▪ Hier, je vous disais que la consolidation des marchés pouvait être ennuyeuse, morne et longue. La crise de la dette deviendrait somme toute banale, les marché s’y habitueraient, la volatilité se réduirait — jusqu’à la prochaine fois. Je crois peu à ce scénario car pour moi, l’issue sera beaucoup plus brutale — qu’elle soit positive ou négative. Voyons cela.
▪ Scénario 2 : un rebond franc, basé sur les fondamentaux et des solutions durables trouvées pour les crises de dettes
Ces solutions pourraient être : la mutualisation et le fédéralisme fiscal en Zone euro, la restructuration ordonnée des dettes souveraines fragiles, la contribution des créanciers privés sans faillite bancaire et sauvegardant la solvabilité du secteur de la bancassurance.
On assisterait alors, dans les douze à dix-huit mois qui viendraient, à une progression de 20 à 40% de bon nombre de valeurs et à un retour du CAC 40 autour de 4 000 au second semestre 2012. Ce niveau est celui sur lequel l’indice a évolué entre janvier 2010 et juin 2011. Il sera par contre difficile (voire impossible) d’envisager une progression supplémentaire pour trois raisons.
1/ Les évolutions prudentielles type Bâle III resteront très pénalisantes pour les marchés actions : les investisseurs institutionnels vont délaisser les actions compte tenu de la hausse de la consommation de fonds propres qu’impliquent ces investissements. Les besoins de recapitalisation à venir sont très importants dans le secteur de la bancassurance (et seraient d’ailleurs renforcés en cas de dépréciations significatives sur certains actifs souverains).
2/ Il sera inimaginable de penser un jour revoir le CAC 40 sur les niveaux de l’an 2000 (6 944 points je le rappelle) ou de 2007 (6 168 points). Car ces plus hauts historiques étaient dus à des erreurs monstrueuses de valorisations. Et pas seulement de quelques valeurs… mais de l’intégralité du modèle économique que nous étions censés vivre !
L’erreur des marchés au début des années 2000 a été de croire en la croissance économique éternelle tirée par la nouvelle économie. Les marchés se sont également trompés dans leur valorisation du secteur bancassurance en 2004-2006 en sous-estimant dramatiquement les risques systémiques (subprime en 2006-2007, souverains périphériques en Zone euro en 2009-2011 et peut-être demain d’autres souverains non périphériques…).
3/ Et surtout de nouveaux risques doivent dès à présent être pris en compte même si les crises souveraines en Zone euro sont résolues et que le risque de récession mondial s’estompe.
▪ Ces nouveaux risques sont une vraie crise de financement des déficits américains par l’épargne asiatique en général et chinoise en particulier
On doit donc prévoir dès à présent des évolutions structurelles fortes quant au changement de modèle économique en Asie, et en Chine en particulier. Certes, nous n’attendons pas pour demain un changement de régime de change en Chine. Mais il faut l’anticiper (pour une fois).
La situation d’accumulation de réserves de change — consistant à émettre de la monnaie pour la vendre contre du dollar et dans une moindre mesure contre l’euro en achetant des titres d’Etat libellés dans ces devises — pourrait se poursuivre quelque temps.
Mais il faut commencer à anticiper sérieusement le remplacement du modèle de croissance chinoise jusqu’à présent basé sur les exportations (donc sur l’accumulation de réserves de change) par un modèle basé sur la croissance domestique. Quand ces jours viendront, les rapatriements de capitaux de la Chine et de l’Asie émergente provoqueront une hausse des taux longs des emprunts d’Etat de part et d’autre de l’Atlantique. Les indices boursiers seront alors mis sous pression : pourquoi préférer le risque actions à une obligation « sûre » et rémunératrice ?
Si l’on anticipait dès à présent cette situation, on ferait certainement l’économie de cette future crise majeure. Ou plus exactement on éviterait les ajustements brutaux et douloureux qu’il faudra mettre en oeuvre dans le cadre de ce changement de modèle des économies émergentes. Chacun sait bien que plus on a de temps pour s’ajuster, plus on est préparé longtemps à l’avance, moins c’est douloureux ; ce n’est pas de la macro-économie mais du bon sens.
