L’Allemagne n’est plus la RFA, et la France n’a peut-être pas tant intérêt à lier son sort économique à celui de nos voisins d’outre-Rhin…
Dans de précédents billets, je vous relatais que les vues exprimées par Emmanuel Macron et Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK) dans leurs lettres respectives aux Européens s’opposent bien plus qu’elles ne convergent.
Pour rappel, du côté français, on a redécouvert début mars un technocrate manichéen qui veut faire renaître l’Europe à grands coups de dirigisme centralisateur, en recourant à force bidules administratifs, interdictions et autres subventions.
Du côté allemand, la dauphine d’Angela Merkel a précisé qu’elle entendait bien ne rien mutualiser (surtout pas les dettes publiques ni les systèmes de protection sociale) hormis la police des frontières et… la puissance militaire et diplomatique française.
Comme l’écrit le blogger Franck Boizard :
« Le ‘couple franco-allemand’ n’existe que de ce côté-ci du Rhin. Vu de l’autre côté, les choses sont claires : ‘tout ce qui est à moi est à moi, tout ce qui est à toi est négociable’. »
L’Allemagne n’est plus la RFA
Le « couple franco-allemand » est l’une de ces réalités d’un autre temps auxquelles ne croient plus que les médias et les élites français.
Jusqu’à la fin des années 1980, nos dirigeants collaboraient avec leurs homologues de la République fédérale allemande car chacun y trouvait son intérêt bien compris – en particulier au travers de l’établissement de ce qui deviendra le marché unique et du développement de projets industriels communs.
Le « couple franco-allemand » était alors une réalité ; nos dirigeants s’en accommodaient fort bien puisque la RFA correspondait grosso modo à « l’Allemagne de la Confédération du Rhin créée par Bonaparte, qui était une alliée naturelle de la France », comme le rappelle Éric Verhaeghe.
Du côté allemand, on « a profité du parapluie français – voire de la coupable naïveté des élites françaises – pour faire oublier ses fautes et pour revenir dans le jeu, tout en nous laissant assumer les dépenses militaires qui vont bien », explique le tenancier du Courrier des Stratèges.
A partir de 2001, la France a par ailleurs bénéficié de la crédibilité germanique sur le plan monétaire. L’euro était pour notre pays l’occasion de profiter des avantages d’une monnaie forte tout en rentrant dans le droit chemin de l’orthodoxie budgétaire.
Vous connaissez la suite de l’histoire : par opportunisme politique, notre brillante classe dirigeante a préféré poursuivre sur la voie de la gabegie budgétaire, ce dont on ne lui en tiendra jamais assez rigueur.
Mais ce vieux modèle est obsolète.
Le couple franco-allemand est mort avec la réunification de l’Allemagne
Entre octobre 1989 et octobre 1990, la République fédérale d’Allemagne a réintégré la République démocratique allemande pour redevenir un seul et même pays.
Comme l’explique Éric Verhaeghe :
« La réintroduction de la composante prussienne dans l’entité politique germanique a réactivé de vieux réflexes outre-Rhin, notamment celui d’une organisation internationale du travail tournée vers l’est de l’Europe et destinée à enrichir l’Allemagne elle-même. »
L’euro, les lois Hartz et une propension au Drang nach Osten (la « marche vers l’Est ») économique : voilà les ingrédients de la recette parfaite qui a abouti à une construction européenne « de moins en moins coopérative et de plus en plus germano-centrée », pour reprendre les mots d’Éric Verhaeghe.
C’est ainsi que l’on en arrive à une Allemagne qui veut désormais que la France partage son siège au conseil permanent de sécurité de l’ONU, et à une AKK qui verrait d’un très bon œil le déménagement du siège strasbourgeois du Parlement européen.
Voilà, résumé en quelques mots, le vrai visage de la coopération franco-allemande dans une Union européenne très déséquilibrée – et qui le sera encore plus avec le départ de nos voisins d’outre-Manche.
Quand les élites françaises vont-elles se rendre compte que l’Allemagne ne coopérera plus ?
