Le pays tourne au ralenti, mais la Bourse, elle, bat record sur record.
Aurons-nous des chiffres de l’emploi aux Etats-Unis vendredi ? Le shutdown le plus long de l’Histoire – c’est le 37ᵉ jour, ce jeudi – va-t-il continuer à indifférer Wall Street, comme s’il s’agissait d’une grève des arbitres de la ligue de hockey sur gazon ?
Ne riez pas : 280 universités américaines possèdent une équipe, le plus souvent féminine, avec 6 000 licenciés, et 77 équipes à travers les 50 Etats se disputent le titre au sein de la Ligue 1. On compte même 162 équipes au niveau de la Ligue 3 – soit plus de trois par Etat – et là encore, ce sont très majoritairement des équipes universitaires féminines.
Et là, Wall Street peut être rassuré : comme la plupart des universités sont privées, les matchs du championnat se déroulent normalement, et les analystes économistes des plus grosses institutions financières ont plus de temps pour aller encourager leur équipe favorite (celle dans laquelle jouent leurs filles), vu que plus aucune statistique officielle ne paraît depuis cinq semaines et deux jours.
Les jeunes ont également plus de temps pour pratiquer un sport : ce n’est plus la peine d’enchaîner les leçons de conduite puisqu’il n’y a plus personne pour délivrer des permis.
Les visites de musées nationaux (fermés faute de personnel) peuvent être troquées en faveur d’un bon footing… à condition que ce ne soit pas dans un parc national : ils sont fermés eux aussi.
Ce ne sont pas moins de 670 000 fonctionnaires salariés qui ont été placés en congé temporaire… et en congé sans solde, est-il besoin de le préciser. Environ 730 000 fonctionnaires jugés « cruciaux » pour le bon fonctionnement du pays (forces de l’ordre, armée, contrôle aérien) sont contraints d’aller travailler sans rémunération.
Et Donald Trump a laissé planer l’idée que certains fonctionnaires en chômage technique ne recevraient pas leurs arriérés de salaire, malgré une loi prévoyant un mécanisme de « compensation » qu’il a lui-même mise en place lors de son précédent mandat, à l’issue du précédent plus long shutdown de l’Histoire (35 jours – cela avait été ressenti comme une honte nationale).
Pour les fonctionnaires américains qui ont des loyers, des prêts et des frais de santé à payer à la fin du mois, mais plus d’épargne disponible, il n’y a plus d’autre choix que d’emprunter.
Mais les banques, qui voient exploser les encours depuis bien avant le shutdown (les prêts à la consommation explosent en 2025, de même que les taux de défaut), deviennent frileuses, car les provisions pour créances douteuses s’accumulent dangereusement.
Et leurs prévisions ne sont pas bonnes : elles notent un ralentissement de la conjoncture sur lequel la Fed jette mois après mois un voile pudique.
Le grand public ne voit plus paraître les chiffres du chômage, mais les banques voient bien que des centaines de milliers de clients ont cessé de virer un salaire cette année et que des millions se retrouvent à découvert le 15 du mois.
Ils constituent le cœur de l’importante cohorte d’une sorte de tiers-monde interne aux Etats-Unis : 42 millions d’Américains sont bénéficiaires du programme d’aide alimentaire baptisé SNAP. Et ce programme n’a plus les fonds depuis une semaine pour verser l’aide aux plus vulnérables et déshérités : ils représentent 15 % des habitants du pays qui se prétend le « plus riche et puissant du monde », mais tarde à redevenir « great again ».
Il y a urgence, mais ce mardi 4 novembre, le Sénat a rejeté pour la 14ᵉ fois la proposition de compromis budgétaire des républicains, car Trump pose comme préalable de remettre à plat Obamacare afin de réduire les dépenses de santé au niveau fédéral.
Les démocrates sont convaincus que Trump est d’ores et déjà tenu pour responsable de la situation par la population, et que la victoire de deux candidats démocrates centristes aux postes de gouverneur de Virginie et du New Jersey, ainsi que le succès du référendum sur le redécoupage électoral en Californie souhaité par Gavin Newsom (un des adversaires les plus résolus de Donald Trump), doivent beaucoup à une « erreur stratégique de la Maison-Blanche ».
Les marchés financiers demeurent en revanche ouvertement pro-Trump, comme le démontre une série de records historiques battus en cascade depuis le début du shutdown.
Le « sujet » qui fait parfois courir un petit frisson, c’est que la paralysie actuelle du gouvernement a entraîné un resserrement brutal des liquidités, celles dont disposent les banques. Le problème a été promptement résolu par la Fed, qui injecte chaque matin ce que les banques ne peuvent plus s’échanger entre elles.
Le bon côté des choses, c’est que les déficits ont cessé de progresser à une vitesse interstellaire, tandis que les recettes fiscales s’accumulent – ce qui permet de voir venir s’agissant du programme de refinancement de 10 000 Mds$ de dette cette année.
Le resserrement de la liquidité commence à affecter les marchés, qui ont besoin d’un flux d’argent frais pour maintenir les cours. Il n’y a pas de dividendes, pas de revenus, pas d’incitation fiscale… Tout repose sur la « foi » des détenteurs, ou plutôt sur leur capacité à « en rajouter » en permanence, ce qui affecte tout particulièrement les cryptomonnaies – comme nous l’avons vu ce mardi 4 avec un plongeon de 6 % du Bitcoin et de 12 % de l’Ethereum sur une courte période de 24 h.
Les flux des plans d’épargne-retraite (401k) sont également touchés par le shutdown… mais Wall Street est convaincu que dès la fin du blocage budgétaire, le Trésor américain commencera à dépenser entre 250 et 350 milliards de dollars en quelques mois.
Et comble du bonheur, le resserrement quantitatif de la Fed prendra fin en décembre et le bilan recommencera à augmenter techniquement… ce qu’il fait déjà de façon officieuse avec les injections quotidiennes – et massives – de la Fed dans l’interbancaire.
Le dollar devrait recommencer à s’affaiblir à mesure que les émissions de T-Bonds reprendront à plein régime, synonyme de déluge de liquidités pour les banques.
La leçon du shutdown actuel, c’est que cela glisse sur Wall Street comme une balle de hockey sur du gazon synthétique : le marché se rit aussi bien de l’absence de statistiques que du coût estimé à 15 Mds$/jour (555 Mds$ depuis le 1er octobre) de la fermeture des administrations… pourvu que la Fed ouvre à fond le robinet des liquidités pour permettre aux investisseurs ayant emprunté 1 100 Mds$ – pour investir à crédit – de tenir fermement leurs positions.
Tout le reste n’a guère d’importance et ne constitue que « l’écume du quotidien »… qui parfois permet de mieux repérer le sommet d’une vague. Celle de l’IA n’a pas besoin d’écume : elle est tellement énorme qu’on ne voit plus qu’elle !
