Par Bill Bonner (*)
Nous maintenons une correspondance épisodique avec Jack Lessinger depuis près de 20 ans. Jack est un "socio-économiste". C’est-à-dire qu’il examine l’ensemble des tendances économiques et la manière dont elles s’intègrent dans le paysage plus large de la vie sociale.
Ce que Jack voit — dans son nouveau livre The Great Prosperity of 2020 ["La Grande Prospérité de 2020", ndlr.] –, c’est une série de booms et de krachs correspondant à la manière dont les gens se voient… ce qu’ils veulent… et comment ils veulent vivre. C’est ce qui définit le capitalisme américain, pense-t-il. Il relie ensuite ces phases du capitalisme américain aux schémas de développement et aux tendances de l’immobilier. Depuis le début du 19ème siècle environ, il voit trois grandes formes de capitalisme — le capitalisme à petite échelle, qui a atteint son sommet au milieu des années 1800… suivi par le développement industriel à grande échelle qui a atteint son zénith, selon Jack, au début du 20ème siècle… suivi enfin par la société de consommation dans laquelle nous avons grandi.
Toutes les grandes tendances se développent, puis s’éteignent. Les prix les suivent. La première vague de développement, aux Etats-Unis, a fait grimper les prix des terrains "à la frontière", d’abord dans le bassin du Mississippi… puis dans les grandes plaines. En termes réels, les terres agricoles dans certaines parties du Midwest ont atteint des sommets, durant la fièvre spéculative des années 1880, qu’on n’a plus jamais revus. Ensuite, le développement de la phase suivante a fait grimper les valeurs dans les grands centres industriels — en particulier à Chicago — dont la croissance dépassait de loin celle de villes plus anciennes comme New York et Philadelphie. Là aussi, on a atteint des prix qui n’ont jamais été battus. Ensuite est arrivé l’Ere matérielle… où le consommateur était roi. Et chaque roi voulait son propre royaume en banlieue… et son carrosse, avec des chevaux fournis par Chevrolet ou Ford.
En élargissant un peu le champ, on s’aperçoit que tout ça se produisait alors que l’économie était bon marché et que l’industrie manufacturière américaine menait le monde durant l’après-Deuxième Guerre mondiale. L’énergie peu chère semblait faire de la vie en banlieue une alternative sensée et abordable à la vie en ville. On y avait l’avantage d’être proche des grandes villes — avec un accès à l’emploi, aux loisirs et à l’éducation. On avait aussi les avantages de la vie à la campagne — une piscine, un jardin, du gazon, de l’air pur et de l’espace.
L’exode vers les banlieues américaines a commencé dans les années 20. A l’époque, les premières banlieues se construisaient au nord de Baltimore… reliées au centre ville par des tramways et des routes pavées. Les familles les plus riches ont commencé par acheter des résidences secondaires dans les régions plus élevées de Guilford et de Mount Washington. Ensuite, à mesure que les transports allaient en s’améliorant… et que les villes étaient de plus en plus peuplées d’immigrants et d’ouvriers… les riches se mirent à vivre toute l’année dans leurs refuges verdoyants.
A mesure que la tendance se développait, les banlieues se sont étendues… et les classes moyennes ont rejoint l’exode. Dans les années 80, ne restaient plus dans les centres-villes que des marginaux.
Parallèlement, durant les premières phases de la tendance consumériste, les salaires des travailleurs ordinaires se mirent à grimper rapidement. On pouvait sortir diplômé du lycée, trouver un travail correct et s’attendre à gagner de plus en plus d’argent — ce qui donnait aux gens les moyens d’acheter de plus en plus de choses. C’est donc devenu le passe-temps national américain. "Qui emporte le plus de choses dans la tombe gagne", telle était la règle du jeu.
Les premières remises en question de cette "culture des choses" sont arrivées tôt, affirme Jack. Les hippies et les mouvements de contre-culture des années 60 étaient une réaction contre les excès du consumérisme. Puis, nourri par la crise pétrolière, on a vu un mouvement de contre-tendance prônant l’auto-suffisance et l’indépendance dans les années 70. Ces attaques ont été repoussées par le crédit et les marchés de bulle. Il semblait insensé de ne pas profiter des avantages de la culture de consommation lorsqu’elle était à son apogée à la fin du 20ème siècle.
A présent, l’économie de consommation touche à sa fin, déclare encore Jack. Elle est usée, vide et démodée. A la Chronique Agora, nous avons décrit la Bulle Epoque — la phase d’explosion finale de la tendance — jour après jour durant la période 2001-2007. A présent, nous décrivons son effondrement. Les consommateurs sont ruinés. Les banlieues sont out. L’appétit pour les choses à cédé le pas à un désir de sécurité, de stabilité et de simplicité.
Le passage d’une tendance majeure à une autre est généralement marqué par une dépression. La période de transition exige des réaménagements, des réévaluations et, souvent, des délocalisations. Les banlieues ne seront probablement pas une zone de croissance, dans la prochaine tendance socio-économique. Il est plus probable que l’immobilier de banlieue aux Etats-Unis a atteint son sommet historique en 2005-2006. Nous ne reverrons jamais plus de tels prix. Les gens déménageront. Ils iront dans de nouvelles zones.
La "saison de la dépression", pour reprendre l’expression de Jack, dure généralement entre 20 et 30 ans. Nous en vivons une actuellement. Il met la fin de la dépression — et le commencement d’une nouvelle période de prospérité — en 2020.
Meilleures salutations,
Bill Bonner
Pour la Chronique Agora
(*) Bill Bonner est le fondateur et président d’Agora Publishing, maison-mère des Publications Agora aux Etats-Unis. Auteur de la lettre e-mail quotidienne The Daily Reckoning (450 000 lecteurs), il intervient dans La Chronique Agora, directement inspirée du Daily Reckoning. Il est également l’auteur des livres L’inéluctable faillite de l’économie américaine et L’Empire des Dettes.