Les taux d’intérêt guident l’allocation du capital et la croissance économique, mais lorsqu’ils sont artificiellement abaissés, ils déclenchent des cycles de boom et de récession aux conséquences dévastatrices.
Par Jorge Besada
Les taux d’intérêt jouent un rôle crucial dans le fonctionnement de l’économie. Si les entrepreneurs ne pouvaient emprunter qu’à leurs amis et leur famille, plutôt que de recourir aux prêts bancaires, de nombreux projets ne verraient jamais le jour. De plus, les taux d’intérêt fournissent à la société une forme de « puissance de calcul » quasi miraculeuse.
Supposons que les conditions économiques soient telles que les banques doivent rémunérer les dépôts des épargnants à un taux d’intérêt moyen de 9% et peuvent appliquer aux emprunteurs un taux de 10%, réalisant ainsi une marge de 1%. Par exemple, une banque qui prêterait 1 000 000 $ pour une année, récupérerait 1 100 000 $, reverserait 1 090 000 $ aux déposants et réaliserait ainsi un profit de 10 000 $.
Les personnes qui n’ont pas l’intention de créer une entreprise (ou qui n’ont pas d’idées d’affaires viables) seraient incitées à prêter leur argent aux banques pour bénéficier d’un rendement de 9%. Ce faisant, ils s’abstiennent de consommer, augmentant ainsi la quantité de capital disponible pour prêter des fonds aux entrepreneurs ayant les idées d’affaires les plus prometteuses. Ces entrepreneurs peuvent alors utiliser les fonds empruntés pour financer leurs projets et obtenir un retour sur investissement supérieur à 10%, leur permettant ainsi de rembourser le prêt avec intérêts tout en réalisant un bénéfice.
Quelque chose d’extraordinaire se produit ici. Les taux d’intérêt encouragent l’épargne et la circulation du capital par l’intermédiaire du système bancaire, permettant de créer encore davantage de richesses. Les épargnants qui manquent d’idées, de temps ou de volonté pour se lancer en tant qu’entrepreneurs peuvent tout de même contribuer à la croissance économique et s’enrichir (de manière plus lente) entre 0 et 9% par an.
En revanche, les esprits entrepreneuriaux (tels des processeurs de données surpuissants) qui possèdent les idées les plus prometteuses et la volonté de les mettre en oeuvre dans le but de réaliser un profit peuvent accélérer la croissance économique (au travers de la création d’entreprises générant un taux de retour sur investissement supérieur à 10% par an), permettant ainsi à la société de bénéficier d’une formidable augmentation de sa « puissance de calcul ».
Le taux d’intérêt du marché agit comme un baromètre qui, de manière involontaire (ou pour reprendre l’expression célèbre d’Adam Ferguson, comme « le résultat de l’action humaine, mais non l’exécution d’un dessein humain »), aide l’esprit humain à décider s’il doit épargner ou emprunter.
Il est essentiel de comprendre que, comme l’écrit le grand économiste Henry Hazlitt dans son classique L’économie en une leçon : « L’épargne, dans le monde moderne, n’est qu’une forme différente de dépense. La différence est simplement que l’argent épargné est prêté à quelqu’un d’autre pour être investi dans l’achat de capacités de production supplémentaires. »
Plus les gens épargnent, plus les banques disposent de fonds à prêter, ce qui entraîne naturellement une baisse des taux d’intérêt, puisque les banques se font concurrence pour prêter davantage aux emprunteurs solvables.
Cet effort d’épargne implique également un accroissement de la quantité de richesse réelle disponible pour financer un plus grand nombre de projets entrepreneuriaux. Les fonds que les épargnants n’ont pas consommé et qu’ils ont confié à la place aux banques ouvrent la porte à de nouvelles opportunités d’investissements en capital.
