Par Simone Wapler (*)
J’étais au bord du désespoir. Depuis des années, je noircis des pages, j’use des claviers pour prédire que les adorateurs du veau d’or en papier monnaie fonçaient droit dans le mur.
J’ai perdu un temps infini à essayer de convaincre que, lorsque les adorateurs du veau d’or en papier monnaie se rendraient compte de leur erreur, la relique barbare selon Keynes — l’or — referait surface.
La catastrophe est bien là, mais la relique barbare ne se réveillait point. Je m’apprêtais à me couvrir la tête de cendre, à cacher mon ridicule au fond d’un bunker hermétique pour quelques décennies. Enfin, n’exagérons rien :pendant un laps de temps simplement suffisant pour qu’on m’oublie à jamais, vu que les bipèdes investisseurs ont la mémoire très courte. C’est d’ailleurs pour cela que les éléphants, qui sont des quadrupèdes à bonne mémoire, ne sont pas investisseurs.
Enfin, bref, je m’apprêtais à descendre dans mon bunker et à me contenter de ma réserve d’eau fraîche, lorsque… miracle ! +11%, oui, l’or prenait 11% en une séance à Wall Street ce mercredi 17 septembre. La plus forte hausse en une journée depuis le 28 septembre 1999.
Dans une marée de monnaie fraîchement imprimée la relique barbare surnage
Ah, peste soit de l’animal, du fossile, de la relique barbare ! Il en aura fallu des tombereaux de papier monnaie fraîchement imprimés pour la réveiller de sa torpeur. Et que je te jette 75 milliards de dollars sur AIG. Paf, prends ça dans la figure, saleté de relique barbare ! Des petits dollars tout beaux, tout nouveaux, nés de la récession. Et à Moscou, un petit coup de 14 milliards d’euros pour soutenir des bourses qu’on a dû fermer depuis mardi, faute d’acheteurs. Et paf, reprends ça dans la figure, saleté de relique barbare. Plus une petite pincée de milliards en Asie pour que des acheteurs puissent s’offrir des actions en berne. Paf, encore un petit coup de pied dans le derrière de la relique barbare.
Alors voilà, la relique barbare est enfin sortie de sa tanière. Elle s’ébroue. Elle s’étire, elle s’échauffe (un tout petit 2% à l’heure où j’écris ces lignes). Elle bâille : hou, comme elle a de grandes dents, la relique barbare. C’est pour mieux croquer les petits investisseurs qui ont cru qu’on pouvait s’en passer.
Il est encore temps de sauter dans le grand train du bon sens qui s’ébranle à nouveau
Pour l’autre catégorie d’investisseurs, c’est une amie. Ils savent la caresser dans le sens du poil. Ceux qui avaient un minimum de bon sens, qui n’ont jamais cru qu’on pouvait s’enrichir en s’endettant, soit à titre individuel — comme aux Etats-Unis –, soit à titre collectif — comme en France. Ceux qui trouvent louche qu’il y ait toujours plus d’euros et de dollars en circulation que le surcroît de richesse nationale.
Tous ceux-là, dans tous les pays, sont déjà montés dans le grand train de l’or. Ils ont résisté à toutes les vicissitudes ; ils ne sont pas descendus à la gare des 800 $, ni à la gare des 900 $, ni à la gare des 1 000 $. Ils ont résisté lorsque, la gare des 1 000 $ passée, le train s’est fourvoyé sur une voie de garage et a été ensuite redirigé par un chef de gare malintentionné en rase campagne entre les gares 700 $ et 800 $.
Prochaine gare à 1 000 $
Mais le train a repris sa marche vers la gare des 1 000 $. Par ses fenêtres, on aperçoit quelques décombres fumants : Bear Stearns, Lehman Brothers, AIG…
Et après, me direz-vous ? Qui sait ? Le train s’enfonce dans l’inconnu. La gare des 1 000 $ est connue, mais les autres étapes moins. Et puis, qui va lentement va sûrement et qui va sûrement va loin. Notre objectif, c’est la gare des 2 300 $. Les sages descendront. Les aventureux continueront. La dernière étape du voyage pourrait explorer des contrées situées à des altitudes totalement inconnues : 3 000 $, 4 000 $. La relique barbare sera alors ballonnée, comme les bulles qu’elle pourfend. Infatuée, elle cédera sa place.
Car l’homme du 21ème siècle ne se promènera pas avec de l’or dans les poches. D’ailleurs, c’est très incommode pour passer les portiques de contrôle dans les aéroports. Le ménage monétaire se fera sans doute. La relique barbare se réassoupira donc. Et le grand voyage de 1999 sombrera dans l’oubli. Jusqu’à la prochaine GAF (Grande Apocalypse Financière)…
Meilleures salutations,
Simone Wapler
Pour la Chronique Agora
(*) Simone Wapler est analyste, journaliste et ingénieur de formation. Elle a déjà contribué à des publications telles que Le Point, Enjeux, Les Echos, Chart’s… Spécialisée dans les valeurs industrielles, les matières premières, les énergies, l’or, les minières Simone Wapler est passionnée par et les investissements "tangibles".
Elle analyse chaque mois le secteur aurifère dans la lettre d’investissement Vos Finances – La Lettre du Patrimoine et elle intervient régulièrement dans l’Edito Matières Premières & Devises ou dans différents rapports d’investissements.
Elle est aussi la rédactrice en chef du magazine MoneyWeek.