** Après le séisme des Abruzzes et son terrible bilan humain, voilà que sonne l’heure des polémiques ! L’Italie est un pays qui a le sens de la tragédie — au sens noble du terme — mais qui succombe souvent aux querelles stériles.
Mais peut-être est-ce aussi une façon de chasser la douleur que de d’évacuer ce qui oppresse le coeur et l’esprit par l’expression d’un refus de la fatalité et par la désignation de coupables. Pourtant, la plupart du temps, les coupables ne risquent pas grand-chose, sinon un peu d’opprobre passagère… ce qui n’empêche pas une réélection car nos voisins transalpins sont également d’humeur changeante.
La presse italienne, aussitôt relayée par de grands medias européens, s’est emparée de l’anecdote de ce chercheur en physique du globe, du nom de Giampaolo Giuliani. Il aurait en vain alerté sa hiérarchie sur une émission massive d’argon — un gaz rare piégé dans les laves mais libéré par des fractures de la croûte terrestre — une semaine avant la catastrophe qui a dévasté la région de L’Aquila.
Ces avertissements concernant l’imminence d’un tremblement de terre de grande amplitude dans les Abruzzes lui avaient valu une inculpation pour "diffusion de fausses nouvelles alarmantes".
Si ce chercheur détectait un risque majeur toutes les semaines et tirait la sonnette d’alarme à chaque microséisme, il aurait été viré depuis longtemps. Mais s’il avait été entendu au lieu d’écoper d’une procédure judiciaire, comment le gouvernement italien aurait-il dû gérer la situation ?
En faisant évacuer d’urgence toute la région montagneuse du centre de l’Italie, c’est-à-dire des millions de personnes ? Si le risque avait été rendu public et que l’épicentre avait pu être ciblé à l’avance avec un bon degré de certitude — ce qui n’est absolument pas le cas en l’état de nos connaissances du phénomène –, comment enrayer un effet domino de panique dans les vallées et jusque dans les villes des plaines alentour qui furent également bien secouées ?
Si la plainte déposée contre le chercheur est une initiative stupide, quelle aurait dû être la réaction des autorités politiques et de la sécurité civile ? Vaste débat !
** Si nous avons ouvert cette parenthèse, c’est parce que le parallèle avec la crise actuelle est saisissant. La thèse officielle est que personne, en dehors de quelques savants fous — une catégorie que nous respectons, non point parce que nous sommes savants mais parce que nous aimons apporter une touche de folie dans le paysage économique –, n’était en mesure de prévoir le tsunami qui a dévasté les marchés puis l’économie réelle.
Tout est de la faute du facteur fatalitas (en latin dans le texte) !
Pas celle de la bulle de liquidités, de la dérégulation, de l’avidité des brasseurs d’argent, des trous noirs de la finance, de l’hédonisme comptable, des manquements à l’éthique à tous les niveaux, de la veulerie des agences de notations, de l’aveuglement de la SEC. Aucun de ces facteurs ne serait à lui seul décisif !
Sans le facteur fatalitas, le système aurait pu continuer de fonctionner sous les yeux admiratifs des politiques, tout acquis au discours des théoriciens de la pensée unique. Ils postulent que, dans une économie globalisée, les Etats-Unis, qui incarnent le triomphe du libéralisme, peuvent tout obtenir (la confiance, le respect, des crédits illimités) en l’échange de rien, sinon des petits bouts de papier vert qui ne représentent aucune création de richesse réelle depuis le début des années Bush.
Oui mais voilà, les Etats-Unis font taire toute critique en rappelant qu’ils sont les garants de la sécurité du monde. Un service qui, naturellement, n’a pas de prix, ce qui est très commode puisqu’ils n’ont plus qu’à fixer celui qui les arrange.
** Et si la Très Grande Crise provenait d’abord de la remise en cause de cette prétention pour cause de manque de résultats en Irak, en Afghanistan et également dans la lutte contre l’anarchie qui s’est emparée du marché des matières premières et de l’énergie depuis le passage l’ouragan Katrina ?
Fin août 2005, le monde a découvert, ébahi, que l’Amérique était aussi démunie que le Bengladesh face à un phénomène météorologique pourtant récurrent et prévisible.
Ce fut la première fois que nous avons entendu les plus hautes autorités du pays invoquer le facteur fatalitas… alors qu’il était de notoriété publique qu’il avait manqué au renforcement des berges du Mississipi et du lac Champlain l’équivalent de 1% des crédits alloués à la "guerre contre le terrorisme".
