Combien de Syriens vont rentrer en Syrie, combien risquent d’en partir ?
Le début de cette chronique constitue une « suite » (et certainement pas une fin) de l’analyse de la situation en Syrie telle que vous ne la découvrirez pas au 20h, ni dans les médias atlantistes, soucieux de n’indisposer ni l’Elysée, ni nos alliés occidentaux.
Le régime de Bachar el-Assad est tombé en 12 jours, avec initialement peu de victimes, ce dont on ne pouvait que se réjouir, et un plan de communication de dédiabolisation mitonné par la CIA en faveur d’Abou Mohammed al-Joulani (dont le nom de guerre est Ahmed Hussein al-Chara).
Son parcours donne un peu le tournis : initialement membre d’Al-Qaïda en Irak (ce qui lui vaudra de la prison à Bagdad), il se rend en Syrie pour créer une mouvance djihadiste anti-El-Assad mais surtout pro-charia baptisée Al-Nosra, qui ne tardera pas à entrer en conflit avec l’EIIL (ou Daech, ou encore ISIS) avant de s’affilier à Al Qaïda en 2014 (mouvance internationale), et de rompre de nouveau son allégeance en 2016 pour s’imposer en 2017 comme émir de la mouvance Hayat Tahrir al-Cham (HTC).
C’est depuis son fief d’Idlib qu’il lancera son offensive triomphale sur Damas (le lendemain même de l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah), avec l’appui manifeste des Américains, des Saoudiens, puis d’un laisser faire bienveillant de la Turquie (qui lorgne sur le Kurdistan syrien, la région d’Alep et la vallée de l’Euphrate).
Lors de son interview sur CNN, l’homme sur la tête duquel avait été placée une prime de 10 millions de dollars par les Etats-Unis pour terrorisme et complicité de crimes contre l’humanité pour son action en tant que leader djihadiste en 2012/2013 se présente comme un résistant à la dictature de Bachar el-Assad, un leader pragmatique et conciliant (vis-à-vis des autres minorités religieuses), soucieux de réunifier son pays, en évitant de commettre les mêmes erreurs que le front Al-Nosra, qui s’était montré un peu trop rigoriste (doux euphémisme alors que des témoignages de massacres et d’exactions abondent).
Aux dernières nouvelles – qui comme je le répète, ne sont pas celles du 20H –, les exécutions sommaires des cadres du parti baasiste, de chefs militaires de l’armée de Bachar el-Assad circulent sur les réseaux. Ce ne sont pas des images de synthèse, mais des vidéos de propagande diffusées par des groupes rebelles affiliés à THS qui ne semblent pas avoir entendu les appels à la modération de celui qui se présente comme leur chef, avec l’assentiment empressé des Occidentaux.
Des vengeances sont évidemment inévitables : le régime el-Assad a emprisonné, torturé ou éliminé des centaines de milliers de Syriens et commis des crimes impardonnables qui ne donneront pas lieu, vu les traditions locales, à un « procès de Nuremberg », ni même à un jugement « pour la forme » mais couru d’avance, comme pour Saddam Hussein.
Cela ne choquera que très modérément les médias occidentaux, et ne constituera pas un argument pour décrédibiliser Abou Mohammed al-Joulani.
Comme dans tout conflit qui implique les services secrets occidentaux, il est crucial de pouvoir mettre en avant un interlocuteur « raisonnable » et ouvert au respect de certains principes démocratiques (ou même de faire croire qu’il existe au moins un décideur avec lequel négocier).
Il ne faudrait pas que les preuves de violation de certaines « lignes rouges » (et l’exécution de grands criminels du clan Assad n’en fait pas partie) se multiplient, et notamment un basculement dans un scénario de type « instauration d’un Etat islamique » avec application de la Charia, interdiction de certaines professions aux femmes (comme par exemple, juges ou magistrates, ministres, professionnelles de la santé auscultant des hommes, et réciproquement s’agissant de médecins masculins), puis restrictions de libertés publiques (interdiction pour une femmes de sortir non accompagnée d’un membre de sa famille et non voilée, etc.).
Pour l’heure, nous ne disposons que de premiers témoignages « d’interpellation » de femmes se déplaçant seules. Il peut s’agir d’excès de zèle isolés de la part de rebelles pas encore briefés sur les principes que l’Emir (c’est son titre) Al-Joulani souhaite voir appliquer.
Alors que des millions de Syriens ayant fui la police de Bachar al-Assad, ou les djihadistes depuis 2012, s’apprêterait à rentrer au pays depuis leur exil en Turquie, au Liban, en Irak, il ne faudrait pas que les millions de Syriens non musulmans (chrétiens, druzes, alaouites, etc.) se sentent contraints à leur tour de quitter le pays de toute urgence pour échapper à un « scénario à l’afghane ».
Mais vu le pedigree du leader d’HTS et celui de ses frères d’armes, recrutés dans les rangs d’Al-Nosra et EIIL principalement, il va lui falloir beaucoup de pédagogie pour obtenir l’application par ses troupes d’un « islam modéré ».
Tout le monde se souvient de cette phrase célèbre d’Henry Kissinger, le célèbre secrétaire d’Etat sous Richard Nixon et Gerald Ford, décédé il y a un an : un « islamiste modéré, c’est quelqu’un qui pense que les membres d’un peloton d’exécution devraient être élus démocratiquement ».
C’est lui qui disait également à propos de la politique extérieure des Etats-Unis : « L’illégal, nous le faisons immédiatement. L’inconstitutionnel nous prend un peu plus de temps. »
Anthony Blinken, l’actuel secrétaire d’Etat américain – qui continue de superviser l’exploitation du pétrole syrien depuis 2016/2017 par une compagnie américaine et des sociétés kurdes (ce qui a ruiné économiquement le régime de Bachar el-Assad) et qui reste en fonction jusqu’en 20 janvier prochain – est son digne héritier spirituel.
3 commentaires
.L’Islam modéré c’est rarissime et l’islamisme modéré cela n’existe pas.
Je n’ai ps de catte bancaire et ne peut régler que par chèque, désolé!
Superbe article d’ ‘information sur des sujets méconnus
Merci
Cordialement