▪ Le pire trimestre pour les actions depuis le premier trimestre 2009 m’a renvoyé aux archives poussiéreuses de la finance. Parmi les vieux volumes, j’ai recherché les leçons que je pourrais tirer des heures sombres des années passées.
Je suis alors tombé sur une série d’articles appelés The Great Crash and Beyond [« Le grand krach et la suite », ndlr.]. Datant de 1979, ils ont été rassemblés à l’occasion du 50e anniversaire du krach de 1929. Quelques années auparavant seulement, le marché avait chuté de moitié (en 1973-1974). J’ai trouvé dans ce recueil d’articles une mine de réflexions sur la mosaïque de l’histoire de Wall Street et sur la continuité des marchés à travers le temps.
J’y ai glané bon nombre d’idées utiles, à garder dans un coin de ma mémoire à mesure que se déroule l’effondrement potentiel que nous vivons actuellement. Si nous subissons un autre krach, il serait le troisième en un peu moins d’une décennie, à la suite immédiate des effondrements de 2000-2002 et de 2007-2009. (Alors que j’écris ces lignes, le marché est en baisse de près de 17% par rapport à son plus haut de l’année). Voici quelques idées que j’ai retenues.
▪ Les investisseurs accordent trop d’importance aux prévisions économiques. Ces prévisions sont trop souvent erronées. Elles ratent fréquemment les tournants économiques ou alors prévoient des tournants qui n’ont jamais lieu. Trop souvent, les prévisions ne sont que de simples extrapolations des tendances actuelles.
Un exemple amusant est cité par Shepherd Mead dans son ouvrage How to Get to the Future Before It Gets to You [« Comment précéder le futur avant qu’il ne vous précède », ndlr.]. Il imagine revenir à l’année 1860, lorsque le crottin de cheval posait un problème sanitaire dans les rues de New York. Le crottin pouvait alors recouvrir les rues de la ville d’une couche épaisse de trois centimètres. 10 ans auparavant, elle était moitié moins épaisse. Par conséquent, en utilisant les taux de croissance de l’époque, on pouvait prévoir en 1970 une épaisseur d’environ 51 mètres de crottin dans les rues.
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Une telle prévision aurait pu conduire à investir dans les entreprises spécialisées dans l’alimentation chevaline. Si tel avait été le cas, le malheureux investisseur courait droit à la ruine parce que la prévision avait raté ces trois points : (1) les gens auront modifié leur comportement bien avant d’arriver à ce stade ; (2) les chevaux ne seront plus aussi nombreux pour produire de telles quantités de crottin ; et (3) les chevaux auront été remplacés par autre chose (les automobiles).
Cela semble ridicule mais c’est bien de cela dont il s’agit. Les gens font et croient de semblables prévisions tout le temps sur les marchés. Vous êtes certainement déjà tombé, par exemple, sur des prévisions affirmant que le monde viendra à manquer de certaines ressources (comme le pétrole). Mais aucun modèle ne dure. « Plus la croyance dans la persistance d’un modèle est répandue », observe Arthur Zeikel, « moins elle a de probabilité de perdurer ». (Zeikel a été le directeur des gestionnaires de portefeuille chez Merrill Lynch à une époque). Sa règle générale ici est utile : si une attente est tenue pour acquise, elle devra d’autant plus être remise en question.
L’historienne Barbara Tuchman a écrit : « on ne peut pas extrapoler une suite dans laquelle intervient l’élément humain. L’histoire, c’est-à-dire le récit humain, ne suit jamais et ne suivra jamais la courbe scientifique ». Les êtres humains ont une capacité d’adaptation. Les investisseurs ratent souvent les forces compensatoires qui travaillent pour annuler les tendances de toutes sortes.
▪ Les investisseurs accordent trop d’importance à leurs expériences personnelles les plus récentes. Parfois les rythmes du marché ont moins à voir avec l’économie qu’avec la psychologie, comme l’explique Peter Bernstein. Les grands marchés haussiers ne sont jamais créés par les investisseurs encore échaudés par le souvenir d’une catastrophe. Et les grosses capitulations des grands marchés baissiers ne sont pas créées par « les investisseurs dont les espoirs les plus optimistes se réalisent quotidiennement ».
« En bref », résume Bernstein, « la mémoire collective — ou le manque de mémoire — des participants est l’ultime déterminant des principales opportunités d’achat et de vente dont rêvent tous les investisseurs ». Le krach de 1929 et ses conséquences ont brouillé les gens avec le marché pendant un quart de siècle. Inversement, la hausse constante des actions depuis 1982 les a incités à croire aux « actions sur le long terme ». Cela a alimenté la frénésie des années 1990. Dans les deux cas, les souvenirs enracinés ont assurément incité les investisseurs à rater les grands tournants.
Selon moi, cette idée permet d’expliquer également pourquoi les fluctuations du marché en 2011 ont été si considérables. L’année 2008 est encore fraîche dans les mémoires. Les gens ont peur d’une redite de cette année. Cela donne des investisseurs nerveux. De telles peurs ont également fait rester sur la touche beaucoup d’investisseurs lors du formidable rally depuis le plancher de mars 2009, au cours duquel les actions ont pratiquement doublé.
Le principal conseil ici : comprendre que, en tant qu’êtres humains, nous accordons trop d’importance à notre expérience récente. Cela nous rend susceptible de rater le changement.
▪ Tout se rapporte au prix payé. Bernstein explique cela d’une manière fascinante. Si vous aviez acheté des actions en 1924 et les aviez gardées contre vents et marées jusqu’en 1936, vous auriez profité d’un rendement annuel de 7,6%, avant impôts et sans inclure les dividendes réinvestis. « Entre temps », écrit Bernstein, « le coût de la vie avait chuté de 20% ».
C’est là un résultat excellent compte tenu de la Grande Dépression. Mais tout dépendait du moment où vous aviez acheté et du moment où vous aviez vendu. En 1924, les actions étaient encore bon marché et en 1936, elles étaient chères. Et cela faisait toute la différence.
Hélas, la nature humaine ne changera jamais. La plupart des gens achètent des actions lorsqu’elles sont fortes et chères et les vendent lorsqu’elles sont faiblement valorisées. Zeikel a réfléchi sur une longue histoire de booms et de paniques. Il écrit : « c’était vrai en 1870, c’était vrai en 1929, c’est vrai aujourd’hui [en 1979], et ce sera, sans conteste, vrai demain ». Il ne s’est en effet pas trompé.
Toutefois, cela n’est pas une mauvaise nouvelle pour vous. Pourquoi ? Nous donnons ici le dernier mot à Bernstein : « l’inefficacité est une bonne nouvelle pour les investisseurs. Après tout, elle engendre l’opportunité ».