En effet, si les taux d’intérêt sont à 10%, il n’est pas rentable pour un entrepreneur d’emprunter pour financer un projet qui ne rapporte que 9%. En revanche, si les taux d’intérêt baissent à 3% en raison d’une augmentation de l’épargne disponible, alors il devient intéressant pour les entrepreneurs d’emprunter afin de développer des projets offrant un rendement de 9%, leur permettant ainsi de dégager un bénéfice de 6% après paiement des intérêts du prêt.
Cependant, il est crucial de faire la distinction entre une baisse naturelle des taux d’intérêt résultant d’une augmentation volontaire de l’épargne privée et une baisse artificielle des taux d’intérêt provoquée par une politique inflationniste de création monétaire. Que se passe-t-il si les taux d’intérêt se réduisent, non pas parce que davantage de personnes ont renoncé à consommer et ont ainsi accru le stock de capital à la disposition des banques, mais parce que la banque centrale a décidé d’augmenter arbitrairement la masse monétaire ? Dans ce cas de figure, les taux d’intérêt sont abaissés artificiellement en dessous du taux naturel d’équilibre du marché, par exemple à 3% au lieu d’un taux de marché de 10%.
Dans ce second scénario, les taux d’intérêt sont en baisse, comme dans le premier cas, mais cette baisse ne résulte pas d’une augmentation réelle du stock de capital disponible dans les banques grâce à l’effort de sous-consommation des épargnants. Au lieu de cela, elle découle d’une augmentation artificielle de la masse monétaire. Cet afflux de monnaie supplémentaire sera inévitablement dépensé pour acquérir des biens et services, dont la quantité disponible est pourtant resté inchangée. Autrement dit, davantage d’argent « pourchasse » la même quantité de ressources, ce qui entraîne mécaniquement une hausse du niveau général des prix à mesure que la nouvelle monnaie créée se diffuse dans l’économie.
Il faut également noter qu’un certain nombre de projets qui n’auraient pas été entrepris au taux d’intérêt du marché en raison d’une rentabilité insuffisante apparaissent désormais rentables. La baisse des taux d’intérêt encourage donc dans un premier temps le développement des entreprises, la construction de nouveaux bâtiments et d’usines et le recrutement d’employés, déclenchant ainsi une période de boom économique.
Au fur et à mesure que la monnaie nouvellement créée est dépensée, les prix des facteurs de production augmentent également. La croissance des investissements financés par la création monétaire est donc insoutenable à long terme. Cette réalité finit par s’imposer comme une évidence lorsque la demande des consommateurs se révèle insuffisante pour écouler les biens produits à des prix permettant de faire face à l’accroissement des coûts et de générer un profit. Cette mauvaise allocation des ressources se manifeste encore plus brutalement lorsque l’expansion de la masse monétaire et du crédit prend fin. De nombreuses entreprises deviennent alors déficitaires, se mettent en faillite, doivent liquider leurs actifs ou réduire leurs effectifs, marquant ainsi le début d’une période de récession économique.
Ludwig von Mises a imaginé une analogie éclairante pour comprendre ce phénomène. A un instant t, avec par exemple un taux d’intérêt fixé par le marché à 10%, il existe une quantité déterminée de ressources que l’on peut comparer à des « briques » (le capital épargné) suffisantes pour construire un certain nombre de bâtiments, disons par exemple 100 maisons.
Si les individus ont réellement épargné davantage, faisant ainsi baisser le taux d’intérêt de 10% à 3%, il y a maintenant plus de briques disponibles, de sorte qu’il serait à présent possible de bâtir 120 maisons. Cependant, si le taux d’intérêt diminue à 3% non pas en raison d’une augmentation réelle de l’épargne, mais à cause d’une expansion inflationniste de la masse monétaire, alors la construction de 120 bâtiments est entreprise sans qu’il y ait réellement suffisamment de « briques » de côté pour les achever. On assiste alors à un boom économique au cours duquel, dans un sentiment d’euphorie, de nombreux projets sont lancés en parallèle, mais sans fondations solides et les matériaux nécessaires.
