** Les places européennes ont échappé jeudi à la malédiction d’une neuvième séance de repli consécutif — mais elles pourraient bien nous gratifier ce vendredi d’un dixième repli sur une série de 13 (qui ne portera véritablement pas chance).
Le mouvement de rebond qui avait semblé s’amorcer mardi soir à Wall Street a déjà du plomb dans l’aile ! Au bout d’à peine 48 heures, le Nasdaq Composite, qui rechute de 2,38%, est revenu à la case départ (à 1 391,5 contre 1 388 points lundi soir). Le S&P 500 rechute de 2,62% et retrouve son plancher du 10 octobre 2003 puis du 20 novembre 2008 à 752,5 points.
Au vu des scores de clôture des indices américains jeudi soir, nous nous demandons par quel miracle le CAC 40 a pu échapper à la réédition du même cauchemar indiciel que lundi et mercredi, lorsque Paris effaçait ses 2% de gains initiaux pour repasser en territoire négatif, sous les 2 700 points.
La Bourse de Paris affichait jeudi un gain (+1,78%) qu’il serait très exagéré de qualifier de convaincant ; la hausse de 20% des volumes (à 3,5 milliards d’euros) par rapport à la veille ne traduit pas un retour en force des acheteurs.
Il s’agissait à notre avis d’un simple rebond technique motivé par des rachats de ventes à découvert (short selling). A propos… l’AMF, l’autorité de tutelle des marchés français s’interroge de nouveau sur l’opportunité de leur interdiction… ou sur l’instauration de règles très restrictives.
** Les valeurs financières, massacrées jour après jour depuis le 10 février, ont repris 8,5% en moyenne jeudi… mais ce n’est qu’un lot de consolation pour ceux qui les ont acquises début février et les ont vu chuter de 40% en l’espace de deux semaines.
Quelques beaux gains ont été observés sur les constructeurs et les valeurs BTP — mais nous aurions beaucoup de mal à vous démontrer que ces titres sont tombés trop bas. Nous pouvons simplement imaginer que les mauvaises conditions de marché actuelles favorisent des stratégies de type « jeu de massacre ».
Saint-Gobain a continué d’être passé au laminoir (-8,25% jeudi soir) dans le cadre de ventes techniques liées aux préparatifs d’une augmentation de capital de 1,5 milliard d’euros (ce n’est pourtant pas une opération d’un montant colossal) : cela fait s’effondrer le titre de 38% en une semaine et de 50% en un mois.
Saint-Gobain, plus ancienne société cotée en France se retrouve au plus bas depuis mai 1993. De quoi tuer définitivement le mythe du gain boursier sur le long terme… et avec l’aide des vendeurs à découvert, pourquoi ne pas anticiper un retour à la valorisation des origines, vers 1669, lorsque Louis XIV faisait équiper par l’artisan-verrier la Galerie des Glaces de Versailles ?
Difficile de nier que le manufacturier est exposé à une forte baisse des commandes émanant des constructeurs automobiles, ou à la crise immobilière aux Etats-Unis, mais nous commençons à nous demander si la division par cinq du cours ces 18 derniers mois ne prend pas en compte une certaine dégradation de la conjoncture.
** Certains chiffres donnent le vertige, à tel point que nous sommes tentés d’écouter les arguments de ceux qui évoquent le test imminent de points bas historiques. C’est en effet ce que nous inspire la lecture des ventes de logements neufs aux Etats-Unis : elles ont plongé de 10,2% en janvier et de 48,2% en année pleine, à 309 000 unités. Les stocks de logements invendus s’élèvent à 342 000 (de quoi mettre un toit sur la tête d’une partie des deux millions de propriétaires expulsés en 2008), soit une durée d’écoulement record de 13 mois.
Il va être de plus en plus difficile de trouver des acheteurs solvables, dans la mesure où les nouvelles deviennent catastrophiques sur le front de l’emploi aux Etats-Unis. Les chiffres du chômage hebdomadaire publiés ce jeudi trahissaient une hausse de 36 000 inscrits, pour un nombre total de chômeurs indemnisés qui avoisine désormais les 5,2 millions.
