Sous couvert de redonner de la vigueur à l’économie américaine, l’administration Trump accumule les incohérences : droits de douane étendus à tout-va, isolement géopolitique grandissant, et désormais une « réinitialisation monétaire » portée par Stephen Miran, nouveau venu à la Fed.
L’équipe Trump semble avoir le courage… de ses idées fausses. Les faux pas s’accumulent. Cap sur Moscou !
CNBC rapporte :
« L’administration Trump a discrètement élargi ses droits de douane de 50 % sur l’acier et l’aluminium à plus de 400 catégories supplémentaires de produits, renforçant considérablement l’ampleur et l’impact de cette partie de son programme commercial.
Ces nouveaux tarifs, entrés en vigueur lundi, ne concernent plus seulement les matières premières mais désormais des articles comme les extincteurs, les machines, les matériaux de construction et divers produits chimiques spécialisés contenant de l’aluminium ou de l’acier. »
Mais la plus grosse illusion à ce jour reste sans doute la « réinitialisation monétaire », incarnée par la nomination de Stephen Miran à la Fed. Auteur de A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System (Guide d’utilisation pour la restructuration du système commercial mondial) — surnommé « accord de Mar-a-Lago » — Miran est l’un des concepteurs de ce projet.
Jusqu’à présent, les initiatives de Trump pour relancer l’économie ont paru incohérentes, voire contradictoires. On a par exemple répété aux Américains qu’ils se faisaient « avoir » avec leurs barrières tarifaires et non tarifaires trop élevées, rendant nos industries non compétitives.
Or, après avoir fortement reculé depuis la Seconde Guerre mondiale, les droits de douane réels restaient faibles : en moyenne de 2 % à 4 %. Pourtant, au fil des menaces et négociations de l’équipe Trump — mélange de bluff, de fanfaronnades et d’intimidations — nous nous sommes retrouvés avec des droits plus élevés presque partout.
Résultat ? Rien ne change vraiment. C’était illogique.
Puis est venue la dimension géopolitique. La Chine était censée être le rival éternel des Etats-Unis. Mais les attaques de Trump dans le cadre de la « guerre commerciale » ont incité d’autres pays à se rapprocher de Pékin pour plus de stabilité. Chine, Russie, Inde, Japon et Asie du Sud-Est ont ainsi constitué le plus vaste bloc commercial de la planète… sans nous.
Nikkei.com rapporte :
« L’Inde et le Japon pourraient passer de simples partenaires à un biôme puissant en Asie. »
TIME :
« Les relations entre l’Inde et la Chine se réchauffent tandis que les liens entre Washington et New Delhi se refroidissent sous Trump. »
France 24 :
« Xi Jinping se rend à Moscou pour renforcer le partenariat ‘sans limites’ avec Poutine. »
Bloomberg :
« Les droits de douane de Trump devraient favoriser un nouvel ordre commercial dominé par la Chine et le Sud global. Les exportations chinoises ont en effet doublé en dix ans, notamment vers l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine et le Moyen-Orient. »
Et la semaine dernière, la logique derrière cette folie a été révélée… plus délirante encore qu’on ne l’imaginait.
Le président américain ne cherchait pas à réduire les droits de douane, mais à les augmenter. Et il ne visait pas à éliminer le déficit commercial américain. Il semble croire que ces déficits colossaux — plus de 1 000 milliards de dollars par an — peuvent se transformer en une sorte de fonds souverain. Les étrangers réinvestiraient ces sommes aux Etats-Unis, en échange du privilège d’y commercer, dans des projets « orientés » par Trump lui-même.
Ainsi, le Grand Chef ne serait pas seulement prix Nobel de la paix, ni simplement l’être humain le plus puissant de tous les temps – mais aussi le gestionnaire du plus grand fonds spéculatif au monde. Bessent affirme que ce « fonds » dépasserait les 10 000 milliards de dollars !
Et comme si cela ne suffisait pas, les négociateurs américains exigeraient que 90 % des bénéfices de ces investissements reviennent aux Etats-Unis, contre seulement 10 % pour les investisseurs étrangers !
Au départ, ce projet semblait trop absurde pour être pris au sérieux : irréalisable, fondé sur une erreur, inacceptable pour les pays étrangers. Mais nombreux sont ceux qui y croient, et qui cherchent déjà à tirer profit des flux financiers qu’il engendrerait.
La nomination de son architecte à la Fed rendait donc nécessaire un examen plus attentif.
Miran développe son raisonnement avec un jargon économique qui donne une impression de sérieux :
« La cause profonde des déséquilibres économiques réside dans la surévaluation persistante du dollar, qui empêche l’équilibre du commerce international, et cette surévaluation est alimentée par une demande inélastique d’actifs de réserve. A mesure que le PIB mondial croît, il devient de plus en plus difficile pour les Etats-Unis de financer la fourniture de ces actifs de réserve et de maintenir le parapluie de défense, car les secteurs manufacturier et commercial en supportent tout le poids. »
Selon Miran et ses semblables, les Etats-Unis rendraient service au reste du monde en accumulant des déficits commerciaux. En dépensant davantage qu’ils n’exportent, ils fourniraient aux autres pays les « actifs de réserve » dont ils ont besoin. En clair, ils impriment la monnaie qui lubrifie le système mondial.
Mais cette forme « d’altruisme monétaire » — acheter des biens réels contre du papier-monnaie — a un prix pour le pays émetteur : dette massive, actifs surévalués, secteur manufacturier appauvri. Le minimum, selon Bessent, serait que les étrangers « partagent le fardeau » en réinvestissant une partie de l’argent aux Etats-Unis.
Sous la houlette de Trump, cet argent serait dirigé vers les industries « stratégiques » afin de reconstruire l’appareil productif, créer des emplois bien rémunérés et empêcher l’Amérique de sombrer dans le déclin industriel.
On nous assure que « des accords sont conclus ». Les étrangers accepteraient… peut-être même en cédant 90 % de leurs profits.
Mais tout cela repose sur un malentendu. Ni Milton Friedman ni Richard Nixon n’ont rendu service aux Etats-Unis en rompant le lien avec l’or en 1971. Et les Etats-Unis n’ont pas rendu service au monde en imposant le dollar-papier comme monnaie de réserve.
Ce n’était pas un « bien public » : c’était une fraude. Et les déséquilibres actuels en sont les fruits.
Avec une monnaie encore adossée à l’or, les déficits commerciaux auraient dû être réglés en métal précieux. Or on ne peut pas « imprimer » de l’or : les déséquilibres se seraient corrigés depuis longtemps. De même, sans monnaie fictive, nous ne serions pas écrasés par une dette nationale de 37 000 milliards de dollars, ni par des paiements d’intérêts astronomiques, ni par une inflation persistante… et par la perspective d’une faillite.
Avant 1971, il n’y avait pas de déficits commerciaux structurellement déséquilibrés. C’est le faux dollar qui les a engendrés, non le fameux paradoxe de Triffin ni les barrières tarifaires des autres nations.
Ce « faux dollar » – le privilège exorbitant, comme le disait Giscard d’Estaing, d’imprimer de l’argent à volonté – a faussé et corrompu tout le système financier mondial.
Et aujourd’hui, Miran et ses semblables, avec leurs nouvelles pitreries, ne feront qu’aggraver la situation.