▪ Le biais haussier reste présent sur les marchés américains. Nous ne savons pas si cela traduit de louables intentions — comme entretenir un illusoire effet de richesse avant les élections… ou si cela trahit une nouvelle « guerre des logiciels » (prendre le plus d’opérateurs à contre-pied, les gains n’en sont que plus importants). Quoi qu’il en soit, une nouvelle fois, la volonté d’arracher les cours à contre-courant de l’actualité économique semble évidente.
Nous sommes d’autant plus surpris que Warren Buffett n’est même plus écouté par Wall Street. L’oracle d’Omaha reconnaissait ce jeudi que la réalité économique sur le terrain s’apparente toujours à une récession.
Il souligne qu’en dehors des grosses multinationales qui vont chercher la croissance dans les pays émergents (mais ne créent toujours aucun emploi sur le sol américain), les petites et moyennes entreprises ne redémarrent que très lentement… et tout laisse à penser que cela va continuer d’être le cas pendant encore de longs trimestres.
Une reprise sans création d’emplois, ce n’est pas une vraie reprise.
▪ De toute façon, les chiffres du PIB américain sont trafiqués et systématiquement surévalués (de 30%, selon Marc Mayor). De son côté, la Chine procède de manière inverse afin d’échapper — en vain — aux pressions visant à la contraindre à une réévaluation plus rapide du yuan.
Pékin répète mois après mois que les risques de faillite demeurent importants pour les entreprises chinoises (en nette surcapacité de production face à une demande occidentale qui s’éteint lentement) alors que la croissance ne saurait se maintenir aux niveaux actuels. Pourtant, les investisseurs continuent de se ruer massivement vers l’empire du Milieu, faisant le pari que la consommation interne va prendre le relais.
C’est un leitmotiv que nous entendons à chaque réunion d’analyste et de stratèges s’adressant aux gérants de portefeuilles : « la Chine, c’est là où il faut être ».
Ayant débuté ma carrière dans la finance au tout début des années 80, j’ai l’impression de revivre la même scène à 20 ans de distance, d’entendre les mêmes arguments qu’en 1989/90, de revoir les mêmes projections de bénéfices suivre des courbes exponentielles tendant vers l’infini.
A l’époque, « the place to be« , le « must absolu » pour le plus junior des vendeurs d’actions, c’était le Japon.
Les PER à 30 ou 50 en moyenne (selon les secteurs d’activité), c’était la chose la plus naturelle du monde. L’année suivante, ils apparaîtraient divisés par deux — puis par trois dans les 18 mois suivants. A les entendre, c’est Wall Street avec son PER de 15 à l’époque qui était cher !
La Chine vient d’accomplir en 10 ans ce que le Japon avait réussi en 40 ans : partir de presque rien pour s’imposer comme la deuxième plus grande économie de la planète.
▪ Ces deux exploits présentent des caractéristiques extrêmement similaires : orgie de crédit, bulle immobilière, surcapacités de production, corruption, collusion entre les milieux politiques et bancaires… mais il existe aussi des différences, et elles sont de taille.
Pour équilibrer leur budget, la Chine et le Japon dépendent presque exclusivement de leurs exportations. Mais contrairement au yen, le yuan n’est pas convertible.
D’autre part, les « standards sociaux » divergent de façon radicale, avec le maintien d’une large partie de la population dans un quasi-esclavage — tandis qu’une classe de super-privilégiés exhibe ses berlines de luxe (allemandes ou italiennes) dans les avenues de Shanghai et Pékin.
Ces deux capitales économiques sont des villes où les « immigrants de l’intérieur » n’ont même pas le droit de venir dormir ou de s’installer… car il faut pour cela un permis spécial. Si, si, renseignez-vous, c’est de notoriété publique et c’est un règlement tout à fait officiel !
La Cité Interdite est maintenant ouverte aux touristes, mais Pékin est fermé aux prolétaires !
▪ Nous voyons donc les mêmes déséquilibres perdurer et s’amplifier entre l’Asie et l’Occident, sans que rien ne change… ou plutôt si, la valeur du métal précieux.
L’or vient de tester les 1 300 $ l’once… mais Wall Street continue de se comporter comme si aucun nuage n’obscurcissait l’horizon.
A la mi-séance jeudi, le Dow Jones ou le S&P étaient quasi stables tandis que le Nasdaq caracolait avec un gain de 0,6% qui le propulsait au-delà des 2 350 points.
C’est grâce à cela que les places européennes ont considérablement réduit leurs pertes en fin de séance, de -1,5% à -0,5% au final. Deux bonnes statistiques américaines sont en outre venues compenser la déception causée par la hausse hebdomadaire du chômage (+12 000, à 465 000).
Les indicateurs avancés de septembre affichaient une hausse de 0,3% : c’est mieux qu’attendu mais attention aux « effets de base » et autres ajustements saisonniers. Par ailleurs, les reventes de logements anciens ont rebondi de 7,6% au mois d’août.
Ce chiffre a immédiatement été placé à la une des sites d’information anglo-saxons, en caractères super-gras, la merveilleuse dépêche étant repassée en boucle toutes les trois minutes… Mais attendez un peu : les ventes s’étaient effondrées de 27% en juillet, et même après cette embellie, l’activité immobilière aux Etats-Unis a connu le deuxième pire mois de son histoire.
Comment justifier alors un rebond de 1,5% du Nasdaq en l’espace d’une heure de cotation ? Quel bénéfice — direct ou indirect — les valeurs technologiques tirent-elles d’un léger mieux dans le secteur du logement ?
▪ Et voici que ressurgit au grand jour ce fameux biais haussier qui soutient artificiellement Wall Street. Les indices réagissent peu aux mauvaises nouvelles mais ils s’enflamment dès qu’un chiffre plus encourageant est publié — une heure avant sa parution le plus souvent.
Regardez la trajectoire de Wall Street depuis vendredi : il est impossible d’y détecter l’impact des nouvelles macro-économiques qui ont affecté les places boursières de la Zone euro.
C’était particulièrement flagrant ce jeudi 23 septembre ; c’est grâce à ce prodige que le CAC 40 est remonté de -1,75%, à 3 670 points (aux environs de 15 h 30), vers 0,65% à 3 710 points au final — en à peine deux petites heures.
Les indices du Vieux Continent avaient (mal) encaissé en matinée une succession de mauvaises nouvelles, en commençant par un net recul de l’activité industrielle mais également tertiaire en Europe.
Le PMI du mois de septembre, compilé par Markit, chute de presque 2,5 points à 53,8 points, contre 56,2 en août et 56,7 en juillet. Cet indice se retrouve à son plus bas niveau depuis sept mois (le CAC 40 ne valait alors pas plus de 3 600 points).
Autre mauvaise surprise : le produit intérieur brut irlandais a plongé de 1,2% contre toute attente au deuxième trimestre — les économistes tablaient au contraire sur une hausse du PIB de 0,5%.
Les CDS (assurance contre un défaut de paiement) font un nouveau bond… tandis que la tension est à son maximum historique sur le rendement de la dette souveraine irlandaise (la maturité 10 ans se négocie 435 points de base au-dessus du Bund allemand).
Ce n’est que l’aboutissement d’un processus de dégradation que les marchés ont largement occulté depuis une semaine — ils ne voulaient rien connaître de ce genre de problème — et qui leur revient comme un boomerang.
Mais vous pouvez dormir tranquille puisque Wall Street garde la banane !