** Une baisse de 6,4% en une semaine à Paris et de 5,85% pour l’Eurotop 100, c’est sans précédent depuis septembre 2002 ou mars 2003. Les commentateurs vont tenter de justifier l’effondrement des places boursières par des ventes d’anticipation relatives à la publication des statistiques de l’emploi et par une réaction très négative à la forte hausse du taux de chômage (à 6,1% contre 5,7% en juillet)… Mais avouez que le jeu de massacre auquel nous venons d’assister apparaît comme largement disproportionné par rapport au contenu de l’actualité économique que nous découvrons depuis le 1er septembre.
Wall Street — qui chute de 6% en cinq séances de repli consécutives — avait bien mieux résisté cet été aux rumeurs de faillite de Freddie Mac et de Fannie Mae combinées avec la chute générale des prix de l’immobilier, sur fond de tensions inflationnistes.
Et maintenant que le pétrole vient de rechuter de 40 $ (à 106 $ le baril) tandis que le dollar remonte au-delà de ses meilleurs niveaux depuis le 24 octobre 2007 (1,4250 euro), c’est le moment que choisiraient les indices boursiers européens pour s’effondrer ?
Franchement, les paroles ne collent pas avec la musique ; je suis persuadé que les vendeurs prennent un malin plaisir à disserter sur la mauvaise conjoncture économique et sur les perspectives moroses — alors que le tableau n’est pas pire que début août, lorsque les indices boursiers avaient grimpé de 5% — parce que ce qui motive leurs dégagements est probablement beaucoup plus inquiétant qu’une poussée ponctuelle du taux de chômage.
Cette hausse est certes spectaculaire (de 5,7% à 6,1%) mais elle n’est guère révélatrice d’une situation de crise sur le marché du travail puisque le mois d’août est traditionnellement le plus creux de l’année en termes de créations d’emplois. Et les destructions de postes salariés se sont avérées strictement conformes aux anticipations (-84 000), avec une sévère contre-performance dans le secteur de l’industrie (plus de 50 000 emplois perdus), ce qui était largement prévisible avec la chute d’activité des constructeurs automobiles.
A mon sens, et après avoir discuté avec d’autres journalistes économiques et des gérants de fonds, c’est bien davantage l’effondrement des cours de bourse qui instaure un climat de pessimisme que le constat objectif d’une réelle aggravation de la conjoncture économique.
En d’autres termes, ce n’est pas le chien qui remue la queue mais bien la queue qui remue le chien. Une chute de 5% des indices par anticipation (que ce soit l’emploi, le PIB, l’inflation, les déficits ou autres…), vous en avez observé beaucoup ces dernières années ? Moi, sincèrement, je ne me souviens d’aucune !
La tempête est survenue sans qu’aucun signe précurseur n’alerte les investisseurs. Les marchés n’apparaissaient pas exagérément surachetés et le cyclone Gustav n’avait pas complètement dévasté le sud des Etats-Unis comme les autorités fédérales le redoutaient.
De fait, le mois de septembre s’était inauguré sur une forte baisse du baril de pétrole et une hausse symétrique du dollar qui semblait de bon augure. Par ailleurs, la publication des derniers trimestriels ne validait pas les hypothèses les plus alarmistes du début de l’été.
Comment envisager que le CAC 40 pourrait perdre 370 points (soit 8%) d’une seule traite à l’issue des deux premières séances de la semaine dernière ? Quelles que soient les interprétations les plus négatives relatives aux statistiques publiées depuis mardi dernier, rien n’explique une telle capitulation des valeurs françaises.
** Reste à prendre en considération le communiqué et les commentaires de la Banque centrale européenne à l’occasion de sa conférence de presse mensuelle jeudi dernier. Il y avait de quoi éprouver de la consternation — mais c’est quasi systématique — puisque la BCE réduit ses perspectives de croissance à 1,2% en 2008, contre un bien médiocre 1,5% attendu initialement. Et elle n’envisage pas pour autant d’assouplir sa politique monétaire.
Loin de soutenir l’euro, sa volonté inflexible, et réaffirmée avec emphase, de juguler une "inflation de second tour" plombe au contraire la monnaie unique. Tout ceci renforce le risque de hausse des prix à l’importation, c’est-à-dire tout l’inverse du but recherché par J.C. Trichet.
La chute de l’euro sous les 1,4250 $ — et les 152,5 yens — est donc interprétée comme une fuite des investisseurs face aux perspectives de récession qui se profilent sur le Vieux Continent.
Le patron de la BCE déclarait vendredi matin devant la Commission des finances de l’UE que l’ancrage des anticipations inflationnistes restait une priorité, et que l’aversion des investisseurs au risque — débouchant sur une forte contraction de la valeur de certains actifs financiers — était une étape "pénible mais nécessaire".
Il ne semble pas faire le lien entre l’effondrement des dérivés de crédit, la réticence des banques à prêter de l’argent (notamment pour des achats immobiliers) et le risque de voir nos économies frappées par un cycle de stagflation entraînant une envolée du chômage — péril qui semble tétaniser Wall Street depuis peu.
** La semaine qui s’achève invalide la tendance positive qui se dessinait depuis la mi-juillet. Mon scénario de troisième vague de hausse jusqu’à la mi-septembre est archi-caduc, je n’y reviendrai pas.
Je vous avais promis vendredi dernier de m’interroger sur la pertinence du prétexte des chiffres de l’emploi aux Etats-Unis et sur l’indifférence de la BCE vis à vis de l’anxiété, non seulement des marchés, mais également des citoyens européens face à une croissance que J.C. Trichet voit se contracter encore plus fortement ces prochains mois.
Parmi les pistes qui me paraissent les plus sérieuse, il y a en premier lieu — et cela concerne surtout les Etats-Unis — l’anticipation d’un changement politique qui indispose les milieux d’affaires conservateurs. En effet, l’administration républicaine n’a cessé de leur faire des cadeaux fiscaux depuis 2002, de telle sorte que les millionnaires et les milliardaires en dollars se sont multipliés comme jamais dans l’histoire des Etats-Unis. En second lieu — cela concerne également l’Europe –, il y a le soupçon qu’Ospraie Management (ce qui signifie balbuzard), un fonds spéculatif sur les matières premières qui gérait 2,8 milliards de dollars, ne soit pas le seul à s’être pris une sévère raclée sur les dérivés pétroliers au mois d’août.
Si un tel exemple devait en préfigurer bien d’autres, il faudrait s’attendre à ce que de nombreux gérants se retrouve acculés à liquider dans l’urgence et à tout prix tout ou partie des positions résiduelles conservées sur les marchés d’actions. Ils se lanceraient ensuite dans une vaste rotation sectorielle au profit des commodities qui étaient en pleine ébullition depuis le début de l’année. Acheter du pétrole à 120 $ ou plus n’est pas sans risque, même si des "experts" écrivent de nouveau que le baril terminera l’année 2008 à proximité des 150 $.
** Parmi les facteurs susceptibles de pousser ponctuellement les cours du brut à la hausse, il faudra surveiller le cyclone Ike qui affiche une puissance déjà phénoménale au large des Antilles. Il est classé en "catégorie 4" et pourrait s’avérer comme le plus destructeur de la saison s’il rencontrait des conditions thermiques favorables — mais très préjudiciables aux populations déjà très éprouvées d’Haïti et de Cuba — dans le golfe du Mexique.
Pour terminer sur une note vaguement humoristique — cette semaine a été rude ! –, il ne faudrait pas s’étonner de le voir surnommer "Ike Tyson" s’il passait en "catégorie 5" la semaine prochaine !
Philippe Béchade,
Paris