Le marché des bons du Trésor US est devenu si énorme qu’il faut désormais le soutenir indéfiniment : la Fed suffira-t-elle à la tâche ?
Le vice-président chargé de la supervision à la Fed, Randal Quarles – « l’homme de référence de la Réserve fédérale sur la régulation financière » – a soulevé quelques sourcils mercredi. Il a émis une hypothèse que bien peu avaient envie d’évoquer – une hypothèse terrible…
Lors d’un événement parrainé par l’Institute of International Finance (IFI), Randal Quarles a fait un aveu :
« Il se peut qu’il y ait un simple fait macro : le marché des valeurs du Trésor est tellement plus grand qu’il y a quelques années, beaucoup plus grand qu’il était il y a dix ans […], que le volume même y a peut-être dépassé la capacité de l’infrastructure du marché privé à supporter un stress de quelque nature que ce soit.
[…] La Fed aura-t-elle un besoin indéfini de fournir [des liquidités] – non pas comme un moyen de soutenir l’émission de bons du Trésor, mais comme un moyen de soutenir un marché fonctionnel des bons du Trésor –, de participer en tant qu’acheteur pendant un certain temps ? »
Derrière le charabia alambiqué, le superviseur en chef veut dire : la taille colossale du marché des valeurs du Trésor fait que celui-ci ne peut plus fonctionner que si la Fed y intervient régulièrement, et pas seulement pour faciliter les émissions du Trésor.
Des chiffres effrayants
Voici les chiffres qui effraient le superviseur :
L’année fiscale s’est terminée en septembre avec un déficit fédéral US atteignant 3 100 Mds$, soit 15% du PIB.
La masse de titres du Trésor US en circulation a bondi de 2 852 Mds$ au cours du deuxième trimestre, à 22 371 Mds$, et elle a augmenté de 4 556 Mds$, ou 25,6%, au cours de la dernière année.
Après avoir terminé 2007 à environ 6 000 Mds$, l’encours des titres du Trésor US a augmenté de 16 300 Mds$, soit 270%.
Les valeurs du Trésor US ont terminé le mois de juin à 115% du PIB. Ce pourcentage était de 69% à la fin de 2010 et de 44% à la fin des années 90.
Quarles dit simplement ce que les marchés savent déjà : la Fed a facilité une croissance démesurée des émissions de valeurs du Trésor… Elle a donc produit un marché colossal des valeurs du Trésor, elle est responsable de son hypertrophie – et en étant responsable, elle doit l’assumer ! Comme le dit un observateur : « qui casse paie ».
La Fed a cassé le marché, elle doit l’assumer. C’est elle qui doit désormais prendre en main le bon fonctionnement de ce marché ; les structures privées sont dépassées et inadéquates.
Appelons un chat un chat
Pendant trop longtemps, la Fed a accommodé les émissions effrénées du Trésor US. Encore maintenant, la Fed de Powell appelle ouvertement à une relance budgétaire massive supplémentaire.
Il est difficile aujourd’hui d’imaginer un marché des valeurs du Trésor fonctionner correctement sans un soutien résolu de la Fed.
Il faut appeler un chat un chat, et reconnaître que le marché des valeurs du Trésor US est nationalisé : il est « trop gros pour faire faillite » – tout comme les marchés actions et ceux de la dette des entreprises.
Dans tous les cas, la Fed est en première ligne, ce qui correspond à mes descriptions de la marche vers le Big Reset. Dans cette grande remise à zéro, la banque centrale devient responsable de tout, elle est en première ligne sur tout, tout remonte à elle.
Elle est le centre de tout, l’ultime assureur de tout.
Je suis l’un des rares – et même le seul, à ma connaissance – à soutenir l’idée que les marchés, le marché financier global, fonctionnent comme une gigantesque banque mondiale : c’est ce marché qui fait la transformation comme la faisaient les banques par le passé.
On a mis la fonction bancaire sur le marché mondial. C’est lui qui exerce les deux fonctions bancaires de transformation du risque et des durées.
C’est donc maintenant le marché mondial qui est devenu too big to fail (« trop gros pour faire faillite ») ce ne sont plus seulement les banques !
Vulnérabilité majeure
Les marchés ayant accueilli et exercé les fonctions bancaires, ils héritent de leur vulnérabilité – et la vulnérabilité majeure, c’est le run, la ruée vers la sortie, la débandade.
L’ancien risque de run sur les banques a été transformé en risque de run sur les marchés, avec la même conséquence : comme ils sont too big to fail, il va falloir un jour tout soutenir, c’est-à-dire créer de la monnaie de base en quantité considérable pour assurer et promettre la liquidité. Eviter l’effondrement des fausses valeurs.
Le complexe ETF est devenu « trop gros pour faire faillite » – un destin que les fonds monétaires et le marché des repo ont connu il y a quelques années. Maintenant c’est le complexe des fonds d’Etat.
Attendez-vous, bien que tous les initiés le sachent, à ce qu’un jour il se dise que les marchés des produits dérivés sont devenus trop importants pour pouvoir supporter une instabilité… même moyenne.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]