En définitive, un plus grand nombre d’entrepreneurs, disposant de cette nouvelle monnaie créée artificiellement, se retrouvent en compétition pour la même quantité limitée de « briques ». Cette demande accrue entraîne une hausse des prix des facteurs de production, poussant encore davantage les entrepreneurs à se précipiter dessus. Cependant, ils devront tôt ou tard affronter la dure réalité : il n’y a pas suffisamment de ressources pour achever l’ensemble des projets qu’ils ont entrepris. Malheureusement, cette prise de conscience n’intervient qu’après que beaucoup de temps, d’argent, d’énergie et de ressources ont été investis dans des projets qui, en fin de compte, ne peuvent être rentabilisés. Lorsque les produits finaux ne peuvent être vendus à des prix permettant de couvrir les coûts et de dégager un profit, la phase de boom prend fin pour laisser place à une crise économique.
Des bâtiments partiellement achevés mais inhabitables représentent évidemment un gaspillage massif de ressources qui auraient pu être utilisées pour la création de produits finis utiles. Même si, finalement, 70 maisons sont entièrement achevées, les briques qui auraient pu permettre la construction de 100 maisons ont été gaspillées dans la construction de nombreuses autres structures inachevées. Une telle situation se solde, après une période de restructuration de l’économie, par sa stabilisation à un niveau de développement inférieur à celui que l’économie aurait pu atteindre si le gouvernement et la banque centrale n’avaient pas artificiellement abaissé les taux d’intérêt par l’inflation. Au lieu d’encourager l’épargne, la production et l’investissement en capital, ces interventions faussent les signaux économiques et entraînent un gaspillage massif de ressources rares. Le processus de développement économique nécessite du temps et des capitaux. A l’inverse, la création monétaire semble aisée mais ne crée aucune richesse réelle. Mises résume parfaitement cette idée :
« L’expansion du crédit n’augmente pas l’offre de biens disponibles. Elle entraîne simplement une réorganisation de l’économie. Elle détourne les investissements de la trajectoire dictée par les conditions économiques réelles et le marché. Elle réoriente la production vers des domaines où elle ne se serait pas développée sans un accroissement préalable la quantité de ressources disponibles. En conséquence, le développement économique pendant la phase d’euphorie n’a pas de fondations solides. C’est une prospérité illusoire. Elle n’est pas réelle. Elle ne découle pas d’une augmentation de la richesse économique, mais d’une expansion du crédit qui crée l’illusion d’une telle augmentation. Tôt ou tard, il devient évident que cette situation économique ne repose que sur du sable. »
Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.
3 commentaires
Je crois que si les citoyens pouvaient décider de l’affectation de 100 milliards de leur propre épargne à l’IA, ils ne le feraient pas , où pas avec cet enthousiasme naîf ou mensonger des journalistes économiques subventionnés. Comme ces 100 milliards sont en fait de la « fausse » monnaie et que l’IA a toutes les chances de n’être au mieux qu’un facteur de production, à moins d’inventer de faux besoins satisfaits par une consommation d’IA, comme nous avons déjà une consommation de « réseaux sociaux », ces 100 milliards sont retirés à la valeur de la monnaie déjà existante.
Il est permis de s’interroger sur la destination de la « fausse » monnaie dont on peut imaginer qu’elle va aux « très riches ». La hausse de certains marché, comme le dax, étonne, n’est ce pas. Si cette hypothèse s’avère, en partie, exacte cette monnaie disparaitra à la prochaine crise financière. Merci pour cet article revalorisant l’épargne vertueuse si mal aimée de nos gouvernants.
Cet excellent article permet de mieux comprendre comment nos dirigeants réussissent à détruire l’industrie et l’esprit d’entreprise : simplement en ruinant les épargnants .
Reste à comprendre la finalité de ce massacre.