** Nous ne savons pas trop quelle mauvaise conjonction astrale ou quel type de vents solaires radioactifs ont touché la planète Terre ce week-end mais les investisseurs semblaient d’une humeur massacrante dès l’entame de la séance d’hier. Les places boursières européennes viennent même de matérialiser la pire entame de mois boursier de l’histoire — si, si, nous avons vérifié : il n’y aucun précédent connu ; les rares accrocs à signaler remontent à janvier 2001 et janvier 1997, avec respectivement -2,15 et -2,6%.
Nous pressentions qu’une consolidation ne tarderait pas à se produire mais nous n’avions pas envisagé qu’elle puisse aller très au-delà de -2% pour cause d’achats techniques de début de mois. Nous avions d’ailleurs terminé notre précédente chronique en émettant l’hypothèse que la fin du mois de novembre pouvait constituer le premier volet d’une phase de rebond un peu plus durable (quelques semaines) que les sursauts sans lendemain des 10 et 28 octobre derniers.
Quel ne fut donc pas notre désappointement face à une chute sans précédent de 5,6% du CAC 40, de 5,85% de l’Euro Stoxx 50 et de 6,1% de l’Eurotop 100.
A peu de choses près, ce sont la moitié des gains de la semaine précédente qui ont été reperdus, et il s’agit de leur plus lourde chute collective depuis le 15 octobre dernier. Cependant, nous n’étions pas au bout de nos désillusions…
A Wall Street, le mois de décembre débute de façon encore plus catastrophique avec une perte de plus de 680 points (sous les 8 150 points) pour le Dow Jones et de 8,9% pour le S&P 500 et le Nasdaq Composite.
Les valeurs financières se sont effondrées de 15% en moyenne. Goldman Sachs et Wells Fargo dévissaient ainsi de 19%, Bank of America et Wachovia de 20%, Citigroup de 22%, Merrill Lynch et Morgan Stanley de 23%.
Plus stupéfiant encore, le Russell 2000 des valeurs moyennes s’est effondré de 11,2% et une seule valeur sur les 500 que compte le S&P est parvenue à clôturer dans le vert — il s’agissait de Rohm & Hass. La totalité de celles appartenant au Nasdaq 100 ont quant à elles terminé profondément ancrées dans le rouge… c’est vertigineux !
** Au-delà de l’intervention de Ben Bernanke — dont les Européens n’avaient pas encore eu connaissance — qui confirme que les Etats-Unis auront besoin de plus que de simples baisse de taux et d’injections massives de liquidités, une étude d’un bureau de recherche économique américain affirme que les Etats-Unis sont en réalité en récession depuis décembre 2007. Nous ajouterons même que le sol financier avait déjà commencé à se dérober sous les pas de Wall Street dès fin février 2007.
Presque simultanément, comme si les investisseurs n’étaient pas suffisamment tétanisés par l’actualité, voilà qu’Arnold Schwarzenegger, le "Gouvernator", déclare l’état d’urgence budgétaire en Californie.
Le plus grand état des USA par son PIB et sa population, frappé de plein fouet par la crise et l’effondrement des prix de l’immobilier, en proie à une sécheresse historique, ravagé par des incendies depuis des semaines, est au bord de la faillite.
** Plus globalement, et quoi que la flambée des bourses ait pu laisser supposer, le flux de mauvaises nouvelles macroéconomiques ne s’est jamais réellement tari la semaine précédente. Et les statistiques d’hier sont apparues sous un jour plus alarmant encore.
Aux Etats-Unis, l’indice ISM manufacturier s’est dégradé à 36,2 en novembre, contre 38,9 le mois précédent, pour s’établir à son rythme le plus bas depuis mai 1982.
Toujours outre Atlantique, les dépenses de construction ont reculé de 1,2% en octobre (contre -1% anticipé), mais le chiffre de septembre a été révisé à la hausse : elles sont finalement restées inchangées par rapport au mois précédent, alors qu’elles avaient été annoncées en baisse de 0,3% en première estimation.
Enfin, si la journée du Black Friday (début de la période des achats de fin d’année) s’est plutôt bien déroulée vendredi (hausse de 7% du chiffre d’affaires dans la grande distribution), il semble que ce soit essentiellement dû à la mise en place de rabais massifs (jusqu’à -70%) afin d’accélérer le déstockage, avec un sacrifice des marges qui ne pourra pas être maintenu d’ici Noël.
