** Nous savions tous que la TGD (Très Grande Dépression), qui sévit au Japon, aux Etats-Unis et dans une moindre mesure en Europe, contribuait à la gloire et au profit de quelques heureux élus — peu nombreux en ce qui concerne les entreprises — dont les noms vous sont relativement familiers : Campbell Soup, McDonald‘s, Sodexo, Vilmorin.
Leur point commun est de refléter la thématique "se nourrir bon marché". Ils sont également insensibles au niveau des taux d’intérêt — ce qui est vrai des semences comme des frites et des hamburgers à l’échelle planétaire.
Vous ajouterez que les pharmaceutiques ont peu à perdre en période de crise, de chômage et de morosité, surtout si elles commercialisent des antidépresseurs et des anxiolytiques. Cependant, l’opportunité d’investir dans ce secteur est peut-être derrière nous, comme en témoigne la stagnation de Sanofi-Aventis ou de Merck au cours des six derniers mois.
** Un avenir radieux semble en revanche s’ouvrir pour la corporation des avocats avec l’affaire Madoff. Selon les calculs d’un cabinet espagnol — qui a déjà fait plier Santander dans ce dossier au moyen d’une plainte collective d’épargnants spoliés –, ce sont pas moins de trois millions de particuliers qui auraient directement ou indirectement perdu des plumes dans la pyramide du siècle.
Nous avons déjà évoqué la "fraude du millénaire"… mais nous avons un doute : en étudiant bien la fiscalité de la Rome antique, de l’Empire britannique ou de l’Argentine des années 1930 — sans oublier l’affaire des emprunts russes –, il devrait être possible de trouver des spoliations d’épargnants encore plus massives.
S’agissant de montants équivalents à 50 milliards de dollars, les historiens affirment que de nombreux pays "civilisés" ont déclenché des guerres d’ampleur planétaire pour moins que cela.
Nous n’avons cependant pas le souvenir que des plaignants répartis dans 25 pays différents aient été simultanément victimes d’une même escroquerie : c’est l’une des grandes conquêtes de la mondialisation heureuse !
L’un des aspects les plus vertigineux de l’affaire, c’est que 30% des victimes ignoreraient encore que la fraude Madoff va leur coûter tout ou une partie de leur mise car la majorité des détenteurs de fonds de fonds ignorent totalement à qui ils ont confié la gestion de leurs économies, notamment dans la catégorie monétaire…
** Sur trois millions de victimes, il n’est ni absurde ni démesuré d’envisager un taux de plaintes allant de 0,5 à 1% — pour récupérer 10 000 $ et au-delà, cela commence à valoir le coup. Même en ne retenant que l’hypothèse la plus basse, il faut tabler sur le déclenchement de 15 000 actions en justice. Et entre les spécialistes du droit des affaires, les rois de la plaidoirie, les assistants (titulaires d’un diplôme d’avocat) qui préparent les dossiers pour leurs pairs, l’affaire Madoff va donner du travail à 45 000 ou 50 000 avocats dans le monde.
Ajoutez-y tous les recours des actionnaires et des déposants dans les affaires New Century Financial, Washington Mutual, Ambac Financial, MBIA, Lehman Brothers, Wachovia ou Citigroup (plus une bonne vingtaine de petites banques locales ayant fait faillite ces 12 derniers mois)… et vous conviendrez que la crise devrait donner du travail à un effectif de 50 000 avocats supplémentaires rien que sur le territoire américain.
Oui vraiment, l’affaire Madoff sera incomparablement plus juteuse que l’affaire Enron, Adelphia ou Worldcom — tiens, encore un Bernie mais c’était Ebbers en 2002… et il n’avait fraudé que sur une somme voisine de quatre milliards de dollars en falsifiant les comptes de résultat de Worldcom avec la complicité avouée d’Arthur Andersen.
** Mardi soir, j’ai passé un petit coup de fil à une de mes cousines canadiennes (de Montréal) qui lit de temps en temps ma chronique et me livre ses réflexions pleines de fraîcheur et de pertinence.
Voici — traduit phonétiquement — quelques extraits de sa conversation :
"Tchèkbinça… on aura beau gosser sur l’affaire Madoff, tous ceux qui s’sont fait fourrés, y s’en sakent des môôdzis avocats. Benwoyondonk… ça va prendre une bonne couple d’années avant qu’y z’arrivent seulement à brâsser cette cage, tu nous krétu innocents à ce point !"
