▪ La séance du vendredi 5 septembre, ponctuée par la publication des statistiques de l’emploi américain, a fourni aux sherpas de Wall Street l’occasion de démontrer leur détermination à éradiquer toute possibilité de croire que les indices américains reflètent la glorieuse incertitude du combat homérique entre acheteurs et vendeurs : les acheteurs ont un bazooka, les vendeurs une épée de bois.
Le ciblage algorithmique s’est avéré une nouvelle fois d’une remarquable précision. Les sherpas nous ont fabriqué un nouveau record historique du S&P 500 (2 008 points) à la dernière minute.
Cela prouve — s’il en était encore besoin — que la fonction du marché ne consiste plus à deviner la valorisation la plus pertinente d’un actif. Désormais, il doit se conformer aux scripts déterminés des jours et probablement des semaines à l’avance (c’est essentiel pour les prises de positions sur les produits dérivés par les plus gros intervenants).
L’éradication de la volatilité sur une période incroyablement étendue de plus de huit trimestres, des cours de clôture programmés au dixième et même au centième de pourcent près… Tout cela a pour contrepartie la neutralisation du « libre arbitre » du marché.
Que l’actualité, la conjoncture, les profits correspondent ou non aux attentes (comme les créations d’emploi très décevantes au mois d’août), les cours finaux restent invariablement conformes à ce qui a été programmé.
Depuis quatre ans à Wall Street — et depuis juillet 2012 en Europe –, la réalité présente ou anticipée n’a plus aucune incidence sur l’appréciation linéaire des actifs financiers.
Ce fut longtemps nié avec force par beaucoup de gérants (pas dupes mais qui voulaient se faire passer pour perspicaces) ; c’est aujourd’hui ouvertement revendiqué avec un large sourire par nombre de commentateurs et de professionnels de la finance s’exprimant chaque soir sur CNBC, Bloomberg, Fox TV…
Oui les banques centrales ont un plan. Oui, elles mènent le jeu, décident de la valeur des dettes souveraines, de la pente ascendante des indices boursiers (un record historique toutes les quatre séances pour le S&P depuis six mois)… et cela va continuer ainsi pendant encore des mois et des trimestres. Rien de mauvais ne saurait plus se produire dans un avenir prévisible, les actifs financiers sont voués à progresser inexorablement, aussi loin qu’un gérant puisse se projeter.
Jamais les marchés américains n’ont remis si longtemps et avec une telle confiance leur sort entre les mains des banquiers centraux qui décident de toutes les valorisations à leur place. C’est la BCE qui prendra le relais de la Fed dès le mois d’octobre, peut-être épaulée par une banque du Japon contrainte de surenchérir dès cet automne, pour cause de croissance obstinément rétive à ses injections.
▪ Oui mais…
Les marchés peuvent-ils être réduits indéfiniment au rôle de simples courroies de transmission de politiques monétaires expérimentales qui tardent (c’est un euphémisme) à porter leurs fruits dans le monde réel ?
Il n’y a pas de précédent historique permettant de répondre résolument par la négative.
La seule certitude, c’est que tout le monde — même les derniers défenseurs de la théorie des marchés efficients — admet que les prix des actifs sont administrés de façon totalement assumée par les banques centrales… et que c’est bien agréable (à condition de ne pas s’interroger sur la contrepartie de ce prodigieux miracle qui ne coûte prétendument rien à personne).
Voilà, c’est un fait désormais acté : les banques centrales occidentales — dont le rôle devrait se borner à huiler les rouages ou à calmer les excès des marchés — ont délibérément anéanti le marché. Elles n’ont plus besoin de lui puisqu’elles ont un plan infaillible bien à elles.
En comparaison de la Fed, l’activisme de la banque centrale chinoise pourrait presque passer pour timoré tant les agents économiques semblent en faire à leur guise par rapport aux stratégies assignées par les autorités de tutelle. Seul l’encadrement du yuan reste parfaitement maîtrisé… Normal : il est inconvertible.
Et c’est cette notion d’inconvertibilité qui s’impose aujourd’hui au coeur du débat théorique sur l’action des banques centrales occidentales.
Les liquidités « inventées » par les banques centrales, qui constituent une subversion historique de la monnaie-dette, restent inconvertibles en investissements dans l’économie réelle, en emplois robustes (par opposition aux « jobs kleenex »), en redistribution de la richesse sous forme de pouvoir d’achat.
▪ L’immobilier au premier rang
Le degré de consanguinité des banques systémiques avec la Fed, la BCE, la Banque d’Angleterre est tellement élevé, la culture du gain rapide et prétendument sans risque est tellement ancrée qu’il apparaît impensable de convertir un placement qui dégage entre 15% et 30% de plus-values en rythme annuel depuis deux ans (respectivement les dettes périphériques et les actions) en prêts aux entreprises compte tenu de marges quasi-nulles tandis que les risque d’insolvabilité s’accroissent à mesure que le pouvoir d’achat des classes moyennes occidentales se dégrade.