** La perspective d’une baisse des taux de la BCE ne semble pas d’avantage consolider la tendance, pas plus que le plan de soutien à l’économie que doit présenter Nicolas Sarkozy ce jeudi.
Quelle sera son efficacité si Angela Merkel, soucieuse de se faire bien voir de l’aile la plus conservatrice du CDU (la plus ultra-orthodoxe en matière budgétaire), continue de freiner des quatre fers et de prier ses partenaires européens de revoir à la baisse leurs ambitions en matière de plans de relance ?
Alors que les Etats-Unis projettent officiellement d’y consacrer 10% de leur PIB — officieusement, les sommes dépensées depuis le début de la crise en représentent déjà le triple –, Angela Merkel estime que 1,2% du PIB pour l’Europe (soit 200 milliards d’euros) c’est déjà trop ! L’Allemagne se réserve certainement pour des temps plus difficiles. Si elle voit juste, alors les investisseurs ont eu raison de prendre leurs jambes à leur cou lundi.
Nous extrapolons à peine, car qu’adviendra-t-il de nos économies si les dirigeants européens continuent de faire étalage de leurs divisions, de se jeter à la figure leur rigueur pour les uns, ou leur volonté de laisser leur nom dans l’histoire pour les autres ?
Pour couronner le tout, Bruxelles souhaite que Matignon et Bercy revoient leur copie s’agissant du plan de soutien aux banques françaises, notamment sur deux aspects : la quantité des prêts ne devrait pas augmenter et les banques bénéficiant de l’aide de l’Etat ne devraient pas se servir de cet argent pour payer de dividendes.
Bruxelles ne trouve en revanche rien à redire aux nationalisations des banques anglaises — le Trésor britannique détient 58% du capital de RBOS ainsi que la totalité de celui de Northern Rock — ou aux injections par dizaines de milliards dont ont bénéficié les banques allemandes pour se sauver de la faillite, sans oublier Fortis et Dexia.
Plus c’est gros, mieux ça passe… et puis cela a été décidé dans l’urgence pour éviter un effet domino dévastateur : messieurs les censeurs, passez votre chemin !
Franchement, après ce genre de symphonie de la discorde, la reprise tant espérée en Europe d’ici fin 2008, nous la sentons mal.
** Outre la réunion de la BCE jeudi dont nous n’attendons rien, sinon le placebo des 50 points de base habituels, les investisseurs pourront mesurer plus précisément la dégradation de la conjoncture avec les chiffres de la productivité américaine, l’enquête sur l’emploi d’ADP, l’indice ISM des services mercredi, et enfin le rapport mensuel sur l’emploi aux Etats-Unis vendredi.
En guise de hors-d’oeuvre, les immatriculations ont reculé de 5,4% en novembre en France d’après le CCFA (Comité des constructeurs français d’automobiles) ; Peugeot voit ses ventes plonger de 17% en novembre. Le chiffre d’affaires du commerce de détail en Allemagne a diminué de 1,6% en octobre — Angela Merkel n’a donc vraiment aucune raison de s’alarmer.
L’activité industrielle a continué de se dégrader en novembre dans la Zone euro. L’indice des directeurs d’achat dans le secteur manufacturier s’est établi à un plus bas de 35,6, contre 41,1 en octobre, ce qui préfigure une sévère récession en début d’année 2009.
Les opérateurs sur les marchés pétroliers ont bien compris la situation. Le baril s’est offert un plongeon tout aussi spectaculaire que celui de Wall Street : -11% à 58,8 $. Les tergiversations de l’OPEP au sujet de la réduction des quotas avaient instauré dès vendredi un climat très baissier sur le NYMEX ; cela débouche sur un véritable minikrach et un retour sur les planchers des 20 et 21 novembre derniers (48,6 $).
Il ne reste plus qu’à prier pour que les indices boursier ne s’engagent pas sur la même trajectoire… mais vu l’impuissance politique et économique que l’Europe semble cultiver avec un soin digne d’un bonzaï cinquantenaire, nous redoutons que les cours de bourse ne redeviennent tout petits… vraiment tout petits.
Philippe Béchade,
Paris