▪ C’est un ressenti viscéral tout autant qu’un constat désabusé : les marchés n’iront probablement nulle part d’ici ce vendredi qui clôturera l’année fiscale pour l’écrasante majorité des opérateurs ayant recours aux marchés dérivés.
La bourse de Paris, par exemple, n’a rien fait de toute la journée de mardi, oscillant entre -0,15 et +0,15% durant plus de huit heures. Les investisseurs ont eu tout le loisir de faire leurs courses en ligne sans craindre qu’un brusque décalage des cours ne les empêche de terminer de saisir puis de valider leurs commandes.
A une toute petite exception près, mais ce fut une surprise plutôt agréable : le CAC 40 a en effet bénéficié d’un joli coup de pouce au moment du fixing de clôture. Il a doublé les gains affichés vers 17h29 pour en terminer à 3 902,9 points, sur une hausse de 0,27%, c’est-à-dire au plus haut du jour.
Une performance qui nous laisse une nouvelle fois sceptique vu l’étroitesse des volumes (2,65 milliards d’euros) et une volatilité digne de la période de Trêve des confiseurs.
Il est facile de bouger le marché avec quelques dizaines de milliers de titres lorsque les échanges sont aussi peu animés !
▪ Le score final positif pouvait s’expliquer par la bonne tenue de Wall Street : +0,6% à la mi-séance avec un Dow Jones qui tutoyait les 11 500 points. Cependant, ce qui s’explique plus difficilement, c’est précisément cette bonne tenue des actions américaines alors que les taux continuent de se tendre sur le marché obligataire à New York et Chicago.
Et il ne s’agit pas de petits mouvements techniques ponctuels, résultant de quelques arbitrages au profit de classes d’actifs passagèrement décotés. Non, il s’agit bien d’une dégradation franche et massive des T-Bonds qui s’inscrit dans la durée. Le rendement du 10 ans grimpe vers 3,39% (au plus haut depuis le mois de juin) et le 30 ans franchit la barre symbolique des 4,50%.
Les chiffres du jour n’y étaient vraiment pas pour grand-chose. Les marchés obligataires leur avaient d’ailleurs donné l’absolution dès leur publication en ne montrant aucune réaction, ni aux chiffres des ventes de détail de novembre (+0,8% globalement et +1,2% hors automobile), ni à la hausse des prix à la production (+0,8% pour un rythme annuel s’établissant à +3,5% après +4,3% en octobre).
Malgré des rendements qui ont bondi de 50 points de base en 15 jours, Wall Street vole de record en record. Les mécanismes boursiers semblent fonctionner à l’envers depuis que la Fed a laissé entrevoir la mise en place d’un « QE2 ».
▪ La proximité de la journée des « Quatre sorcières » (c’est dans 48 heures) induit une accélération des opérations de window dressing et donc une hausse artificielle des cours. Pourquoi renoncer au plaisir de faire grimper tous les sous-jacents qui servent de base de calcul aux bonus de fin d’année puisqu’aucun règlement ne l’interdit ?
Cette journée de mardi pourrait être placée sous le signe de l’épuisement de la tendance haussière. Le Nasdaq Composite grappillait 0,1% après avoir engrangé 25% depuis le 31 août dernier — et aligné neuf séances de gain sur une série de 10.
Wall Street a de nouveau clairement piqué du nez au cours de la dernière heure, tout comme lundi soir, avant de se redresser in extremis (comme en Europe quelques heures plus tôt, quelle coïncidence !). Les optimistes ne manqueront toutefois pas de souligner que les trois principaux indices de référence ont battu leur record annuel respectif en cours de séance, ce qui confirme l’hypothèse du rally de fin d’année.
D’autre part, l’indice VIX du stress sur le S&P 500 a continué de flirter avec des planchers historiques en demeurant au contact du seuil des 17 (une légère tension l’a fait remonter vers17,8 en clôture). Ce phénomène ne se produit que lorsque les investisseurs sont absolument convaincus qu’aucun nuage d’aucune sorte ne risque de poindre à l’horizon.
▪ Pourtant, les taux longs poursuivent leur dégradation en direction des 3,5% sur les T-Bonds 2020), l’argent-métal reprend jusqu’à 3% en 48 heures — tandis que l’or déborde la barre des 1 400 $. Comme marque de confiance dans un avenir radieux, nous avons déjà vu mieux !
Comment toutes les classes d’actifs (métaux précieux, énergie, actions) peuvent-elles grimper de concert alors que les marchés obligataires dégringolent ? Il faut éventuellement y voir un des nombreux effets aberrants de la surliquidité qui favorise le surgissement des scénarios les plus improbables.
Mais la hausse des indices américains s’est peut-être heurtée lundi et mardi à certaines limites physiques et, nous le supposons… psychologiques.
Résumons-nous : 2% à 2,5% de croissance, 23% des logements en « negative equity« , 10% de chômage, une dette fédérale colossale et des déficits abyssaux. Dans ces conditions, comment se fait-il que le Nasdaq 100 ait réussi à re-tester par deux fois en 48 heures ses meilleurs niveau depuis le 6 novembre 2007 ? Nous parlons-là d’un zénith quasi-historique établi alors que les Etats-Unis accusaient moins de 5% de taux de chômage, 3,6% de croissance et un secteur immobilier en plein essor…
Autrement dit, le Nasdaq 100 a failli valoir plus cher ce 13 décembre — avec une économie qui marche encore à cloche-pied et sous morphine monétaire — que début novembre 2007 lorsqu’elle courait sur ses deux jambes et ne voyait aucun obstacle à son expansion aux Etats-Unis.
▪ L’impact de la santé insolente des pays émergents n’est certes pas un facteur négligeable, mais ce n’est pas une thématique nouvelle. Elle expliquait déjà la survalorisation des valeurs de croissance trois ans auparavant.
Nous pouvions lire partout à l’époque que les BRIC tireraient la croissance mondiale au cours de la période 2008/2010, ce qui s’est avéré exact. En revanche, d’autres anticipations se sont révélées complètement fausses — et elles continuent de l’être.
L’Europe se débat pour ne pas retomber en récession (elle a peu de chance d’y échapper). Parallèlement, quatre pays de l’Union — les fameux « PIGS » — ne connaissent comme seules perspectives d’avenir que l’austérité et une consommation en berne à l’horizon 2013/2014.
Nous sommes bien tenté d’y ajouter la Belgique, en panne chronique de gouvernement depuis deux ans… Cependant, son vide politique lui a peut-être épargné des initiatives économiques malheureuses qui soulagent partiellement des difficultés du présent — mais qui en créent d’insurmontables pour l’avenir… pires que la gestion d’une pluralité culturelle née des hasards de l’histoire : la Suisse s’en accommode bien.