Les entreprises manufacturières américaines vont continuer de dégraisser dans l’urgence leurs effectifs, si l’on en juge par la contraction des commandes de biens durables pour le mois de janvier (le marché tablait sur un recul de 1,8%) : elles se sont effondrées de 5,2%, après une forte baisse de 4,6% en décembre, au lieu des -3% annoncés à l’origine.
Si la confiance des ménages américains est au plus bas depuis 30 ans, les Européens ne sont pas plus optimistes. Le « sentiment économique » a continué de se dégrader en février en Europe, à en croire l’indice ESI de la Commission européenne. Il a baissé de 2,2 points à 61 points dans l’Union européenne, et de 1,8 point à 65,4 dans la Zone euro. Il s’agit là de nouveaux plus bas historiques depuis janvier 1985, date du lancement de cette statistique.
** Le sombre tableau conjoncturel américain a précipité sans surprise — mais après quelques velléités de rebond technique — le Dow Jones sous les 7 200 points, mais il n’a cédé que 1,22%. Il a dû sa relative résistance à une nouvelle progression de JP Morgan et Bank of America.
A l’inverse, les valeurs défensives ont été laminées, ce qui peut apparaître paradoxal vu l’ambiance régnant sur le NYSE depuis mercredi soir : Merck fermait la marche avec -6,7%, devant McDonald’s et Kraft Foods puis Coca-Cola et Pfizer (des valeurs « bunkers » qui se sont enfoncés de 3 à 4% dans les sables mouvants de la crise).
Puisque le NYSE a l’air de fonctionner à l’envers, le S&P 500 a été soutenu par le compartiment bancaire et notamment par Suntrust, US Bancorp, Wells Fargo…. C’est là encore un fameux paradoxe puisque d’après la FDIC (Federal Deposit Insurance Corp), le nombre de banques en difficultés a doublé pour atteindre un total de 252 au quatrième trimestre 2008, le pire score observé depuis 1995.
Mais des experts comme Nouriel Roubini (que Bill Bonner cite souvent et que nous lisons en cachette dès qu’il reprend un avion pour une visite express à Londres) ou Paul Krugman –fraîchement nobélisé — n’hésitent pas à prendre le pari que, subprime aidant, la barre des 1 000 sera atteinte avant fin 2010, quels que soient les efforts consentis par le Trésor US et la Federal Reserve.
** En Europe, il n’est guère besoin d’espérer que la BCE donne un coup de pouce à toute initiative visant à atténuer les effets de la crise : en déplacement à Dublin, J.-C. Trichet a félicité le gouvernement irlandais pour la mise en place de sévères restrictions budgétaires, pour le gel des salaires des fonctionnaires et des ponctions sur leurs retraites (il faut mettre tous ces riches et ces privilégiés à contribution, ils n’ont que trop profité de la situation !).
Nous attendons avec une certaine curiosité la réaction des fonctionnaires français face aux recettes préconisées par notre bon président de la BCE.
Nous affirmions dans de précédentes chroniques que J.-C. Trichet ne disait jamais un mot du fléau du chômage pour mieux s’en prendre à l’effroyable problème des déficits — qui compromet les chances des générations futures… comme si la génération actuelle ne pataugeait pas déjà dans une crise comme il ne s’en produit qu’une ou deux par siècle.
Nous avions pris le risque d’être démenti dès jeudi… mais après un terrible suspens, ouf, nous voici soulagé. M. Trichet n’a pas changé de ligne philosophique : « les autorités nationales devraient mettre en oeuvre des politiques courageuses de maîtrise des dépenses, particulièrement en ce qui concerne les salaires dans le secteur public ». Cette déclaration-là… nous n’étions pas certains qu’il oserait la lâcher en pleine crise : admirons son courage et son humanité !
A tous les nantis rémunérés par l’Etat qui nous lisent, vous voilà fixé sur votre rôle dans la sortie de crise que nous concoctent les Maîtres du Monde version BCE : serrez-vous (encore un peu plus) la ceinture, renoncez à vos retraites de fonctionnaire dorées et vos méga-bonus de 1 800 euros en fin d’année.
Donnez une partie de vos économies aux établissements de crédit (oui, ceux-là même qui ne tolèrent plus un découvert et ne vous prêtent plus un centime pour une opération immobilière) car M. Trichet ne veut plus être le seul à montrer l’exemple de la solidarité : sa modestie naturelle en souffre trop.
Philippe Béchade,
Paris