** Le temps que je relise ma chronique d’aujourd’hui et que je vérifie n’avoir rien oublié dans ma liste des éléments expliquant une chute collective de 1,2% des principaux indices américains à 45 minutes de la clôture hier soir… et je découvrais à mon grand étonnement que le Dow Jones venait de repasser positif en moins d’un quart d’heure tandis que le Nasdaq revenait à l’équilibre.
Une poignée de minutes plus tard, le Dow Jones — qui affichait encore une perte de 100 points vers 21h — caracolait en hausse de 0,7% à 8 824 points. Le S&P, quant à lui, grimpait de 0,4% à plus de 946 points, au-delà de la forte résistance des 944 points.
Je me suis empressé de passer en revue toutes les dépêches publiées entre 21h et 21h30 mais je n’ai rien découvert qui soit susceptible de provoquer un tel choc de confiance salutaire. Je n’ai pas non plus relevé de variations favorables sur les marchés obligataires puisque c’est exactement l’inverse qui s’est produit avec une spectaculaire tension du rendement des T-Notes de maturités 2001 et 2012.
Barack Obama s’était exprimé trois heures auparavant pour détailler les différents volets de son plan de relance. Il a réaffirmé que 600 000 emplois seraient créés d’ici l’automne. Cependant, Wall Street n’avait que très mollement réagi, voire pas du tout.
Lorsque le coup de cloche final a retenti à Wall Street, mon ébauche de chronique qui avait si fière allure peu après la clôture des places européennes — grâce à un scénario boursier d’une parfaite cohérence de part et d’autre de l’Atlantique et une actualité politique conforme aux attente des marchés américains — était à réécrire pratiquement dans son intégralité.
** Mais le temps que je recherche les causes d’un écart absolu proche de 200 points sur le Dow Jones, et l’indice phare avait reperdu tous ses gains pour clôturer parfaitement inchangé à 8 764 points. Même scénario pour le S&P 500, qui a clôturé à 939 points.
Très franchement, je n’ai pas la moindre idée de ce qui a fait se réveiller les acheteurs qui ont agi comme si quelqu’un avait fait éclater un ballon de baudruche au-dessus de leur tête. Je ne sais pas non plus ce qui a pu faire paniquer les vendeurs comme s’ils avaient senti le sol se dérober sous leurs pieds.
"Quelle étrange journée !", voilà le commentaire très inspiré et somme toute très pertinent d’un des présentateurs vedettes de CNBC en direct du New York Stocks Exchange.
Comme j’en suis réduit aux suppositions, j’imagine qu’une rumeur — apparemment très vite démentie — a dû circuler et se répandre comme une traînée de poudre à travers quelques grandes salles de marché.
Cela aurait pu être un hoax, sorte de poisson d’avril sur Internet, du style "Tim Geithner a convaincu les Chinois de s’engager à ramasser toutes les émissions de Freddie Mac et de Fannie Mae jusqu’en 2030". Ou encore "toutes les banques qui rembourseront les sommes empruntées au TARP avant le 15 octobre pourront échanger leurs créances pourries contre des lingots d’or auprès du Trésor américain jusqu’au 31 décembre 2009".
** Mais ne rêvons pas, la seule rumeur qui courait depuis le début de la matinée en Europe, c’était que la Fed se préparait à renchérir le coût de l’argent, non pas en relevant publiquement son taux directeur mais en utilisant des méthodes non-conventionnelles.
Alors que la Fed a encouragé tous les débordements monétaires de 1998 à 2008, nous ne doutons pas qu’elle ait l’intention de se surpasser en 2009 en faisant dans l’expérimental, juste histoire de jauger jusqu’où elle peut aller pour faire perdre la tête à Wall Street et aux marchés des changes.
Il faut avouer que les variations des bons du Trésor américain hier n’avaient rien de banal. Le rendement des T-Notes juillet 2011 a bondi de 1,235% vers 1,375% et celui des T-Bonds 2014 est passé de 2,805% à 2,89%. Dans le même temps, la rémunération des T-Bonds 2019 se contractait de 0,05% à 3,835%.
Tout est parti d’une déclaration de Ben Bernanke ce week-end dans laquelle il s’alarme — et vous allez comprendre à quel point nous l’approuvons — de la récente hausse des taux longs (à 10, 15, 20 ou 30 ans) qui servent de référence aux prêts immobiliers.
Le patron de la Fed s’avise avec raison que "si cela continue, la stabilisation du secteur foncier risque d’être compromise". Ah, parce qu’un plancher avait été trouvé ces dernières semaines ? Et comment interprète-t-il la hausse de 11% du taux de défaut sur les cartes de crédit le mois dernier ? Est-ce une autre forme de stabilisation ?
Les opérateurs en ont déduit que le patron de la Fed allait s’efforcer de freiner la progression des rendements longs tout en s’appliquant à rassurer les détenteurs de dollar. Cela passerait paradoxalement par un resserrement du robinet à liquidités, tout en évitant de provoquer une hausse uniforme des taux. Il s’agit juste de réaliser en quelque sorte la quadrature du cercle : amis investisseurs, à vos équerres et vos compas !
Avec la repentification — excusez ce barbarisme emprunté au vocabulaire des salles de marché — de la courbe des taux américains au-delà des 18 mois (et l’aplatissement au-delà de 36 mois), le dollar poursuivait hier soir sa remontée face à l’euro. Il grimpait même au-delà des 1,39 euro (+0,5%) et 98,5 yens (+0,1%).
Tout ceci n’éclaire en rien l’envolée de Wall Street en fin de séance car les places européennes avaient accueilli ce nouveau scénario monétaire sans émotion.
** La Bourse de Paris a clôturé en repli de 1,5%. Le CAC 40 s’est enfoncé sous les 3 300 points et revient pratiquement au contact de ses niveaux du 29 mai dernier.
Le seuil des 3 277 points a été testé à cinq reprises entre 10h et 16h30 et il n’a pas craqué. Mais la pression baissière restait peu vigoureuse avec moins de 2,5 milliards d’euros échangés sur le CAC 40.
La seule indication à laquelle nous tenterons de nous raccrocher relève du domaine de l’analyse technique. Le CAC 40 n’a pas réussi à préserver le seuil psychologique des 3 300 points et même si cela avait été le cas, cela n’aurait pas suffit pour maintenir l’indice au-dessus de son support ascendant moyen terme.
Il aurait fallu que le CAC 40 clôture au-dessus des 3 330 points (zénith d’ouverture), voire un peu mieux que 3 350 points, soit 2% plus haut. Mais si l’indice phare réintègre son canal haussier, que pourra-t-on déduire d’un tel faux pas — sinon qu’il apparaîtra aussi irrationnel que le mouvement de rebond quasi-symétrique de Wall Street ?
Philippe Béchade,
Paris