** Rien n’est plus riche d’enseignement qu’une réponse à une question qu’on n’a pas posée ou qu’une initiative prise dans l’urgence alors qu’elle n’a pas été sollicitée. Le remboursement anticipé des sommes empruntées au TARP (troubled assets relief program) par les banques américaines appartient à cette seconde catégorie.
Nous vous l’avions annoncé dès jeudi dernier sans en connaître les détails, nous en savons un peu plus depuis ce mercredi : US Bancorp et BB&T sont les deux premières à s’être acquittées de leur dette (6,6 milliards et 4,8 milliards de dollars respectivement). Huit autres grands établissements autorisés à restituer les aides publiques ne devraient pas tarder à les imiter.
La banque Goldman Sachs devrait être la prochaine à faire un chèque (de 10 milliards de dollars), suivie de près par Morgan Stanley et American Express (pour un montant de 3,4 milliards). Ce sera ensuite au tour de JP Morgan Chase — et ce sera du lourd… puisque 25 milliards de dollars avaient été puisés dans le TARP.
Nous allons également surveiller les versements de State Street puis ceux de Bank of New York/Mellon, Capital One Financial et Northern Trust qui verseront collectivement plus de 18 milliards de dollars d’ici la mi-juillet (ou même avant).
Ah, si seulement les banques concernées mettaient autant d’empressement à prêter de l’argent aux clients qui en ont un réel besoin qu’à rembourser le Trésor américain qui ne leur a rien demandé (et qui ne fait pas partie des créanciers les plus à cran) !
Certes, les 10 établissements de crédit qui s’étaient vu imposer une recapitalisation lors du stress test ont démontré leur capacité à lever des fonds privés sans le soutien de la Federal Deposit Insurance Corp (FDIC) mais cela ne signifie pas que l’exercice puisse être répété à volonté.
Que l’annonce d’une vague de nouveaux sinistres survienne sur les cartes de crédit ou les prêts immobiliers : nous verrons bien si les marchés des capitaux se montrent toujours aussi friands du genre d’émissions de titres ou d’emprunts placées à la volée dans un climat d’euphorie boursière… Cette dernière ne reposant que sur une intense campagne médiatique destinée à imposer le concept — bien de saison — de l’éclosion des green shoots (pousses vertes symbolisant des bourgeons de croissance).
** En Zone euro, les indicateurs économiques restent affligeants. La production s’effondre de 21,6% en un an et les espoirs placés dans le miracle chinois pourraient bien être douchés par une situation sociale particulièrement délétère dans l’empire du Milieu. En Chine, la hausse de la consommation ne repose au mieux que sur le premier tiers le plus riche de la population ; les deux autres tiers subissent de plein fouet les affres de la récession… Et si la production augmente de 9% en rythme annuel, ce n’est pas si considérable compte tenu de l’ampleur du plan de relance annoncé fin 2008 — et qui n’est au mieux qu’un moteur économique auxiliaire, à usage strictement interne.
Le moteur principal de la croissance chinoise, c’est depuis une demi-douzaine d’années le commerce extérieur… or celui-ci continue de se dégrader fortement. En mai, les exportations du pays se sont contractées pour le septième mois consécutif, à -26,5% en rythme annuel.
Le principal client de la Chine, vous devez vous en douter un peu, c’est l’Allemagne, qui ne va pas fort. Le deuxième, c’est le Japon : les exportations de machines outils nippones s’effondrent de 77% sur un an… et devinez qui était le premier acheteur ! Quant au troisième, c’est la Californie, devant la France, la Grande-Bretagne ou l’Italie.
** La Californie offre au visiteur un véritable spectacle de désolation : dans certaines banlieues un peu éloignées de Los Angeles, San Francisco ou Santa Clara, 30% des maisons sont à vendre ; la plupart d’entre elles ont perdu plus de 50% de leur valeur par rapport à fin 2006.
Les centres commerciaux sont désertés par les consommateurs — Circuit City a fait faillite au début de l’année. Une boutique sur trois a fermé ses portes ces 18 derniers mois dans les galeries commerciales, y compris ceux implantés près de Palo Alto ou Sausalito, le coeur le plus huppé de la Sillicon Valley.
