Face à un risque de panique planétaire en cas d’effondrement complet de Credit Suisse et d’autres banques majeures, on assiste à un nouveau « all in » monétaire.
Ah quel weekend ! L’argent ne dort jamais… mais apparemment, la Banque nationale suisse (BNS) ne dormait plus non plus depuis le 14 mars, du fait de l’effondrement du Credit Suisse.
Elle a eu beau penser très fort « on se calme », ça n’a pas calmé les marchés.
Alors elle a mis 50 milliards de francs suisses (CHF) sur la table jeudi soir, soit environ 10 kerviels (montant de la perte imputée par la « SocGen » à son impétueux trader).
Credit Suisse avait avoué un peu plus de 8 Mds$ de pertes en 2021, mais ce n’était apparemment que la pointe de l’iceberg (sous la surface, les dérivés : un vrai Tchernobyl financier en puissance !), puisque la BNS a accordé une ligne de crédit d’urgence représentant sept fois ce montant.
Puis on apprend ce weekend que ce sera finalement 100 milliards de francs suisses (soit 20 kerviels) qui seront accordés… cette fois à UBS, pour « rassurer » les contreparties de cette banque qui va donc racheter le Credit Suisse.
Pas de panique à la Fed
Qui est la première contrepartie de ces deux banques qui sera ainsi rassurée ? Eh bien oui, c’est la Fed, celle qui leur fournit les dollars indispensables pour opérer aux Etats-Unis, sous forme de swaps.
Il s’agit de prêts de billets verts contre du collatéral (des actifs mis en garantie) sur des échéances allant de 24 heures à 90 jours. La Fed peut ainsi décider du jour au lendemain de ne plus renouveler les swaps à 24 heures et, là, c’est « game over » pour la banque à qui elle coupe le robinet de liquidités.
Ce qu’elle ne fera évidemment pas, sinon toutes les contreparties (banques, hedge funds, assureurs…) pourraient à leur tour s’effondrer en 24 heures.
Mais attendez, ce n’est pas tout. Pour permettre le rachat du Credit Suisse par UBS, la BNS contrevient à toutes les règles qu’elle censée faire respecter, à commencer par la tenue d’un vote des actionnaires des deux banques helvétiques pour approuver l’opération. Ce qui prend généralement de 15 jours à trois semaines… voire plus, dans le cas d’une banque qui détient 272 filiales, dont plus de la moitié en Suisse.
Là, tout s’est conclu en 48 heures, c’est dire l’urgence de la situation, qui est peut-être liée à la découverte de « cadavres dans le placard ».
Ou plutôt un incident majeur au cœur du réacteur nucléaire des dérivés, avec un encours estimé à 14 000 Mds$ qui recèle un niveau de risque inconnu.
A combien pourraient s’élever les pertes ? Les 70 Mds$ volatilisés de Lehman – qui ont causé sa faillite – sont potentiellement dépassés, vu la taille du matelas de sécurité mis en place ce dimanche au profit d’UBS !
Une solidité à toute épreuve
La BNS était pourtant affirmative, jeudi dernier, 16 mars :
« Le Credit Suisse dispose d’actifs très supérieurs au ‘ratio Tier One’ et présente toutes les garanties requises pour poursuivre ses activités. »
Moins de 48 heures plus tard, Crédit Suisse ne poursuivait plus rien puisque cette banque va disparaître du paysage financier, rachetée par sa consœur UBS.
UBS a d’abord proposé le rachat pour 1 CHF symbolique (refusé), puis a consenti 1 milliard symbolique samedi soir. Une offre refusée très vite, car cela ne représentait que 0,27 CHF par titre, contre 2 CHF à la clôture de vendredi, pour une capitalisation de 7,9 milliards de ChF, soit une chute de 87,4%.
Dimanche matin, UBS se voyait allouer une garantie de 9 milliards de CHF (en cas de perte) par la Confédération. L’établissement semblait alors d’humeur plus généreuse et proposait un rachat à 2 milliards, soit 0,5 CHF par action… Avant de retrouver un autre milliard tombé derrière la photocopieuse, lui permettant de proposer un rachat à 3 milliards de francs suisses (soit 0,76 CHF par titre et une perte de 62%). Une offre enfin acceptée, mais sous la contrainte des autorités helvétiques.
La FINMA, l’autorité suisse de régulation des marchés financiers, a validé l’opération, ce qui signifie que les créanciers du Credit Suisse vont certainement essuyer des pertes (souvenez-vous des CDS qui ont atteint jusqu’à 1 000 %, soit 50% de risque d’aller au tapis), qu’ils espèrent limitées, puisque la faillite n’a pas été prononcée et qu’aucun défaut n’a été observé sur sa dette.
Qui sera sauvé ?
Les marchés devraient donc être rassurés ce lundi…
Oh, mais attendez… Janet Yellen n’aurait-elle pas déclaré jeudi dernier que les banques régionales ne sauraient être sauvées comme des « banques systémiques », à l’image du Credit Suisse ?
Autrement dit, elles peuvent faire faillite car aucune garantie d’Etat (comme vient de la faire la Suisse ce week-end et les Etats-Unis fin 2008) ne leur sera accordée.
Aurait-t-elle oublié que les banques régionales aux Etats-Unis, c’est 50% du crédit distribué, et même 60% des crédits immobiliers hypothécaires aux particuliers et 80% du crédit immobilier aux entreprises ?
Il y aurait lieu de rédiger deux chroniques supplémentaires sur le risque de bank run vers les banques nationales que ce genre de déclaration fait peser… et, s’il vous fallait une preuve supplémentaire que nous vivons un « moment Lehman » (pour des raisons différentes, mais avec un risque systémique d’égale importance), les cinq principales banques centrales de la planète (Fed, BCE, BoJ, BNS, BoE, Bank of Canada) vont offrir des liquidités en quantité illimitée dès lundi (sous formes de swaps majoritairement) à tous les acteurs du secteur financier dans les pays concernés.
Quel degré de gravité du risque sous-jacent – qu’eux seuls semblent connaître – peut justifier un tel « all in » monétaire planétaire ?
Bruno Lemaire doit être interloqué : il assurait que nos banques, solides comme le roc, étaient à l’abri de tout risque systémique.
Mais a-t-il la moindre idée de ce que recouvre la notion de « risque systémique » dans la sphère bancaire interconnectée à l’échelle planétaire, et y compris le week-end ?
Ou alors, il considère peut-être qu’à l’image du nuage radioactif de Tchernobyl, la contamination s’arrête comme par magie à nos frontières.