** Chers lecteurs et contribuables,
Il ne vous aura pas échappé que depuis que les indices boursiers ont cessé de s’envoler comme des ballons gonflés à l’hélium — alors que les investisseurs semblaient shootés à l’azote –, les médias consacrent une part grandissante au débat sur la stratégie à adopter concernant les impôts.
Il est vrai que les Français commencent à recevoir leurs déclarations pré-remplies par courrier — tandis que les spécialistes de la défiscalisation mènent une campagne intense pour séduire ceux d’entre vous qui sont assujettis à l’ISF.
Nous ne saurions trop vous recommander d’étudier avec bienveillance les propositions d’investissement dans les FIP. Ils permettent de renforcer les fonds propres des PME/PMI qui en ont un réel besoin. Tant pis si le placement peut apparaître peu liquide ou hasardeux : cela vaut toujours mieux que de perdre sa mise sur des fonds monétaires dynamiques farcis de dérivés de crédit.
** Mais le calendrier fiscal hexagonal indiffère totalement la presse anglo-saxonne. C’est pourtant devenu une thématique porteuse, de l’Allemagne aux Etats-Unis en passant par le Royaume-Uni et l’Irlande.
Nous avons bien sûr notre petite idée sur les raisons du surgissement d’un débat qui éclipse soudain l’euphorie boursière. L’annonce du déficit américain en 2009 a frappé les esprits ; chacun sait bien que d’ici la fin de l’année, le Congrès US sera appelé à voter des rallonges qui feront grimper les compteurs bien au-delà des 2 000 milliards de dollars.
La Californie vient de renoncer à entretenir l’espoir que le pire de la crise soit de l’histoire ancienne. Avec 96 000 logements saisis au mois de mars et un total qui frôle le million depuis l’automne 2007, Arnold Schwarzenegger mesure l’ampleur du désastre budgétaire qui se prépare non seulement en 2009 mais également en 2010. En effet, des centaines de milliers de contribuables sont littéralement carbonisés — comme les collines au-dessus de Santa Clara — après avoir perdu leur job et leur maison.
Les recettes fiscales s’effondrent car l’immobilier — via les taxes foncières — était la première source de revenus de l’ex-état le plus riche de l’Union. La dépression qui frappe la Silicon Valley engendre également une chute record des contributions versées par les entreprises.
** La remontée du prix des carburants achève de plonger dans des difficultés inextricables les ménages qui viennent de se faire confisquer leur carte de crédit.
Le mois d’avril s’est soldé par un taux record de défaut de remboursement sur les prêts à court terme et les crédits revolving. Sur ces derniers, les taux d’intérêt flirtent parfois avec les 30% pour les emprunteurs à risque. Et avec ce type de conditions complètement usuraires, ceux qui n’étaient pas à risque le deviennent : encore une manifestation du piège mortel de la dette, sauf à pouvoir tout rembourser sous les huit jours.
La Californie, ne l’oublions pas, c’est aussi l’état où les salariés parcourent le plus de kilomètres pour aller travailler. Les trajets professionnels sont devenus ruineux, le barbecue dans le jardin, loin du tumulte de la ville et des sirènes d’ambulance ou de police, devient un luxe réservé aux rares privilégiés qui parviennent à gagner décemment leur vie en travaillant par Internet depuis leur domicile.
La Californie est le laboratoire avancé de l’économie américaine… et la Californie est en faillite. N’importe quel professeur d’université — et pas seulement les stars qui enseignent à UCLA — spécialisé dans les finances publiques en fait le constat.
L’équation budgétaire est sans solution avant au minimum quatre à cinq ans, et encore, à condition que l’immobilier se redresse — le Japon attend toujours, 20 ans après le krach de 1990 — et que la croissance retrouve un rythme de croisière de 2,5% à 3%.
** Arnold, le "Gouvernator" dont la gestion de la crise suscite peu de critiques et qui est l’un des seuls responsables politiques étiqueté droite libérale à faire preuve de réalisme, annonce qu’il va recourir au TARP. Cela afin d’éviter une banqueroute qui priverait la Californie des moyens de payer le personnel de santé et surtout les fonctionnaires de police.
Chacun sait que la région de Los Angeles héberge les gangs parmi les plus violents au monde — et que ce modèle de sauvagerie totale essaime dans toutes les banlieues américaines où le taux de chômage dépasse les 25%.
C’est le prix que les Etats-Unis doivent payer pour avoir promu durant des décennies un système ne prévoyant aucun filet de sécurité sociale. Barack Obama voudrait inverser la vapeur mais il se voit contraint d’agir au moment même où les caisses du pays sont vides tandis que les déficits explosent.
Ce ne serait pas grave si la reprise pointait son nez à l’horizon… Or c’est justement la prise de conscience que rien ne se passe vraiment dans l’économie réelle — comme la récente envolée de 38% de Wall Street le suggère — qui fait soudain surgir le débat au sujet de la nécessité d’augmenter les impôts.
** Wall Street hésite encore à valider le constat que le retour de la croissance — quelle que soit son amplitude à l’horizon 2011 — ne suffira pas à rembourser les milliers de milliards de déficit contractés ces 18 derniers mois. Que se passera-t-il si nous venons d’assister en avril à un "rebond de chat mort", le fameux dead cat bounce — la formule claque mieux en anglais mais elle est tout aussi sinistre !
L’alternative économique est donc sans issue satisfaisante. Soit la Maison Blanche et le Congrès maintiennent le statu quo, et c’est la faillite des Etats-Unis d’ici un an — précédée par un effondrement du dollar qui affolera complètement les marchés mondiaux. Soit l’administration démocrate s’arrange pour que l’opinion publique — et Wall Street — s’accoutume en douceur à l’idée de payer plus d’impôts en gagnant moins d’argent.
De toute façon, l’American way of life — c’est-à-dire le shopping élevé au rang de sport national et la consommation comme moteur de la croissance — n’y survivra pas.
** Ce qui vaut pour les Etats-Unis vaut également pour une Europe budgétairement exsangue. Le financement des dépenses sociales — en particulier l’indemnisation des chômeurs dont le nombre explose –, le déficit de cotisations des caisses de retraite par répartition, le trou de la Sécu (ou des autres systèmes de santé mutualistes chez nos voisins) ne laissent pas d’autre issue aux gouvernements que de relever les taxes sur les alcools et le tabac dans un premier temps, puis les tranches d’imposition, la CSG et la CRDS dans un second temps.
Si la reprise économique était vraiment en vue, cette Chronique serait sans objet !
Alors faut-il redouter que les Bourses — allergiques aux impôts comme à l’encadrement des transactions financières promises par Timothy Geithner — basculent brutalement à la baisse comme en janvier dernier ? C’est en tout cas ce que l’amorce de consolidation des quatre dernières séances — et 5% perdus avant rebond — pourrait laisser présager.
Rassurez-vous, rien à craindre de ce côté dans l’immédiat. Il y a encore tant d’augmentations de capital à placer et tant de papier acheté pas cher début mars à revendre au prix fort avant la fin du premier semestre que nous ne prévoyons pas de renversement de tendance inopinée. Sauf si le Trésor US met la pression sur les banques — toujours sous perfusion d’argent public — pour qu’elles "recavent" au plus vite le TARP avant que la Californie ne se déclare en cessation de paiement…
Philippe Béchade,
Paris