** Paris vient de matérialiser le plus spectaculaire retournement haussier de l’histoire. Il va cependant falloir démêler ce qui relève d’un retour de l’optimisme et de facteurs techniques décisifs — tels que le rachat forcé des positions de vente à découvert.
La semaine qui avait pris une tournure catastrophique jeudi (-10% en quatre séances sur le CAC 40) s’achevait sur une perte insignifiante de 0,7% tout à fait comparable à celle de l’Euro Stoxx 50 (-0,75%).
Dormez, braves gens, vous avez cru qu’il s’était passé quelque chose… mais non, ce n’était qu’un peu de vent sifflant dans le hall d’entrée de Wall Street.
Avec un gain de 4% à la mi-séance vendredi, le Dow Jones repassait dans le vert et affiche une performance hebdomadaire de 0,5%, ce qui compense la baisse symbolique des places européennes. En cumulant les deux hausses de jeudi et vendredi, le S&P 500 engrange 8,5% mais cela reste inférieur aux gains observés en Europe.
** Et quels gains ! Le CAC 40 affiche une hausse de 365 points en une seule séance : c’est historique et les superlatifs manquent ! Ce n’est évidemment pas une performance isolée puisque les gains tutoient les 9% à Londres, Madrid, Milan ou Amsterdam.
L’ampleur de ces écarts suffit à induire le sentiment que le retour de la confiance n’explique pas tout. Des facteurs techniques totalement inédits ont déclenché un krach à la hausse. Le déséquilibre entre acheteurs et vendeurs a en effet été artificiellement amplifié par l’interdiction des ventes à découvert sur 800 valeurs financières à Wall Street et ce jusqu’au 2 octobre prochain.
Les rachats de découverts font bondir les banques américaines dans des proportions jamais observées à ce jour. Citigroup et Bank of America gagnaient respectivement 28% et 22% à la mi-séance vendredi. Il y a une explication évidente : les règles du jeu ont soudainement changé jeudi soir — et pour la première fois "en cours de partie" — sur les marchés anglo-saxons. Les passes en retrait sont interdites, il n’y a plus de hors-jeu pour les attaquants et l’arbitre rembourse les ardoises de tous les joueurs qui se sont pris une raclée au poker à l’issue d’une troisième mi-temps trop arrosée.
Voilà qui conduit les opérateurs à un choix forcé : l’achat ou le rachat. Mais cela devrait compliquer considérablement le fonctionnement des marchés à terme (options, trackers, contrats sur indices…) qui représentent au quotidien des volumes d’échanges considérables.
Cela ne se ressentait pas trop vendredi puisque la barre des 14 milliards d’euros de volumes sur les valeurs du CAC 40 a été franchie à la clôture.
Quelques écarts à la hausse donnaient le vertige : Dexia prenait 22,5%, Crédit Agricole 26,5%, AXA 21,3%, BNP-Paribas 17,5% et Société Générale 20%. Hors CAC 40, Natixis bondit de 25% à 3,07 euros.
** Annoncé hier soir, le plan d’Henry Paulson vise à mettre en place une immense structure de "défaisance" très comparable au CDR qui gérait les actifs pourris du Crédit Lyonnais mais qui est probablement 50 à 60 fois plus important : Bill Gross, le patron de Pimco avance par exemple le chiffre minimum de 1 300 milliards de dollars à la charge du contribuable. Cette structure aura pour rôle d’éponger l’ensemble des actifs invendables des établissements financiers américains.
George W. Bush, qui vantait encore une semaine auparavant la solidité et la souplesse du capitalisme "à l’américaine", vient d’annoncer que l’argent des contribuables appelé à combler le gigantesque passif de la crise financière actuelle aux Etats-Unis risque de partir en fumée. Selon lui, cela vaut mieux que l’effondrement du système dans son entier via la soudaine disparition de la quasi-totalité des établissements de crédit.
Pas question de faire payer les véritables responsables de cette débâcle, cela pourrait heurter leur sensibilité ou ternir la sublime étoffe de leurs parachutes dorés. Les citoyens surendettés paieront une seconde fois le bonheur de continuer de devoir de l’argent à leur banque. A part Lehman, sacrifié sur l’autel de la real-économie, les acteurs les plus fautifs dans la crise des subprime sont ceux qui réalisent d’un point de vue relatif la meilleure affaire. Tous leurs péchés sont absous, les plus vertueux n’en tirent aucun avantage et ceux qui sont farouchement hostiles au principe du "vivre à crédit" devront eux aussi cotiser au renflouement de l’Amérique. C’est le sens du dernier message délivré ce week-end par Henry Paulson : "payez ou vous ferez s’effondrer la finance mondiale".
Le fait que les pays anglo-saxons — et les Etats-Unis en tête de liste — foulent au pied tous les principes du libéralisme et de la dérégulation dont ils exigent le respect le plus scrupuleux chez leurs partenaires ne semble pas émouvoir les cambistes. Tous ces bouleversements se sont traduits par un vif rebond du dollar face au yen. Le billet vert s’envolait de 1,2% face au yen, à 107 yens — c’est la brutale reprise de la mécanique du carry trade — mais il reculait brutalement face à l’euro sous les 1,4450.
Alors que l’activité économique pourrait échapper à la menace de credit crunch aux Etats-Unis, les cours du pétrole refranchissaient la barre symbolique des 100 $, le baril affichant une hausse de 3% à 100,6 $.
** Aucune statistique macroéconomique majeure n’était attendue ce vendredi à Wall Street. De toute façon, l’attention des opérateurs était mobilisée par les événements historiques de cette veille de week-end. La séance des "quatre sorcières", qui suscitait énormément d’angoisse 24 heures auparavant, se solde par un krach à la hausse. La précédente plus forte progression du CAC 40 remontait au 14 mars 2003 avec "seulement" 7,25%. Aux Etats-Unis, le S&P 500 a flambé de 8,4% en 48 heures et affichait sa plus forte hausse depuis le 21 octobre 1987.
A l’époque, l’argent qui s’enfuyait de la bourse avait fait flamber l’immobilier. Mais aujourd’hui, c’est l’immobilier qui carbonise Wall Street. Les pompiers de la Fed et de la Maison-Blanche n’ont aucune chance d’éteindre un incendie de fûts toxiques avec de l’eau pompée dans la piscine des voisins — qui vont se retrouver en caleçon… puisque les "shorts" sont maintenant interdits.
Philippe Béchade,
Paris