Ou comment certains super-profits se retrouvent démultipliés sous notre nez…
Le montant du déficit commercial de la France a de quoi stupéfier bon nombre de citoyens français : 164 Mds€, c’est un record absolu, et c’est un quasi doublement par rapport à 2021.
Le coupable est tout trouvé : avec la guerre en Ukraine, les prix de l’énergie ont flambé, faisant sombrer notre commerce extérieur. Sauf que les prix du gaz et du pétrole s’étaient déjà envolés en 2021, et la moyenne des prix payés en 2022 est environ 30% supérieure à celle de 2021. On est donc très loin d’un doublement pouvant expliquer la chute en piqué de notre balance commerciale.
L’autre idée très répandue est que la facture énergétique aurait vraiment pénalisé nos entreprises en dégradant leur compétitivité à l’export. Mais alors, à quoi ont servi les centaines de milliards d’euros engloutis dans les aides d’Etat aux entreprises et dans les boucliers tarifaires ?
L’Etat – c’est-à-dire le contribuable – avait dépensé 157 Mds€ en 2021 en subventions, crédits d’impôts et exonérations de cotisations au profit des entreprises privées de toutes tailles et de tous secteurs.
Cela représente deux fois le budget de l’Education nationale, trois fois le coût du service de la dette en 2022, et jusqu’à 30% du budget de l’Etat pour 2021.
Quelques coups de pouces
Ces « aides » consistent essentiellement en des ristournes fiscales. Par exemple, la réduction Fillon, mise en place sous Nicolas Sarkozy, exonère de cotisations patronales les salaires payés entre 1 et 1,6 SMIC.
Vient ensuite la baisse pérenne de cotisations sociales, mise en place en 2019 en remplacement du CICE, qui représente 20 Mds€ par an et exonère de cotisations jusqu’à 2,6 SMIC.
Ensuite, il y a les crédits d’impôts comme le CIR (crédit impôt recherche), consenti aux entreprises qui déclarent des dépenses de recherche et développement, quelles qu’elles soient, puis le pacte de responsabilité (un ensemble de crédit d’impôts voté sous François Hollande).
Sous la pression du Medef, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, déroule les éléments de langage habituels : en aidant nos entreprises (en subventionnant notamment leurs coûts salariaux), le gouvernement s’emploie à restaurer leur compétitivité pour leur permettre de créer de l’emploi.
Cette orgie de milliards n’aurait cependant débouché que sur quelques dizaines de milliers d’embauches (majoritairement sous forme de CDI, heureusement), alors que les millions d’emplois créés revendiqués par l’Elysée se recensent essentiellement dans la sphère de l’auto-entreprenariat, souvent associé à des revenus de misère qui ne contribuent en rien à abonder les fonds de retraite.
Selon le dernier rapport en date de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), « l’efficacité des allègements du coût du travail se retrouve surtout dans le soutien apporté aux marges des entreprises ».
Et ça, c’est la bonne surprise pour les actionnaires : la hausse des marges n’a pas servi prioritairement à créer de l’emploi, ni à relocaliser notre industrie, mais bien à augmenter les dividendes et muscler les programmes de rachats d’actions.
Bénéfices et subventions records
Les directions d’entreprise agissent de façon rationnelle : on leur donne de l’argent public sans conditions et elles en font donc ce qu’elles veulent. Elles le distribuent ainsi le plus volontiers sous forme de dividendes… lesquels avantagent d’abord leurs dirigeants et les grands fonds d’investissement.
Pour le contribuable, c’est la triple peine : son argent n’est pas mis au service de la collectivité mais d’intérêts privés, les ristournes fiscales sont autant de recettes en moins qui creusent le déficit budgétaire (qui n’est autre qu’une masse d’impôts différés, à la charge de ce même contribuables) et le manque d’argent provoque un effondrement de la qualité des services publics, des transports en commun à la santé en passant par tous les autres.
Puis, quand Total Energies, BNP Paribas ou Société Générale dévoilent à quelques heures d’intervalle 20 Mds€ puis 10 Mds€ puis 5 Mds€ de bénéfices, respectivement (alors que le secteur du luxe bat aussi tous les records), les Français ne peuvent que s’interroger sur ce télescopage de profits historiques réalisés « à l’international », malgré le creusement abyssal de notre commerce extérieur.
Le paradoxe se résout avec ce tragique constat : la France importe presque tout, car elle ne produit presque plus rien, et nos entreprises se montrent extrêmement performantes… mais hors de nos frontières.
A l’intérieur, elles excellent dans l’art de capter des subventions : selon une enquête de L’Obs, Total Energies a touché plus d’argent de l’Etat au cours des 10 dernières années qu’il n’a payé d’impôts sur les sociétés en France… et sans jamais être inquiété par le fisc !