard and Poor’s, dans l’hypothèse d’une poursuite de la crise de la dette.
Instaurer plus de discipline budgétaire n’aura aucun effet mécanique en ce qui concerne les déséquilibres macroéconomiques et les écarts de compétitivité. L’Espagne ne sera jamais l’Allemagne, la Catalogne ne sera jamais la Ruhr ou la Bavière, même si les populations de ces régions respectives affichent la même rigueur et le même amour du travail bien fait.
M. Mélenchon aura beau de faire le siège de Standard & Poor’s, certains députés UMP auront beau traiter les agences de notation d’ayatollahs, les problèmes structurels qu’ils invoquent n’en sont pas moins pertinents.
Les agences ne deviendront cependant crédibles que le jour où elles manifesteront la même sévérité et la même intransigeance avec l’Angleterre et les Etats-Unis. Rappelons que ces derniers sont l’un et l’autre en faillite potentielle — et ce depuis l’éclatement de la bulle immobilière début 2007.
▪ Problème grec : un alibi pour les mouvements du CAC 40
Le problème le plus immédiat auquel seront confrontées les places européennes en ce début de semaine ne se situe peut-être pas au niveau de la consolidation symbolique de Wall Street (après six séances de hausse consécutives), ni au niveau du downgrade très médiatisé de 9 pays européens sur 17, mais bien du côté de la Grèce. Elle a essuyé vendredi un échec des négociations avec les créanciers privés.
Ces derniers viennent de claquer la porte des négociations. Ils refusent de rouler leurs positions si les emprunts longs émis par la Grèce ne sont pas rémunérés au minimum à 5%.
Or Athènes ne leur propose que 4%… c’est-à-dire le même niveau que celui obtenu par la France début janvier lors de l’émission des OAT 2042.
Les vendeurs pourraient donc disposer d’une excellente excuse pour ramener le CAC 40 au contact des 3 100 points, même si le sursaut de l’indice phare vendredi au cours de la dernière heure de cotation semblait caractériser une volonté de jouer les prolongations à la hausse. Les suiveurs systématiques (qui pratiquent la réplication indicielle) ont d’ailleurs accompagné sans état d’âme, après avoir jeté les bancaires par-dessus bord avec la même opiniâtreté entre 16h et 16h30.
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[…] Béchade était dans les bureaux de BFM lors de l’annonce de la perte du AAA. Si vous voulez lire l’analyse qu’il a pu en faire en direct, c’est par ici ! AKPC_IDS += […]