▪ Le chômage va-t-il continuer à augmenter aux Etats-Unis ? Pour le savoir, il suffit peut-être d’examiner le cours de l’action Wal-Mart, la première chaîne américaine de supermarchés.
Depuis deux ans, alors que le chômage progressait, le titre WMT montait. Depuis début mars, il semble fermement inscrit dans une tendance haussière. Le nombre de chômeurs semble bien parti pour suivre le même chemin.
▪ Dites-moi qui va chez Wal-Mart, je vous donnerai l’état de notre économie
En général, pour essayer d’anticiper l’état d’un marché ou la santé d’une économie, on peut se pencher sur certains indicateurs avancés. L’état de santé des fabricants de puces informatiques nous renseigne sur les commandes qu’ils ont reçues de la part des géants de l’informatique, et donc sur les anticipations de croissance de la consommation.
Même chose avec le Baltic Dry Index, qui mesure le coût du transport maritime : s’il progresse, c’est que la demande de cargos augmente, ce qui laisse augurer une croissance économique.
Cette fois, c’est dans les rayons des supermarchés qu’il faut se rendre pour découvrir l’avenir. Plus précisément, pour dénicher des indicateurs avancés, qui sont une véritable boule de cristal pour les commentateurs économiques. Ils nous donnent des ordres de grandeur qui nous permettent de savoir où nous nous trouvons dans un cycle économique.
▪ Les principaux clients de Wal-Mart sont les chômeurs
Depuis deux ans, le cours de l’action Wal-Mart affiche une évolution parallèle à celle du nombre de demandeurs d’emploi aux Etats-Unis. Pour une raison simple : les populations ayant un pouvoir d’achat plutôt limité (et donc les chômeurs) sont clientes des magasins Wal-Mart. Elles constituent même la majorité de ses consommateurs.
En gros, davantage de chômeurs signifie davantage de clients pour la chaîne. Donc si l’action WMT continue de progresser, on peut s’attendre à une hausse prochaine du chômage.
Il est vrai que la corrélation entre le nombre de chômeurs et l’action Wal-Mart a été un peu moins forte depuis l’hiver dernier. C’est parce que les mesures d’urgence, qui viennent prendre le relais pour un chômeur en fin de droits, sont comptabilisées avec un mois de délai, explique Dan Wantrobski, directeur de l’analyse technique chez Janney Montgomery Scott, qui s’est intéressé à la relation entre emploi et cours boursier de Wal-Mart.
▪ Les mesures d’aides profitent aux chômeurs… et à Wal-Mart !
Des mesures d’urgence ont été prises par le gouvernement américain pour ne pas laisser sur le carreau des centaines de milliers d’Américains ayant perdu leur emploi à cause de la crise et dont la période d’assurance-chômage touche à sa fin. Le renouvellement des programmes d’aide d’urgence est une bonne nouvelle pour Wal-Mart, car ses clients continueront à avoir les moyens d’être clients, justement. Peut-être avec des dépenses plus modestes, mais ils viendront toujours dans ses rayons. Car la fin de l’aide d’urgence signifie une précarisation extrême et le recours à la soupe populaire, pour ainsi dire.
En conséquence, une progression de l’action WMT indique que le marché s’attend à une prolongation de ces programmes, ou à une poursuite de la détérioration de l’emploi aux Etats-Unis.
Pour prédire le niveau de chômage outre-Atlantique, on peut analyser les principales grandeurs économiques, suivre l’évolution de la croissance, des investissements des entreprises, la santé de l’économie chinoise ou les phases de la lune…
On peut également se promener dans les rayons d’un Wal-Mart, et observer ceux qui s’y trouvent (ou non).
[Marc Mayor est le fondateur et président d’Inside ALPHA, une entreprise helvétique spécialiste des approches financières éliminant le risque de marché (investissements dits « ‘neutres au marché »). Depuis plus de 10 ans, Marc analyse avec humour et sagacité le comportement des initiés de la Bourse, notamment dans les colonnes de sa rubrique hebdomadaire « Le Coin des Insiders »‘, qui paraît chaque vendredi dans le quotidien financier L’Agefi (Suisse).]