"Mais en attindant, c’est juste kenouzôôtes, y faut leur faire des chèques pour qu’y puissent passer d’Montréal à Miami pendant qu’on pailte la marde blanche".
Je traduirais cette dernière phrase par : "nous payons les avocats pour qu’ils restent bien au chaud à faire de la pêche au gros pendant que l’on passe la saison d’hiver à déneiger le devant de nos maisons… ‘tabarnak’ !"
"Tulkroitu, mais Madoff, y mérite juste qu’on lui kâlisse une bonne volée ! Entouéka…" Cette dernière expression est l’équivalent d’un anyway anglo-saxon qui confirme le caractère de vacuité définitive de la discussion et exclut tout commentaire supplémentaire.
A propos, dans une arnaque à 10 Kerviels, la thèse de l’homme seul tient-elle la route ? Il y a certainement des complices solvables à faire payer. Les avocats ne manqueront pas de faire valoir cet argument auprès des clients potentiels qui pensaient n’avoir aucune chance de récupérer quoi que ce soit — voilà une vraie mine de dossiers pour qui est prêt à piocher dans l’annuaire du Who’s Who de Miami.
** De ce côté-ci de l’Atlantique, certains investisseurs, qui voient les indices boursiers tenir depuis fin janvier sur les planchers de l’année 2008, commencent à se dire qu’ils n’ont pas forcément tout perdu non plus.
La journée d’hier avait plutôt mal commencé pour le marché parisien — mais il a profité de la brève incursion du Dow Jones au-dessus des 8 000 points (c’était vers 17h30 et cela tombait bien) pour terminer la séance pratiquement au plus haut du jour sur un gain de 1,8%.
Le CAC 40 se rapproche de la barre des 3 000 points, ce qui dénote un léger réchauffement du climat boursier. Cependant, l’extrême étroitesse des volumes (avec seulement 2,27 milliards d’euros échangés) ne permet pas de diagnostiquer un retour en force des acheteurs, enfin rassurés par les plans de relance présentés en ce début février.
En France, notre ministre de l’Economie, Mme Lagarde, a reconnu que l’objectif du gouvernement d’une croissance de 0,2% pour l’année 2009 était "hors de portée".
Le PIB risque de connaître sa première contraction annuelle depuis 1993. Mme Lagarde n’a pas précisé si elle s’attendait à -0,5% ou à -1,8% comme le prévoit le FMI.
Quant aux chiffres du chômage, ils font ressortir une hausse de 2,2% (+45 800) du nombre de demandeurs d’emploi au mois de décembre, selon les chiffres du ministère de l’Emploi et de 217 000 chômeurs en plus sur l’année, soit une hausse de 11,4%. Cette progression est la plus forte depuis la crise de 1993… et elle aurait pu être bien pire sans le recours massif au chômage partiel.
** A Wall Street, les indices ont clôturé sur un rebond d’une ampleur inespérée avec un gain de 1,8% pour le Dow Jones et de 1,5% sur le Nasdaq — malgré les 11% de baisse de Motorola dont la survie en solo apparaît de plus en plus problématique.
Le déclic à la hausse est venu de l’indice des promesses de ventes dans l’immobilier aux Etats-Unis. Le baromètre sectoriel de l’Association des promoteurs immobiliers américains (NAR) a enregistré un rebond de 6,3% à 87,7 au mois de décembre, ce qui a provoqué une flambée des promoteurs immobiliers : DR Horton affichait au final +21,5%.
Il ne faut pas s’imaginer qu’un tel chiffre bouleverse la sombre perception que les investisseurs ont de la conjoncture : les ventes d’automobile s’effondrent de 40% à 50% en janvier pour Ford et GM. Cependant, la fuite vers la sécurité semble avoir atteint ses limites. Le marché obligataire a donc dévissé, propulsant le rendement des T-Bonds (bons du Trésor) à 2,84% sur le 10 ans (contre 2,72% lundi soir) et à 3,625% contre 3,47% sur le 30 ans.
Depuis le 15 janvier, la rémunération des T-Bonds a augmenté de 75 points, soit l’équivalent de trois resserrements monétaires de 25 points de base. Le recul des emprunts d’Etat américains est si brutal que si Bernie (diminutif de "berner" ou de Bernanke ?) Madoff avait parié sur leur baisse en début d’année — avec une force de frappe de 17 milliards de dollars — et utilisé les effets de levier dont il était coutumier sur les marchés dérivés… il aurait pu se refaire en moins de trois semaines… câââlisse de tabarnak !
Philippe Béchade,
Paris