** Cette question nous préoccupe depuis des années : comment se fait-il qu’un homme raisonnablement intelligent puisse parfaitement conduire une voiture sans se tuer, alors que si on lui demande son avis sur le réchauffement climatique, la guerre contre la terreur ou l’éducation publique… on obtient des sottises si ridicules qu’on a du mal à en croire ses oreilles ?
* Nous avons mentionné à plusieurs reprises qu’il y a un monde de différences entre une réunion municipale dans un petit village et un gouvernement fédéral. La taille d’une réunion municipale est telle que le cerveau humain peut la gérer. Vous pouvez savoir qui sont vos interlocuteurs — les crétins, les bavards qui n’ont que leur intérêt en tête et les autres.
* Mais en matière de politique nationale, l’homme de la rue est entièrement mal équipé… comme un mécanicien qui viendrait au travail avec un râteau… ou un vétérinaire armé d’une clé à molette. Il ignore les faits… il ne connaît rien aux procédures… et il ne sait absolument pas comment diriger les choses. Il ne peut distinguer les trompeurs des gaffeurs honnêtes. Il a perdu les points de référence qui sont importants pour lui. Il ressemble à un conducteur qui ne verrait que du brouillard devant lui. Il tourne le volant à gauche… mais la voiture oblique à droite. Il freine, et son véhicule accélère !
* Que peut faire notre homme… sinon recourir à des mensonges et des simplifications si grossières qu’on en a le souffle coupé. "Si on ne combat pas les cocos au Vietnam", disait-il en 1965, "il faudra les combattre en Californie !" "Si on veut des gens mieux éduqués, il faut dépenser plus pour l’éducation", disait-il en 1975. "Si on ne lutte pas contre l’Empire du Mal, il finira par dominer la planète", disait-il en 1985.
* Que peut-il faire ? Il remplace la connaissance et l’expérience locales par des slogans creux. Il remplace les preuves détaillées qu’il a sous les yeux par des généralisations catégoriques sans finesse. Pendant ce temps, les chiffres précis et les calculs complexes qu’il ferait pour lui seul cèdent le pas à des statistiques et des moyennes.
* Le monde de la télévision devient lui aussi réel… un monde où les détails locaux sont gommés et remplacés par des caricatures et des moyennes nationales. Cela fait naître une connaissance entièrement neuve. Des critères sont mis en place, qui correspondent non pas aux coutumes locales ou à l’expérience individuelle… mais à la grande vague d’émissions nationales et de publicités — une vague qui efface les particularités… et délave les couleurs locales. Tout en vient à être perçu au travers de la lumière grise et blanche des retransmissions télévisuelles.
* Au lieu de parler son dialecte local, l’homme ne tarde pas à parler la lingua franca des nouvelles du soir. Au lieu de porter les vêtements qu’il aime, il s’habille comme le veulent les grandes enseignes de prêt-à-porter.
* A mesure que l’échelle de son monde augmente, les nuances et les particularités locales perdent leur attrait. Il commence à se percevoir, lui et son univers, en de nouveaux termes. Peu lui importe que sa maison soit confortable et jolie selon ses propres termes ; elle doit désormais être acceptable en termes nationaux. Il se rend compte que bon nombre de gens vivent dans des maisons qui ne correspondent pas aux standards. Bien entendu, toute cette idée n’a aucun sens sans standard… ledit standard ne pouvant être fixé par l’individu lui-même. Non, c’est un standard défini par des gens n’ayant aucune connaissance détaillée. Ce sont des critères basés sur des moyennes… des généralités… et des informations publiques. Combien de mètres carré par personne ? Combien de chauffage ? Combien d’air conditionné ? Ensuite, pour s’assurer que toutes les maisons répondent aux critères, on impose des règles. Le propriétaire ne peut plus se demander : "est-ce que cette maison est assez sûre pour moi ?" A présent, la question est : cette maison répond-elle aux critères de sécurité modernes ? Selon ces nouveaux critères, même Louis XIV, le Roi-Soleil, vivait dans une habitation indigne.
* L’éducation prend elle aussi une nouvelle allure. Il ne suffit plus d’apprendre des choses ; de toute façon, les bureaucrates sont incapables d’organiser un véritable apprentissage individuel. Ce qu’ils peuvent organiser, c’est l’éducation… où l’apprentissage est standardisé de sorte qu’il correspond à un nouveau critère national plus vaste. Les "éducateurs" ne se soucient plus des étudiants tels qu’ils sont réellement, ni même du programme local. Tout le monde doit apprendre la même chose. Et on doit l’apprendre de la même manière. L’univers peut être infiniment complexe et détaillé, mais dans le programme éducatif national, les détails doivent être rabotés… comme les fines moulures d’une vieille maison… de sorte qu’il ne reste plus que de l’espace standardisé et mesurable, qui peut être quantifié et alloué par des bureaucrates — lesquels n’ont peut-être jamais vu un seul étudiant de leur vie. Les critères de l’éducation nationale ne sont plus à la hauteur ? Dépensons plus d’argent pour augmenter cet espace !
* Qui se soucie de savoir si les gens apprennent quelque chose ou pas ? Le plus important, c’est qu’on gave tous les pauvres étudiants des mêmes sottises, de manière à ce qu’ils puissent quitter la machine avec les mêmes préjugés et les mêmes illusions.
* Nous n’en resterons pas là de nos réflexions… rendez-vous dès demain !