Pendant que les habitants les plus déshérités de la Nouvelle-Orléans se noyaient, le président faisait un parcours de golf avec ses amis milliardaires. En terme d’image, cela restera peut-être la partie la plus coûteuse de l’histoire des Etats-Unis.
L’économie de la Louisiane n’a pas rebondi, les crédits pour domestiquer le Mississipi n’ont pas été débloqués — sinon au compte-gouttes, mais heureusement, la météo se montrera par la suite plus clémente en 2006 et 2007. Les plus pauvres n’ont pas été relogés : ils ont été dispersés, dissimulés puis oubliés.
La légende d’une Amérique capable de sortir grandie de chaque épreuve infligée par le destin en a, une nouvelle fois, pris sérieux un coup. Les manipulations et les mensonges ayant conduit à l’invasion de l’Irak avaient déjà détruit l’élan compassionnel planétaire hérité du 11 septembre.
** Si l’explosion de la bulle des dérivés de crédit constitue bien le Pearl Harbour financier que Warren Buffett nous décrit, la Maison Blanche va-t-elle s’attaquer au cancer du surendettement qui ronge son système de l’intérieur ou prier le Pentagone de découvrir un nouvel ennemi contre lequel diriger la frustration des Américains ? Par exemple, un ennemi qui remettrait en cause le statut du dollar comme monnaie de réserve, c’est-à-dire la capacité des Etats-Unis à rembourser leurs dettes…
Barack Obama est venu au G20 pour proposer — et sans obtenir d’engagements supplémentaires de la part des Européens — le traitement de l’excès de dette par de nouveaux excès de dette. Les 5 000 milliards de dollars prétendument mobilisés pour la relance ne font en fait que synthétiser — comme une sorte d’attrape-tout — l’ensemble des plans de relance, de colmatage ou de sauvetage lancés de par le monde depuis l’été 2008.
Combien de milliards seront-ils véritablement consacrés au développement des énergies renouvelables, ou même à la construction de lignes de TGV sur le sol américain comme l’a suggéré le nouvel hôte de la Maison Blanche ?
Reste que le FMI se verra doté d’une capacité de prêts pouvant atteindre 1 000 milliards de dollars. Cela fera-t-il le poids face aux 4 000 milliards de dollars d’actifs toxiques encore détenus par les banques occidentales, d’après une dernière enquête parue hier dans la presse britannique ?
** Cela ne préfigure-t-il pas un nouveau séisme financier pour la fin de l’année 2009 ?
Nous recherchons activement un précurseur furtif de krach, à l’image de l’argon s’échappant de la croûte terrestre. Il y a quelques mois, cela avait été la hausse du yen — pour des raisons techniques liées à l’inversion du carry trade. Aujourd’hui, nous parions sur la chute du trafic aérien — voyages d’affaires, fret et, dans une moindre mesure, kilomètres parcourus dans le cadre de déplacements touristiques.
De tels signes avant-coureurs d’une nouvelle offensive de la Très Grande Crise, cela n’existe pas en matière économique, nous affirment les spin doctors qui coachent les plus influents dirigeants de la planète. Si c’était le cas, des contre-mesures efficaces auraient forcément été mises en place pour neutraliser le risque.
Ce qui est arrivé n’était pas prévisible ! La preuve : tout fut pire que ce que "nous", chroniqueurs des Publications Agora, avions imaginé… et ce n’est pas peu dire !
** Mais ceux qui prétendent cela sont faits du même métal que ceux qui ont obtenu l’inculpation du physicien Giampaolo Giuliani pour "diffusion de fausses nouvelles alarmantes".
Leur credo, c’est la reconstruction presque à l’identique d’un système financier soi-disant à l’épreuve des tremblements de terre, le bétonnage à la japonaise des rivages bancaires pour éviter les conséquences d’un nouveau tsunami. Pas un mot, cependant, sur une cure de désaccoutumance à la dette et surtout pas d’apologie de cette maudite épargne à l’européenne ou à la japonaise qui étouffe la consommation.
Il faudra s’efforcer de discréditer — comme d’habitude — tous ces empêcheurs de spéculer en rond qui affolent inutilement la population avec leurs alertes au krach — fondées sur la quantité de kérosène consommée dans le monde — et leurs théories fumeuses sur l’inéluctable explosion des bulles spéculatives et la destruction programmée du dollar par l’inflation.
Et si le billet vert s’effondre, l’explication est déjà toute trouvée : fatalitas !
Philippe Béchade,
Paris