Les signes se multiplient, permettant de penser que la bulle de tout est en train de craquer sous son propre poids, auquel s’ajoute désormais le poids de la guerre. Mais l’explosion pourrait être encore loin…
« L’inflation atteint un nouveau sommet en 40 ans. » « Le marché obligataire subit le pire trimestre depuis des décennies. » « Les matières premières terminent le meilleur trimestre en 32 ans. »
En clair : le balancier part dans l’autre sens. Le papier se dévalorise ; le réel, la matière, la vraie richesse s’apprécient. On délaisse les ombres pour chasser les proies. C’est le grand basculement.
On enregistre la plus grande divergence entre les actifs financiers et les actifs durables depuis des décennies, fait remarquer la presse.
L’importance du fondamental
Sont-ce les prémices d’un nouvel ordre mondial qui nous ferait sortir de l’imaginaire des valeurs d’échange et des valeurs désirs pour nous faire revenir aux valeurs d’usage, c’est-à-dire aux utilités vraies, incontournables ?
Les Russes et les Chinois jouent visiblement cette carte de communication, surtout d’ailleurs les Chinois qui vendredi (dans un article du Global Times) ont rappelé aux Européens que c’était le niveau de vie de leurs peuples qu’ils engageaient en se ralliant aux USA et même, ont-ils précisé, leurs moyens de subsistance.
On ne peut être plus clair en rappelant l’importance du fondamental : l’énergie et la nourriture.
Sortirions-nous du grand cycle spéculatif pour revenir aux utilités ? Serions-nous en train de redescendre sur terre? Cesserions-nous de nous envoyer en l’air, sortirions-nous de Netflix et de Hollywood ?
Autrement dit, le tout en bulles serait-il en train de craquer sous les doubles coups de boutoir de la raréfaction de l’offre et de la rupture de l’ordre international provoquée par la guerre ?
La grande réconciliation
Je me souviens que les commentateurs – du temps où ils pensaient – faisaient remarquer que la lévitation des papiers et des valeurs cesserait à l’occasion d’une grande réconciliation et que parmi les occasions de réconciliation, il y avait la possibilité d’un choc de l’offre, d’un choc pétrolier, d’une guerre, d’une crise des marchés financiers.
Mais cela, c’était avant.
Avant qu’ils ne rentrent dans la bulle de l’imaginaire, laquelle oblitère leur pensée et leur fait prendre le monde des signes pour celui du réel.
Les commentateurs ne savent plus sortir de la boite, et voir les choses d’en haut, de l’extérieur. Ils ne voient plus que les arbres et ont perdu la forêt de vue.
L’accoutumance des dernières décennies a émoussé les facultés cognitives de toute une civilisation fondée sur le virtuel, l’image, le caprice des désirs, la propagande, la publicité. La Com a évacué la connaissance.
Un peu de prudence
J’avoue qu’en tant que penseur du système pratiquant la pensée abstraite, je serais tenté d’aller dans cette direction et de décréter : ça y est nous y sommes.
C’est une tentation, celle d’avoir raison. Mais il faut s’en méfier parce qu’elle est narcissiquement gratifiante. Une véritable analyse impose de déceler les causes organiques, endogènes qui feraient que l’ordre ancien explose vraiment, qu’il se pulvérise et soit remplacé par un autre.
La pensée magique ne suffit pas pour diagnostiquer un changement d’ordre global. Il ne suffit pas de localiser et grossir quelques symptômes. Il faut mettre à jour les conditions, les forces fondamentales.
Et parmi ces forces fondamentales, la plus importante est la force monétaire.
Vous avez vu comme je suis prudent : lisez mon article sur la domination du dollar et toutes les réflexions connexes.
Au fil des ans, Poutine s’est élevé contre un monde dominé par les États-Unis. Il abhorre l’appareil financier mondial basé sur le dollar.
Le président russe récuse les États-Unis en tant que « flic mondial », doté du pouvoir de dicter les termes des relations commerciales et financières et les alliances de sécurité. Ils dictent tout, imposent unilatéralement des sanctions financières et économiques à leur discrétion.
Les relations étroites de Poutine avec son compagnon autoritaire Xi Jinping – maître de la nouvelle superpuissance chinoise – ont fourni le soutien implicite à son pari de rompre violemment avec l’ordre mondial existant.
C’est ce que nous verrons plus en détails demain…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]