Trump peut-il dynamiter la Fed sans dynamiter son propre mandat ?
Trump a décidé de passer à la vitesse supérieure le 24 août en annonçant qu’il virait Lisa Cook, gouverneure de la Fed, avec effet immédiat.
La formule claque et c’est un régal pour les éditorialistes… sauf que, dans la vraie vie, Trump n’a nul pouvoir de limoger un membre de la Fed, et si jamais il avait trouvé un biais juridique pour fragiliser son poste, la justice mettrait des semaines et probablement des mois avant d’instruire l’affaire, faute de précédent connu et de jurisprudence pouvant être invoquée lors d’un procès.
Mais symboliquement, 112 années d’indépendance de la Fed sont pour la première fois battues en brèche, et Trump prend l’opinion à témoin : Jerome Powell ne baisse pas assez vite les taux, il met en péril les finances du pays (coût de la dette) et saborde la croissance du pays – tout ça parce qu’il « n’aime pas » le président américain.
Comme Powell reste intouchable et que Trump n’a pas de levier contre lui, alors il s’en prend à ses lieutenants. En cherchant bien, il doit bien y avoir quelques casseroles, même peu profondes, à sortir des placards.
Si c’était le gouvernement Bayrou ou les précédents, la moitié des ministres et conseillers seraient en train de négocier leur caution et d’évaluer les avantages du « plaider coupable ». Aux Etats-Unis, la presse dite « de gauche » ne manque pas de s’émouvoir que Trump ait pris pour cible Lisa Cook, la première femme afro-américaine à siéger au board de la Fed, c’est-à-dire à travailler dans l’un des bureaux voisins de celui de Jerome Powell.
L’équipe de Donald Trump a donc investigué et trouvé « quelque chose » : ce serait une « fraude hypothécaire » liée à l’obtention d’un prêt pour une « résidence principale », alors qu’elle en possédait déjà une autre (les conditions de financement d’une résidence secondaire sont moins favorables). Nous ne savons pas si l’infraction est constituée, et la justice US tranchera prochainement.
Si Lisa Cook a effectivement bénéficié d’un prêt immobilier entaché d’une irrégularité (la banque est peut-être également responsable d’un défaut de contrôle), cela justifierait-il qu’elle soit limogée ?
La machine judiciaire a sûrement d’autres chats à fouetter, à commencer par le « cas Trump ». Et ce n’est peut-être pas un hasard si, le vendredi 29 août, une cour d’appel fédérale a statué qu’une grande partie des droits de douane imposés par le président américain – à titre personnel et de façon collective – étaient illégaux, car cela relève, selon la Constitution, des prérogatives du Congrès.
La cour d’appel fédérale a marqué un point (pas suffisant pour suspendre l’application des droits de douane) en rappelant qu’ils ne peuvent être appliqués de façon uniforme et indiscriminée, et à plus forte raison à un ensemble de pays présentant des interactions commerciales hétérogènes avec les Etats-Unis.
Trump dénonce une procédure « politique », émanant de « juges de gauche »… mais, en l’occurrence, ils sont dans leur rôle et disent le droit. Leurs conclusions ne sont cependant pas suffisantes pour suspendre sur-le-champ l’application de surtaxes qui relève – sauf erreur – du « fait du prince ».
Nous avions le sentiment que Trump n’en est pas à son coup d’essai en termes d’abus de pouvoir et qu’il privilégiait le principe « plus c’est gros, plus ça passe ». Mais nous avons découvert au fil des semaines que le président peut en effet virer un gouverneur de la Fed, mais ce ne peut être que « pour faute grave » dans l’exercice de ses fonctions.
L’affaire du prêt potentiellement illégal concerne sa sphère privée, et ses avocats ne manqueront pas de le rappeler.
L’affaire Cook risque de donner lieu à un combat judiciaire homérique qui pourrait se terminer devant la Cour suprême.
