Savoir gérer la manne… tout un art !
Outre les investissements publics "structurants" (éducation, santé, infrastructures, sans oublier l’effort de recherche), les pays riches en ressources énergétiques peuvent placer leurs excédents grâce à des fonds souverains dont vous avez forcément entendu parler, et qui pour la plupart datent des années 60-70.
Si les fonds souverains et leurs investissements en actions étrangères ne font parler d’eux que maintenant, c’est parce que les revenus du pétrole sont devenus si importants qu’ils dépassent largement les besoins — et/ou les idées — de financement des états. C’est d’ailleurs logique, puisqu’ils bénéficient de la hausse du prix du pétrole.
De plus, la plupart de ces états font partie de la zone dollar. Leur devise étant calée sur le dollar US, les voilà soudainement inquiets — et à juste titre — de la dépréciation de leurs avoirs en billets verts. Bref, il n’est pas incongru de se demander si les pétro-états ont commencé suffisamment tôt à préparer ce fameux avenir, et s’ils n’ont pas négligé l’option qui se cache entre distribution et placement financier.
Des pistes de ski dans le désert ? Humm…
Je ne suis pas sûr que la construction de pistes de ski dans le désert, les politiques budgétaires généreuses qui subventionnent la consommation ou l’achat de chars de combat conçus pour contenir les armées soviétiques dans les plaines d’Europe centrale soient un "investissement structurant".
Bien évidemment, toute ressemblance avec des faits réels serait fortuite… Et bien évidemment, le Moyen-Orient n’est pas le seul concerné. Le Venezuela ou la Russie, par exemple, font-ils le nécessaire pour ne pas tomber dans les travers de la Hollande des seventies ?
Le champ des postulants au mal hollandais s’élargit plus que jamais
Il n’y a aucune raison d’en limiter le champ aux rentes tirées des hydrocarbures. Les autres ressources minières, très abondantes en Australie et Canada, peuvent participer de ce phénomène, de même que les matières premières agricoles dont le Brésil est un grand exportateur.
D’un certain point de vue, l’accumulation de réserves de changes provenant d’excédents commerciaux manufacturiers par les pays d’Asie ressemble fort à une situation de rente. Non pas que l’avantage comparatif asiatique dans l’industrie soit un leurre. Mais il n’en est pas moins dopé par des devises sciemment sous-évaluées, la plupart des pays d’Asie faisant également partie de la zone dollar.
Choses oubliées tendent à se répéter
En guise de conclusion, la théorie que nous venons de vous brosser — à gros traits, nous en convenons — ne fait pas l’unanimité parmi les spécialistes. Il est vrai que l’économie n’est pas une science exacte et que causes et conséquences y sont, par essence, multiples. D’ailleurs, bien malin l’économiste qui diagnostiquera à coup sûr un cas de mal hollandais.
Regardez ce qui se passe sur les devises matières
Soit. Mais ce mal hollandais me semble plutôt éclairant, à l’heure où les cours de toutes les matières première s’envolent. Après tout, si de nombreux financiers — dont Warren Buffett — parient autant sur un real brésilien qui ne cesse de monter, il y a bien une raison. Et peut-être deux. Les dollars canadien et australien sont dans le même cas, alors qu’aucune de ces devises n’a l’assise de l’euro, qui par sa flexibilité paie pour la fixité des régimes de changes asiatiques. En clair : la chute du dollar US n’a pas forcément pour cause unique les politiques monétaire et budgétaire calamiteuses des Etats-Unis.
Rente et responsabilité
Les autres monnaies et les états qui s’en occupent ne sont pas exonérés d’office de leurs responsabilités. Après tout, vous êtes-vous déjà interrogé sur l’état de l’industrie manufacturière des puissances minières ? Ou sur l’état des infrastructures, de la politique sanitaire, de l’éducation et de la recherche-développement chez les exportateurs asiatiques ? Sans doute les réponses à ces questions sont-elles contrastées.
Mais il existe des signes troublants : regardez l’Afrique du Sud, qui vient juste de s’apercevoir qu’elle avait oublié de construire des centrales électriques depuis… 30 ans.
C’est bien ce qui fait l’intérêt du syndrome hollandais aujourd’hui, comme tel était le cas dans l’Espagne de Cervantès. Voilà 430 ans, dans un vieux français aux accents terriblement modernes, Jean Bodin commençait ainsi son discours à Prévost de Morsan, président du parlement du Paris : "Vous savez, Monsieur, les plaintes ordinaires qu’ont fait l’enchérissement de toutes choses"…
Meilleures salutations,
Emmanuel Gentilhomme
Pour la Chronique Agora
(*) Emmanuel Gentilhomme est journaliste et rédacteur financier. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale. Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macroéconomie et à tous les domaines de l’investissement.
Il participe régulièrement à L’Edito Matières Premières.