Ce sens de l’anticipation et de la prévention permettrait aussi d’éviter stress, paniques, destruction de richesse et de capital sur les marchés financiers et donc crise économique et sociale. Nous éviterions aussi l’accroissement de la perte de crédibilité des politiques, des dirigeants économiques, des économistes, des analystes et autres prétendus experts. Mais de là à ce que les marchés anticipent…
▪ Scénario 3 : la descente aux enfers…
Les risques s’intensifient et le CAC 40 n’a aucune raison d’arrêter sa chute à 2 400 points. En effet, les raisons pour qu’un tel scénario catastrophe se produisent sont très nombreuses.
1/ Les risques de contagion persistent : maintien des risques de défaut de souverains budgétairement fragiles de la Zone euro ; situation d’accès à la liquidité tendue pour certaines banques européennes.
2/ Une récession qui devient réalité compte tenu du désengagement persistant du secteur public et du secteur privé en Europe et aux Etats-Unis ; et compte tenu du ralentissement économique dans les zones émergentes.
3/ Crise du financement du déficit extérieur américain qui arriverait plus vite que prévu avec un changement du modèle de croissance chinoise qui se mettrait en place dès les années 2012-2014 et non pas, comme on l’anticipe de temps à autre, dans la seconde moitié de la décennie.
4/ Une course à la liquidité (dans le prolongement des évolutions réglementaires) qui conduirait encore nombre d’acteurs à des ventes forcées.
5/ La fin d’une certaine culture actions :
– moins d’investisseurs institutionnels de long terme ;
– un marché actions aux mains des hedge funds et du trading haute fréquence ;
– investissement en actions considéré comme un investissement financier à objectif de revenus et non un investissement de plus-value ou de croissance. On peut se référer d’ailleurs aux travaux très pointus et très originaux d’Arnaud Motte (gérant d’actifs et chercheur) sur ce sujet (la valorisation des actions est repensée).
Si ce scénario 3 se réalise… où pourrait donc chuter le CAC 40 ?
▪ Où se situe le plancher de l’enfer pour le CAC 40 ?
Rappelons-nous de deux niveaux historiques :
– 1 880 points : niveau des années 1994-1995 qui correspondait à la digestion du krach obligataire de 1994 et au début du long cycle haussier 1995-2000 ;
– 1 520 points : niveau de fin 1990, marqué par la première guerre du Golfe et par les conséquences inflationnistes de la réunification allemande (prémices des futures crises du « système monétaire européen » de 1992-1993).
Vous me direz que si on retouchait de tels niveaux, ce serait complètement irrationnel et aberrant. Certes, j’en conviens. Mais je suis toujours surpris de constater que beaucoup de spécialistes sont étonnés par les réactions violentes des marchés. Or le propre des marchés, c’est d’exagérer, de surréagir et de se déconnecter de ce que l’on appelle les fondamentaux.
Les marchés boursiers sont depuis maintenant quatre ans guidés par des phénomènes d’aversion au risque, de contraintes réglementaires et de liquidations forcées d’actifs pour tout un tas de raisons. Dans le même temps (les corrélations statistiques le montrent), ils sont de plus en plus déconnectés des fondamentaux (indicateurs macro-économiques, critères de valorisation traditionnels, ratios cours sur bénéfice, taux longs).
▪ Faisons les paris !
De mon côté, je pondère à seulement 10% la probabilité de mon scénario 1 (consolidation 2 400-2 800 points) ; à 30% mon scénario 2 (rebond dans la zone des 4 000 à horizon 12 mois) et malheureusement à 60% mon scénario 3 (fin du marché actions et retour dans la zone 1 500-1 800 points).
Très clairement toute avancée politique et institutionnelle forte sur la résolution de la crise de la dette en Europe nous permettrait de sous-pondérer le scénario 3 et de préférer le scénario 2. Mais nous n’y sommes pas encore… La prochaine fois, je vous expliquerai comment vous protéger.
Première parution dans le Billet du Trader du 12/10/2011.
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[…] pondère à 10% la probabilité de mon scénario 1 (consolidation 2 400/2 800 points) ; à 30% mon scénario 2 (rebond dans la zone des 4 000 à horizon 12 mois) et, malheureusement, à 60% mon scénario 3 […]