Première parution dans Le Billet du Trader du 20/05/2011.
__________________________
La Grande Correction, l’or et Arnold Schwarzenegger
▪ Tout ce que nous savons, en ce moment, c’est que la Grande Correction continue de faire son travail. Tous les chiffres nous disent que l’économie est faible… et va en s’affaiblissant. Les mises en chantier, la production manufacturière, la confiance des consommateurs — tous pointent vers un été long, chaud et paresseux.
Pour l’instant, la grande ruée à la vente n’a même pas commencé… mais elle pourrait arriver à tout moment.
Simplement pour avoir le plaisir d’écrire ensuite « on vous l’avait bien dit », voici ce que nous attendons :
- Les performances boursières seront faibles… avec peut-être un krach durant les mois d’été. Les investisseurs commenceront à réaliser que l’économie n’est pas aussi saine qu’ils le pensaient. Et les effets du QE2 iront en s’estompant.
- La Grande Correction, combinée à la bataille que lui livrent les autorités, se poursuivra. Les données économiques seront donc mitigées. Mais aucune reprise claire et réelle ne se déclarera.
- La Fed annoncera de nouvelles mesures — le QE3. Cela pourrait se produire à tout moment, mais suivra probablement une nouvelle crise. Un défaut de la Grèce, par exemple… ou une chute sévère des marchés.
Selon les analystes, les mauvais chiffres ne sont pas limités aux Etats-Unis. Le monde entier ralentit. Les marchés émergents sont forcés d’essayer de contrôler l’inflation. L’Europe s’inquiète de ce qui se passera quand la Grèce fera faillite — prochainement. Et les Etats-Unis subissent le pire ralentissement immobilier de leur histoire. Les prix ont déjà reculé de 33%… plus d’un propriétaire américain sur quatre est sous l’eau… et la dégringolade se poursuit au rythme d’environ 1% par mois.
La situation est grave. Le ménage américain moyen essaie désespérément de garder son niveau de vie. Il n’a pas connu d’augmentation de salaire horaire réelle depuis 40 ans. Les prix grimpent désormais plus rapidement que les revenus — pour les actifs et pour les retraités.
Quant aux Américains qui possèdent une maison, ils s’appauvrissent, collectivement, au rythme d’environ 200 milliards de dollars par an.
D’une certaine manière, bien entendu, ce sont de bonnes nouvelles. L’idée même d’une Grande Correction, c’est d’effacer les mauvaises dettes, éliminer les mauvais investissements et réduire le niveau de vie jusqu’à atteindre un seuil que les gens puissent se permettre. Les autorités protègent peut-être les investisseurs et renflouent les banques — mais elles laissent le pauvre lumpen-consommateur avoir ce qu’il mérite !
▪ Notez que l’or semble avoir terminé sa correction. C’est bien trop tôt à notre goût, et avec une perte bien trop limitée.
L’or fait son travail. Il agit comme réserve monétaire — une chose que l’on peut conserver lorsque d’autres formes de devise tournent mal. A mesure que la Grande Correction fait son travail, les autorités financières font le leur. Elles ont déjà injecté une telle quantité de devise papier dans le système — dont la majeure partie reste dans les coffres — qu’il sera difficile d’éviter une augmentation substantielle des prix (c’est-à-dire une chute de la valeur de la monnaie papier).
Mais les autorités n’abandonneront probablement pas. Le QE2 prend fin le mois prochain. A mesure que la Grande Correction se poursuit, et que l’économie ralentit durant l’été, les cris pour que la Fed « fasse quelque chose » se feront plus pressants. Mais que peut faire la Fed ? Les taux d’intérêt sont déjà à zéro. Le gouvernement fédéral a mis en place le plus grand programme de dépenses contracycliques de l’histoire.
