Si les banques centrales ont rassuré quant aux risques touchant les acteurs systémiques, des accidents provoqués par des acteurs plus petits et peu régulés sont toujours possibles…
Cet article m’est inspiré par un autre, publié sur le site Investing la semaine dernière, et dont le titre est « Cathie Wood accuse la Fed d’avoir conduit SVB et Signature Bank à la faillite ». (Vous pouvez le lire en cliquant ici.)
Gonflée, Cathie Wood. J’adore cette asymétrie et cette acceptation de prétendus libéraux qui adorent (ou plutôt adoraient) les banques centrales, tant que celles-ci favorisaient l’aléa moral, les bulles d’actifs sous l’effet de taux de plus en plus absurdement bas et l’expansion continue et jugée irréversible de la liquidité (2009-2021).
Beaucoup trop d’investisseurs et gérants dits stars (dont Cathie Wood) se sont crûs omniscients et invincibles alors que, en réalité, ils ont bénéficié d’un aléa moral fourni par le put des banquiers centraux (la garantie qu’ils interviendraient toujours pour pousser les marchés à la hausse) et vécu dans l’idée d’un monde sans baisse durable des marchés financiers.
C’était en tout cas oublier les fondamentaux et le retour d’une inflation structurelle, avec la mise en place de cycles de resserrement monétaire plus ou moins restrictifs d’un pays à l’autre.
Qui cause la chute ?
Alors oui, chère Cathie Wood, ce cycle de politique monétaire restrictive est inédit car, cette fois-ci, les banques centrales doivent être particulièrement attentives à la gestion d’un arbitrage essentiel entre, d’un côté, lutter contre l’inflation et, de l’autre, éviter de créer les conditions d’une violente crise financière provoquée par un deleveraging – c’est-à-dire le désendettement « forcé » de nombreux acteurs financiers.
Venir dire pour autant que la Fed est responsable des déboires actuels de banques, non pas systémiques, mais sans doute mal gérées, et ne sachant ou ne voulant pas maîtriser les fondamentaux de la gestion des risques de taux et de liquidité, est particulièrement mal venu.
Cela étant dit, on peut et on doit tout à fait la critiquer pour bon nombre d’autres choses, notamment le fait d’avoir été trop accommodante pendant trop longtemps.
Mais les dégâts collatéraux d’une politique monétaire restrictive sont normaux et salutaires. Souvenons-nous de la célèbre maxime de Warren Buffet : « Quand la marée se retire, vous pouvez voir ceux qui nageaient nus »…
On se souviendra aussi, dans le même ordre d’idées, de ce que l’économiste américain John Kenneth Galbraith appelait le « Bezzle », c’est-à-dire « l’inventaire des détournements de fonds inaperçus » et autres pratiques financières laxistes. Autant de pratiques qui ne choquent personne dans les périodes d’euphorie et d’argent facile, mais qui se révèlent désastreuses en période de retournement de cycle (eh ! oui, quand la marée se retire, pour revenir à Warren Buffet).
Risque de fuite
Dans les périodes de crise des marchés financiers, le risque de faillite ou/et de rogue trading devient plus fort, puisque les probabilités de fortes pertes sont plus importantes que dans des configurations de marché pacifiées à faible volatilité.
Le risque bancaire systémique, tel qu’il est présenté ici ou là dans le cadre de dérive du Credit Suisse, est aujourd’hui un fantasme (j’expliquerai pourquoi dans un prochain article sur ce sujet, à la lumière de l’actualité bancaire de ces derniers jours). Ce risque défini à travers les fondamentaux de solvabilité et de liquidité de grosses banques fortement régulées (donc Credit Suisse) n’est pas préoccupant.
Il faut par contre être beaucoup plus préoccupé par des accidents systémiques par les flux. Donc non pas de type « bank run » mais plutôt « fund run ».
Qu’adviendrait-il demain si des investisseurs (quelle qu’en soit la raison) retiraient tout ou partie de leurs avoirs d’un fonds star du type de celui de notre chère Cathie Wood (le fameux fonds ARK) ? Des ventes forcées conduisant à un krach boursier sans précédent, concentré sur les valeurs détenues par ce fonds (dans cet exemple, les valeurs technologiques).
De manière générale, c’est la concentration d’acteurs sur un actif ou un groupe d’actifs qui est dangereuse. Si un gros détenteur se retrouve en difficultés (liquidité /solvabilité), qu’il s’agisse d’un investisseur institutionnel, d’un gros fonds de pension, d’un hedge fund ou d’un grand corporate, il serait sans doute contraint de liquider tout ou partie de ces positions sur ces actifs, ce qui le ferait chuter et auto-entretiendrait une spirale baissière.
Les pertes latentes massives des autres détenteurs obligeraient ceux-ci à vendre en catastrophe des actifs traditionnels pour financer leurs moins-values.
Ainsi, plutôt que de « fantasmer » sur le risque systémique bancaire (qui est en fait théorique et qui peut être contenu par des pare-feux plus ou moins sains), il faut plutôt, à l’heure du trading algorithmique, se préoccuper des risques de contagion d’un krach d’actif à d’autres actifs traditionnels, non pas à cause de corrélations basées sur des fondamentaux, mais à cause du phénomène de ventes forcées.
1 commentaire
Le cash n’a rien à craindre du deleveraging !