La cheffe de file démocrate, Elizabeth Warren, traite Donald Trump de « putschiste monétaire » : cela désigne l’ensemble de son oeuvre, les pressions sur Powell, les insultes, les thèses économiques discutables qu’il présente à sa sauce ou, pour reprendre un terme à la mode, « controversées ».
Que Trump pense-t-il obtenir en réclamant la tête de Lisa Cook séance tenante ?
Il lui suffisait de patienter six petits mois, jusqu’à ce que son mandat prenne fin en février (l’effectif des gouverneurs est partiellement renouvelé tous les cinq ans, les années se terminant par « 1 » et « 6 »), et de la remplacer par l’un de ses obligés.
Mais, en cherchant bien dans les statuts de la Fed, les présidents des banques de district (Lisa Cook est au board de la Fed) sont des employés du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale. Et ce conseil peut révoquer le patron d’une Fed régionale pour n’importe quelle raison, ou même sans raison, quand il le souhaite. Le Conseil des gouverneurs de la Fed n’a asymétriquement jamais voté « non » à la nomination d’un président de banque de district et n’a jamais eu à statuer puis décider de son renvoi.
Pendant que les mois sont comptés pour Lisa Cook à la Fed, Christopher Waller – principal allié de Trump au sein de la Fed – multiplie les déclarations pro-baisse de taux et parle de son souhait de voir un cycle de plusieurs baisses de taux s’enclencher dès le mois de septembre et jusqu’en mars 2026. Cela pourrait déboucher sur 4 × 25 points de base en moins, soit -100 points au total.
Trump pourrait-il disposer de moyens de pression pour que le Conseil des gouverneurs use de son pouvoir discrétionnaire pour écourter le mandat de Lisa Cook ? Et après elle, à qui le tour ?
Trump aurait dans le collimateur Austan Goolsbee, le président de la Réserve fédérale de Chicago, puis John Williams, le président de la puissante Réserve fédérale de New York qui supervise le secteur bancaire et, en d’autres termes, peut déterminer la trajectoire de Wall Street.
En se débarrassant de trois « faucons » et en faisant nommer à leur place trois « colombes », Trump s’assurerait que son favori – qui approuvera toutes les baisses de taux qu’il réclame – bénéficierait d’un vote similaire des remplaçants qu’il ferait nommer et resterait majoritaire en toute circonstance.
Cela, c’est de la « Fed fiction », car dans les faits, Jerome Powell et ses collègues sont confrontés à des chiffres d’inflation qui demeurent élevés aux Etats-Unis en juillet (PPI et PCE), tandis que l’impact des droits de douane va bientôt se lire dans les prochains indices des prix.
Est-ce que Wall Street, qui anticipe à 87 % une baisse de -25 pts le 17 septembre prochain, est prêt à ce que tout s’arrête aussitôt parce que la lutte contre l’inflation est une affaire sérieuse, ou s’accroche-t-il à ses anticipations de trois ou quatre baisses de taux d’ici le départ de Powell… au risque d’une grosse désillusion ?
Mais est-ce que Jerome Powell peut prendre le risque de voir son surnom passer de « Mr. Trop Tard » à « Mr. Krach Boursier » pour la postérité ? Et Trump peut-il prendre le risque de se voir attribuer la responsabilité d’un krach en ayant tenté – malgré les avertissements de Wall Street – de soumettre la Fed à ses quatre volontés, comme il a soumis Bruxelles dans le domaine des droits de douane ?
La limite entre le bluff et l’hubris est de plus en plus ténue chez Donald Trump : franchir cette ligne rouge lui serait fatal.
1 commentaire
Simple hypothèse: si Donald Trump voulait, au delà de ces manoeuvres sur les gouverneurs locaux, reprendre le contrôle de la monnaie américaine comme certains de ses prédécesseurs ont essayé de le faire?
Lincoln en 1863 avec le « green back dollar et JFK en 1963 -pile un siècle au jour près- avec le silver dollar.
Les 2 n’ont pas très bien vécu après cela, mais D. Trump le sait parfaitement