Dans le système actuel, les valeurs sont tellement faussées, déformées, tordues que les intervenants pensent pouvoir prendre tous les risques qu’ils veulent – la Fed sera toujours là en sauveur de dernier recours…
Sur les marchés à volatilité réduite, les participants sont encouragés à croire qu’ils peuvent acheter et vendre tous les titres qu’ils veulent, dans les quantités qu’ils veulent, sans perturber les prix et la liquidité du marché.
C’est la définition de la « monnaie-itude », la croyance que les actifs financiers ne sont que de la quasi-monnaie, de la monnaie différée.
Croyance que, toujours, quand on a des actifs financiers on peut, quasiment sans pénalité, les échanger contre de la monnaie banque centrale.
Vous remarquerez que la croyance en la monnaie-itude pose deux postulats :
D’une part le fondamental, c’est-à-dire que le monde extérieur n’a pas d’importance, de sorte que l’argent ou quasi-argent ne cherche jamais ses contreparties réelles.
L’argent reste toujours piégé sur les marchés financiers, dans l’imaginaire financier. Tout ce qu’il peut faire, c’est se mettre en risk-on ou en risk-off, ou acheter de l’or papier ou des bitcoins.
D’autre part il n’y a pas de limite interne endogène au système qui repose sur cette monnaie-itude. Le système de la monnaie-itude, en dernière analyse, consiste à délocaliser l’activité bancaire et à la mettre sur le marché financier mondial.
On délocalise
Tout ce qui était en banque peut être mis sur les marchés ; par ailleurs, tous les risques bancaires sont transférés sur une banque colossale, le marché mondial. Quitte à ce qu’ensuite, la banque centrale mondiale – la Fed – crée des dollars et prenne le risque à sa charge – c’est-à-dire qu’elle achète tout le papier pourri qui revient.
Cela a été fait à chaque fois lors des crises récurrentes depuis 1987. C’est l’autre nom du put Greenspan.
Notez que ce système permet de supporter que les banques n’aient pas assez de capacité bilancielle – pas assez de fonds propres, en d’autres termes –, puisqu’elles ont un assureur de dernier ressort.
Tout cela explique également que la volatilité soit en général réduite et que les marchés se moquent pas mal des incertitudes réelles, des guerres, des catastrophes, puisqu’ils savent, avec une certitude 100%, que moyennant une petite perte, la banque centrale mondiale interviendra, créera des dollars, augmentera la taille de son bilan, et soutiendra le prix des actifs.
Il ne faut pas que l’on puisse douter de la monnaie-itude du papier qui est émis. Le VIX, le fameux « indice de la peur », ne doit et ne peut jamais monter au point de tarifer le risque.
Alchimie et égouts
Dans le système de la monnaie-itude, on finance le « long » avec du « court », et du « risqué » avec du « sans risque »… et même du pourri, puisque, toujours, la banque centrale garantit la possibilité d’échange sans perte importante en monnaie.
Dans le système de la monnaie-itude, l’alchimie des maîtres banquiers centraux transforme l’eau des égouts en eau claire et même en eau de source.
Dans le système de la monnaie-itude, les spreads se contractent considérablement. Il n’y a pour ainsi dire plus de prime de risque ou de durée, car les liquidités en quête d’emplois sont toujours surabondantes.
Le système de la monnaie-itude met de « l’infini » sur du « fini » ; il transforme les questions de valeur en questions de prix, les problèmes de solvabilité en questions de liquidité.
Le temps, la durée n’existent plus car toujours les échéances sont repoussées, toutes les dettes sont roulées et « roulables ».
Ce système est prométhéen ou faustien, il est l’équivalent du mouvement perpétuel ; il est la négation des lois de la physique, de la thermodynamique, et bien sûr du gros bon sens.
C’est un système magique de demi-dieux qui se prennent pour des dieux. Rien ne peut s’opposer à son extension/expansion.
Il a des failles mais on les bouche au fur et à mesure qu’elles se manifestent : il suffit de modifier à la marge, d’imposer de nouvelles règlementations macro-prudentielles. Jamais on n’a besoin de limiter, de monter les taux et de réduire la surabondance de monnaie, ou la quantité de monnaie de base. Bref, on peut toujours émettre !
No limit ; seules les perceptions peuvent de temps en temps le contrarier… mais tout rentre dans l’ordre avec un bon QE et une baisse des taux, même négatifs.
Dans le système de la monnaie-itude le risque n’existe pas. Il se traduit par une simple bouffée de volatilité des prix, car il est rejeté hors du système. Il est assumé et garanti par un assureur suprême qui a des poches plus que profondes, sans fond, infinies… tant qu’il peut créer de la monnaie-banque centrale et que cette monnaie est acceptée.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]