Que reste-t-il ? Rien que d’autres méthodes « non-conventionnelles » — comme le QE3.
S’il a lieu, le QE3 signifiera encore plus de monnaie papier et de crédit dans le système… et des taux d’inflation potentiellement encore plus élevés.
Le Wall Street Journal rapporte que les Chinois sont devenus les plus grands acheteurs d’or au monde. Les banques centrales dans leur ensemble sont redevenues acheteuses. L’argent intelligent achète de l’or depuis 10 ans.
L’argent intelligent sait qu’il faut de vraies réserves — pas uniquement de la fausse monnaie papier. Si la Fed n’appuie pas le dollar sur des réserves « en dur », les consommateurs intelligents savent qu’ils doivent constituer leurs propres réserves.
▪ Est-ce que l’argent rend heureux ? Non, a déclaré Arnold Schwarzenegger.
« L’argent ne rend pas heureux. J’ai aujourd’hui 50 millions de dollars. Mais j’étais tout aussi heureux quand j’avais 48 millions de dollars ».
__________________________
Turbulences sur la Zone euro et chiffres US en berne : les marchés se reconnectent à la réalité
▪ Les places boursières se sont levées du pied gauche ce lundi avec une chute de 1,5% de Tokyo puis de 2,9% de Shanghai. Ces résultats font suite à la parution de chiffres de production manufacturière décevants en Chine selon une estimation jugée crédible de HSBC.
Pékin semble également être parvenu à freiner l’expansion du crédit et ceci alimente maintenant la crainte de l’éclatement de la bulle immobilière. Si cela se produisait, il en résulterait un sentiment de frustration (dissipation du sentiment de richesse virtuelle) qui pourrait affecter la consommation des classes moyennes et supérieures.
Mais le véritable danger réside dans la fragilisation du système bancaire chinois dont la solidité — mise en doute par de nombreux experts occidentaux — serait mise à rude épreuve.
En cas de nécessité d’une recapitalisation massive, il n’est pas difficile d’imaginer que la Chine se montrerait beaucoup moins présente sur le marché de la dette internationale ; cela affecterait sensiblement le rendement des émissions de la Fed et de la BCE.
Sachant que ces deux acteurs sont en concurrence frontale pour capter l’épargne disponible, la Chine aurait alors deux choix possibles. Soit elle se tourne vers une Amérique qui ne lève pas le petit doigt pour réduire ses déficits abyssaux (et qui inonde la planète de monnaie de singe). Soit elle se tourne vers une Europe qui serre les boulons, mais en pure perte car l’austérité ne fait qu’enfoncer les pays périphériques dans la spirale de l’insolvabilité — et que vaut l’euro dans ces conditions ?
▪ Ces derniers jours, les dettes souveraines européennes ont été mises à mal. Fitch a abaissé de trois crans la notation de la dette grecque (réduite désormais à l’équivalent de junk bond) ; le placement de la dette italienne a été mis sous « surveillance négative » par Standard & Poors. Dans ces circonstances, les investisseurs se retrouvent tétanisés par le retour des craintes sur la dette souveraine des pays périphériques de la Zone euro.
N’oublions pas non plus que la notation du Portugal a été dégradée dans l’indifférence générale fin avril… l’économie irlandaise est en état de mort clinique depuis deux ans… l’Espagne triche sur le montant réel de sa dette en faisant comme si les centaines de milliards de créances immobilières douteuses portées par les Caisses régionales ne bénéficiaient pas de la garantie tacite (et bien concrète !) de Madrid.
Dublin — qui accueille aujourd’hui Barack Obama — s’efforce par tous les moyens d’obtenir des délais de remboursement et la mansuétude de la BCE et de Bruxelles concernant les taux qui lui ont été consentis. La presse britannique se montre beaucoup plus discrète au sujet du naufrage irlandais, tandis qu’elle concentre le feu de ses critiques sur le désastre grec.