Trois agences immobilières sur quatre ont déposé le bilan à Sacramento (la capitale de l’état)… et le carnage n’est pas près de se ralentir : plus de 40% des transactions recensées le mois dernier concernaient des ventes aux enchères qui ne génèrent pas un dollar de chiffre d’affaires pour les spécialistes de l’immobilier californien.
** Mais Wall Street ne s’encombre pas de ce genre de petites anecdotes qui minent le moral et ne s’intéresse qu’aux "tendances" — autrement dit à l’opinion économique des experts de la Fed, du FMI, de l’OCDE… puis à celle des simples citoyens américains, pour vérifier que l’on a bien réussi à leur faire croire qu’ils avaient chaud alors qu’ils claquent des dents.
N’oubliez pas que le meilleur moyen de faire fortune grâce à une tendance, c’est de la créer de toutes pièces. Wall Street s’y est employé avec zèle en brossant un portrait de la réalité qui fait l’impasse sur toutes les zones sombres : le résultat est si brillant qu’il en est devenu aveuglant ces dernières semaines.
Pour des yeux qui ne sont plus habitués à l’obscurité des forces qui tirent l’économie américaine vers le bas, difficile de se forger une idée juste de la situation. Cependant, nous ne doutons pas que ceux qui ont manié le fer à souder de la hausse depuis trois mois ont utilisé des masques de protection adéquats.
** Ceux-là y voient sûrement très clair… C’est de leur côté qu’il faut rechercher les vendeurs qui ont ramené Paris pas moins de 7,5% en deçà de ses sommets du 2 juin dernier (3 400 points). Le CAC 40 a testé les 3 137 points en séance ce mercredi 17 juin : c’était la quatrième séance de repli consécutif pour une perte cumulée de -5%… et l’année 2009 devient négative de 1,8%.
L’actualité du jour et les statistiques publiées de part et d’autre de l’Atlantique n’expliquent pas le lourd repli des indices européens (-1,8% après -0,5% mardi et -3% lundi). En revanche, les investisseurs ayant engrangé plus de 50% sur les valeurs cycliques et même parfois bien plus de 100% sur les bancaires n’hésitent plus à matérialiser de copieux bénéfices.
Le marché apparaît soudain survalorisé dans la mesure où les économistes disent ne pas s’attendre à un redressement rapide de la croissance en 2009, ni aux Etats-Unis, ni en Europe.
Tout est affaire de ressenti, et la peur rebascule du côté des derniers entrants sur le marché. Les statistiques n’ont pas joué un grand rôle dans la correction indicielle du jour, les marchés n’ayant guère réagi (sur le coup) aux chiffres des prix à la consommation aux Etats-Unis.
L’inflation s’élève à seulement 0,1% en mai et elle affiche un repli de 1,3% en rythme annuel (du jamais vu depuis 1950). Elle aurait même pu ressortir une nouvelle fois négative sans le rebond des prix des transports et de l’énergie — les analystes anticipaient une hausse plus marquée de 0,3%. Difficile de nier que des forces déflationnistes sont à l’oeuvre dans de nombreux compartiments économiques.
** Beaucoup de députés et sénateurs libéraux américains se demandent si les mesures de supervision du système financier présentées par Barack Obama mercredi soir ne vont pas aggraver le marasme actuel.
Ils postulent que l’excès de réglementation ainsi que le renforcement des pouvoirs de contrôle de la Fed, de la SEC et de la FDIC vont nuire à la compétitivité du système financier américain. Selon eux, elles alourdiraient jusqu’à l’absurde les procédures administratives et imposerait de nouveaux cadres trop rigides qui aboutiront au rejet de bien plus de dossiers de crédit qu’à l’heure actuelle.
Mais si la question cruciale était de rendre le crédit plus abondant… pourquoi les banques s’empressent-elles de se débarrasser de réserves de cash excédentaires dont les particuliers et les entreprises ont tant besoin ?
Philippe Béchade,
Paris