En Chine, ce pouvoir d’achat progresse globalement depuis 20 ans — enfin surtout pour le quart déjà le plus aisé de la population… –, mais la consommation avance plus lentement que nous l’imaginons car la propension à épargner demeure considérable, en l’absence de système viable dans le domaine des retraites, de l’assurance-chômage, de la prise en charge des frais médicaux.
Le principal support de l’épargne longue demeure l’investissement immobilier. Voilà le réflexe typique des populations de pays en voie de développement gangrénés par la corruption… et de celles qui redoutent un accroissement de la précarité sociale et professionnelle (où posséder un toit devient une obsession).
Cette précarité, ce manque de confiance dans la capacité d’un Etat à garantir la valeur de l’épargne sur le moyen ou le long terme constitue aujourd’hui le dénominateur commun de pays occidentaux qui ont choisi la fuite en avant dans la dette… et de leurs créanciers trop laxistes qui peuvent légitimement douter d’être jamais remboursés du principal. Ils se contentent aujourd’hui de la promesse d’une poursuite du versement des intérêts de la dette… ce qui démontre que cette dette n’est déjà plus convertible.
C’est tellement vrai que les quatre principales banques centrales mondiales — et leurs relais dans le système bancaire — sont parfois devenues les seules acheteuses des émissions souveraines à long terme des zones monétaires qu’elles supervisent. C’est le cas du Japon et des Etats-Unis où 100% des émissions à 30 ans sont trustées par les banques centrales.
Puisque les dettes ne seront pas remboursées, inutile de continuer à faire semblant qu’elles le seront un jour. Les banques centrales ne prétendent rien de tel, elles se contentent juste de les racheter à la valeur qu’exigent leurs partenaires (et actionnaires) bancaires, en émettant un montant équivalent en monnaie de singe… La même que nous retrouvons sur nos comptes en banque sous l’appellation de « monnaie fiduciaire ».
Cette fausse monnaie a toujours été détruite historiquement par l’inflation mais l’exemple du Japon depuis 1990 témoigne qu’il existe une exception à la règle.
▪ Epargne et représailles
La « non-inflation » est obtenue par la désindexation des salaires associé à la privation de revenus complémentaires par le bais de rendements nuls offerts aux épargnants (effet de ciseau sur le pouvoir d’achat).
Ces derniers devraient en représailles se détourner de ces dettes sans rémunération… mais l’Etat leur oppose une répression financière sans merci. Leur épargne reste captive du système bancaire — à qui la loi fait obligation de ramasser ce que l’Etat met sur le marché.
[NDLR : Ne laissez pas votre patrimoine « prisonnier » de ce cercle vicieux ! Pour l’en sortir sans plus attendre, continuez votre lecture…]
Puisque 95% de la population s’appauvrit, pas d’inflation en vue. Et puisque 95% du crédit n’est accessible qu’aux 5% les plus fortunés, la monnaie fictive se transforme en actifs financiers, et, en fin de compte, en giga plus-values… à 95% virtuelles puisque 95% de la population ne capte que 5% de la richesse échappant encore à l’hyperclasse régnant sur Wall Street et le Congrès américain.
Cette ultra-richesse est donc à 95% inconvertible… sauf si nos comptes en banques sont convertis de force en de nouvelles créances dotées d’une valeur fictive correspondant algébriquement au montant des créances non-cessibles et non-remboursables avec lesquelles sont « collées » les banques centrales.
En d’autres termes : l’ultime structure de défaisance (pourrissoir à dettes irrécouvrables), c’est votre compte en banque puisque les liquidités qui y figurent ne sont rien d’autre qu’une reconnaissance de dette.
Dans le cas d’un système financier devenant insolvable, il n’y a qu’un seul choix : soit vous n’êtes remboursé que très partiellement (il s’agit d’un reset pur et simple de la dette avec comme conséquences probables chaos, révolution, faillite générale du système)… Soit vous recevez un paquet d’actifs initialement non-négociables mais dont on vous explique qu’il s’agit d’un droit à percevoir une fraction de la richesse future : une hypothèse séduisante puisque le monde s’est ingénieusement débarrassé de ses mauvaises dettes.
Dans le même temps, les banques centrales ont apuré leur bilan et se sont refait une virginité.
Et les 5% de super-riches dans tout ça ? Leurs plus-values cessent d’être virtuelles en l’échange d’une décote significative sur la valeur de la monnaie-dette… mais mieux vaut une décote qu’une vaporisation quasi-intégrale du capital si les actifs qu’ils détiennent étaient soudain estimés à leur valeur marché — c’est-à-dire à l’image des taux : proche de zéro.
Et pour les 95% les plus pauvres… mieux vaut une gigantesque spoliation qui anesthésie ses victimes qu’une banqueroute pitoyable qui révolte les consciences et engendre le chaos.