C’est bien compréhensible car dans le cas de l’Irlande, c’est la City qui se trouve en première ligne. Dans un cas comme dans l’autre, la faillite résulte de causes en réalité très similaires.
Dublin pratique le dumping fiscal au nez et la barbe de Bruxelles et de ses partenaires européens depuis 15 ans ; le pays s’est délibérément privé de tout moyen de collecter les recettes nécessaires à son équilibre budgétaire en période de ralentissement économique.
Athènes a laissé prospérer la fraude fiscale et triché sur l’état de ses finances, avec la complicité active de Goldman Sachs qui n’est guère inquiété pour ce motif. Pendant ce temps, Angela Merkel livre les citoyens grecs à la vindicte de la City et de Wall Street en dénonçant leur train de vie, leur inappétence pour le travail et une législation hédoniste concernant les congés.
Qui est le plus coupable ? Celui qui a puisé allègrement dans le pot de confiture ou celui qui lui a indiqué l’endroit où il était caché et comment se gaver sans vergogne « ni vu ni connu » ?
▪ Et puisque nous passons en revue quelques situations « excentriques », que faut-il penser des Etats-Unis ? Ces derniers impriment 3,14 $ pour générer 1 $ de PIB supplémentaire et tout le monde feint de croire que cette carambouille ne tournera pas à la catastrophe…
Les Etats-Unis nous proposent une version assez comique de la quadrature du cercle. Sachant que le diamètre de son PIB est égal à 15 000 milliards de dollars, calculez le périmètre de sa dette et inscrivez le tout dans un carré correspondant à un billet vert plié en deux.
Ne vous étonnez pas que ceux qui détiennent du dollar se plient en quatre pour s’en débarrasser !
Mais ô paradoxe de la sur-médiatisation des ennuis de la Grèce, de l’Italie et de l’Espagne, c’est l’euro qui a validé un puissant signal baissier en rechutant sous les 1,425 $ puis les 1,40 $. Il entraîne dans son sillage le pétrole qui replonge de 3% vers 97 $ sur le Nymex.
▪ Le coup de projecteur de S&P sur l’Italie a occulté ce lundi les menus soucis domestiques auxquels sont confrontés les Etats-Unis depuis décembre 2010. Nous pensons notamment à la parution de l’indice d’activité de la Fed de Chicago qui recule de 0,4% au mois de mai.
Le PMI affiche son plus faible score depuis le mois d’août 2010. C’est cet indice qui alimentait toutes les spéculations d’une récession en double creux avant que la Fed ne décide de mettre en oeuvre un QE2 pour contrer les risques d’une récession.
Nous mesurons aujourd’hui à quel point il s’avère d’une totale inefficacité pour soutenir la croissance et l’emploi. Les Etats-Unis battent le record de bons d’alimentation distribués au profit des victimes de la crise. Ils sont 43 millions de bénéficiaires, soit au bas mot 15% de la population, une proportion digne des heures les plus sombres de la crise de 1929.
▪ Nous n’allons pas refaire l’inventaire des raisons — tellement nombreuses — pouvant justifier une correction boursière ; notre interrogation concerne le timing de celle-ci.
Pourquoi s’enclenche-t-elle ce 23 mai ?
Pourquoi les marchés se reconnecteraient-ils avec la réalité aujourd’hui alors qu’ils sont parvenus à ignorer Fukushima et la récession japonaise durant deux mois ?
La main invisible a-t-elle attendu la « journée des Trois sorcières » du 20 mai pour empoigner le levier qui tire la trappe ?
Il est prématuré d’assimiler la chute des indices survenue ce lundi à l’ouverture des abysses !
Paris (-2,1%) termine la séance au plus bas du jour, à 3 906 points L’indice subit sa plus lourde correction depuis le 18 avril dernier (menace de dégradation de la dette américaine) et pour des raisons relativement similaires, que nous avons copieusement évoquées en préambule.