Comme l’explique Éric Verhaeghe, ces revendications sont « celles d’une nouvelle génération de politiciens allemands qui souhaitent tourner la page de la guerre ».
Pour le moment, nos dirigeants ne cèdent pas un pouce de terrain aux revendications allemandes. Mais ce ne sont pour le moment que de simples appels du pied.
« Jusqu’où la France doit-elle pousser l’amitié avec l’Allemagne ? », s’interroge Éric Verhaeghe. « Ce sujet tabou de ce côté-ci du Rhin ne pourra plus guère donner lieu à des dérobades. »
Nos élites dirigeantes refusent aveuglément de se poser cette question, laquelle – pour les plus fédéralistes d’entre elles – relève du tabou ultime.
Qui coupera le cordon ombilical de l’euro ?
Un jour, il faudra pourtant que nos dirigeants (et les électeurs) fassent un choix. Un vrai. Comme le pressent Éric Verhaeghe, c’est sur l’euro qu’il conviendra de se positionner. Mais cette fois-ci, en prenant acte des conséquences qui s’ensuivront :
« Soit les élites françaises aiment l’Allemagne et l’union économique qui nous lie à elle et… dans ce cas, nous devons harmoniser nos politiques budgétaires. C’est-à-dire, pour parler clair, rentrer dans l’ordo-libéralisme fondé sur la baisse de la dépense publique. Soit les élites françaises ne se sentent pas de purger nos finances publiques, et elles doivent assumer d’abandonner l’euro pour dévaluer et retrouver ainsi une salutaire compétitivité. »
Notez qu’il en va de même pour les Grecs, les Italiens, les Espagnols, et bien d’autres encore, auxquels pas grand-monde n’avait expliqué qu’on « ne peut pas vendre de la camelote avec une monnaie forte » et avec des salaires élevés, pour reprendre les mots d’Éric Verhaeghe.
A posteriori, le discours de Philippe Séguin du 5 mai 1992 à l’Assemblée nationale est tout à fait prémonitoire.
Pas de privilèges sans chaînes
Le drame des Français, c’est que faute d’hommes politiques dotés de la clairvoyance et de la trempe de ce partisan emblématique du « non » au référendum sur Maastricht, on a vite fait de s’accommoder des « chaînes » qui vont avec notre « situation privilégiée mais non méritée », comme l’explique Bruno Bertez.
On ne veut pas voir que ces liens ont in fine vocation à lâcher sous la tension d’une situation économique intenable.
Voici ce qu’explique Bruno Bertez :
« Les Français sont pour l’Europe parce qu’ils ont peur. Peur de perdre les béquilles, les dopages, les sédatifs. Les Français veulent rester dans l’Europe parce que s’ils en sortaient, la remise à l’heure des pendules signifierait une chute de niveau de vie et surtout une amputation des retraites, des patrimoines.
[…] Ils aiment vivre protégés, à l’abri, dans le mensonge d’état et d’élites réunies. Les Français n’aiment pas l’Europe, ils aiment leurs chaînes. Et pour cacher leur veulerie comme tous les larbins, ils haïssent leurs patrons. Leurs maîtres. Les Allemands nous protègent, ils nous font un cadeau monétaire exactement comme ils l’ont fait aux Allemands de l’Est : ils échangent leur monnaie contre notre soumission. »
Jusqu’à Angela Merkel, les élites allemandes avaient la politesse de ne pas demander aux élites françaises de choisir entre les deux possibilités évoquées plus haut.
AKK sera-t-elle celle qui forcera nos élites à voir la réalité en face ? Ou bien la dégradation des perspectives économique en Allemagne conduira-t-elle nos dirigeants à se rendre compte qu’il n’est pas dans l’intérêt de la France de lier son destin à celui de l’Allemagne ?
Nous reviendrons sur l’épineuse question de la croissance allemande prochainement.
1 commentaire
Le couple franco-allemand est aujourd’hui condamné à fonctionner,les uns ont besoin des autres et inversement,vous verrez que le temps fera en sorte que ça ne peut plus être autrement