Toutes les liquidités ne sont pas aussi risquées. C’est de l’une d’entre-elles qu’il faut particulièrement se méfier, quand on investit en Bourse…
Comme nous l’avons vu hier, il existe plusieurs formes de liquidité. Pour comprendre d’où vient le « risque de liquidité », il est important de ne pas les confondre. Si nous avons pu voir en quoi consistent la liquidité de banque centrale et la liquidité bancaire au sens de l’ALM hier, passons désormais à deux autres formes.
La liquidité règlementaire
Il faut comprendre par cette liquidité « règlementaire » le respect de normes édictées par le régulateur pour s’assurer que les banques sont capables de faire face à des chocs de fuite de liquidité. Par exemple une fuite des dépôts des clients, ou le fameux « bank run », ainsi que la fermeture de l’accès aux marchés.
On peut en fait parler de besoins structurels de liquidité réglementaire : même si une banque n’a pas forcément de grands besoins de liquidité réelle dans ses activités quotidiennes, elle sera contrainte d’en détenir pour respecter des ratios réglementaires de liquidité.
Si, par construction, la situation de liquidité réglementaire d’un établissement est corrélée à sa situation de liquidité réelle, des arbitrages sont très souvent nécessaires entre les deux types de liquidité. Une banque peut tout à fait être amenée à dégrader sa situation réelle de liquidité pour améliorer sa liquidité réglementaire, et inversement.
Dans le prolongement de la crise financière de 2008-2010, le régulateur (Comité de Bale, qui rassemble des représentants de banques centrales du monde entier, en plus des autorités prudentielles des pays concernés) a mis en place, à partir de 2013, deux nouveaux ratios de liquidité (ratio de court terme et ratio de moyen-long terme) plus contraignants pour les banques afin de diminuer les risques systémiques.
Le premier est le LCR (pour liquidity coverage ratio). Il va mesurer la capacité d’un établissement à survivre à une période de stress intense d’une durée d’un mois, et se calcule comme le rapport entre les disponibilités à 30 jours (constituées d’actifs dits liquides) et les exigibilités à 30 jours (avec des hypothèses de fuite de liquidité, selon les produits d’épargne clientèle au passif du bilan bancaire et selon le niveau de stabilité-fidélité du client).
Le régulateur va également exiger des banques qu’elles refinancent et adossent les crédits à long terme par plus de ressources à long terme avec la mise en place du second ratio, le NSFR (pour net stable funding ratio).
Ce ratio vise à obliger les banques à refinancer par des ressources stables (entendez par là ressources de long terme) une part importante de leurs emplois à long terme (crédits, actifs financiers, participations, immobilisations).
Cela signifie que l’activité traditionnelle d’une banque – qui consiste, comme nous l’avons rappelé hier, à transformer une partie de ses ressources court terme en emplois et crédits à long terme et à se rémunérer sur l’écart (certes instable en fonction de la pente de la courbe des taux) entre les taux long terme et les taux court terme – devient plus encadrée.
Le dernier type de liquidité est finalement celui sur lequel le plus de risques reposent.
La liquidité sur les marchés financiers
De quoi s’agit-il ?
Déjà, chaque instrument financier dispose d’une certaine liquidité. Mais il s’agit ici de « liquidité » au sens de la facilité de négocier certains actifs.
Au sein d’une classe d’actifs comme l’obligataire, par exemple, les obligations d’Etat sont en général plus liquides que les obligations corporate, compte tenu d’un certain nombre de critères objectifs : taille des encours sur la dette émise ; contrat à terme utilisé en couverture de l’actif obligataire ; teneurs de marché ; existence d’un marché du repo sur le titre obligataire ; éligibilité aux appels d’offre BCE et aux ratios réglementaires).
Sur les marchés actions, la différence entre une action liquide et non liquide pourra être due à plusieurs facteurs également, notamment la capitalisation de la société concernée.
Au-delà, les classes d’actifs ont aussi une liquidité propre. C’est la capacité à transformer en liquidité cette classe d’actifs sans risque de marché prononcé (au sens perte de valeur brutale de l’actif récupéré).
Il n’y a ainsi jamais de risque de crise de liquidité sur certaines classes d’actifs, par exemple sur des actifs monétaires purs (sauf cas extrêmes de fraude de tel gérant-dépositaire, mais cela dépasse les considérations de risques financiers).
Et, à l’inverse, il y a des risques plus forts de crise de liquidité sur certaines autres classes d’actifs, par exemple la gestion alternative et le private equity.
Indépendamment de la classe d’actifs et du type d’actif, des crises de liquidité sur des actifs financiers peuvent apparaître suite à l’attribution d’un mauvais prix à ces actifs (risque particulièrement présent durant des bulles). Par la suite, sous l’effet d’un choc économique ou extra-économique, l’unanimisme optimiste (tout le monde est acheteur et le prix monte déraisonnablement) peut très vite se transformer en unanimisme pessimiste.
Dans ce cas, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons, tous les acteurs du marché deviennent vendeurs. Le résultat est que, par définition, il n’y a plus de marché et donc pas de liquidité (pensez par exemple au krach des NFT cette année).
A vouloir sur-réglementer l’activité bancaire – dans le but louable d’éviter les crises systémiques –, on a aussi créé un certain nombre de nouveaux problèmes. Et notamment celui de la baisse de la liquidité d’actifs qui étaient précédemment parfaitement liquides.
Quand la liquidité disparaît
La première, c’est la disparition progressive du market-making sur les emprunts d’Etat par les spécialistes en valeurs du Trésor (SVT), à cause de certaines évolutions réglementaires. Principalement la séparation des activités bancaires et activités de trading, ces dernières étant pénalisées par des exigences en fonds propres plus élevées.
Par le passé, les SVT teneurs de marché sur les obligations d’Etat avaient tendance à acheter lorsque des investisseurs institutionnels voulaient vendre et vendaient lorsque ces institutionnels voulaient acheter. Mais les contraintes réglementaires ont entraîné une réduction de cette activité. Ce changement a conduit nombre de SVT à être moins présents sur les marchés obligataires… ce qui auto-entretient une baisse de la liquidité.
La deuxième illustration, c’est que les obligations réglementaires sur le nouveau ratio de liquidité LCR que nous avons évoqué plus haut forcent les banques à constituer une réserve de liquidité composée de titres d’Etat.
Vous pourriez vous dire que cela compense la baisse de la liquidité du point précédent, comme ils doivent en acheter plus. Mais, en réalité, ceci freine la circulation de titres sur le marché secondaire… et donc leur liquidité.
Dans ce contexte, les opérations de prêt de titres ou de repo (mise en pension de titres) perdent également de leur importance, puisque les établissements doivent conserver absolument ces titres dans leur réserve de liquidité. S’ils les prêtent ou les mettent en repo afin d’obtenir du financement ces titres ne sont plus éligibles à la réserve de liquidité, ce qui dégraderait les ratios de liquidité des banques.
La baisse de ces opérations de repo et prêt de titres pénalise donc encore plus l’activité de market-making des SVT, ce qui là encore va réduire la liquidité.
Enfin, la troisième illustration est plus difficile à évaluer, mais peut également perturber le fonctionnement des marchés. Il s’agit du comportement potentiellement déstabilisant de la BCE, lorsqu’elle intervenait massivement sur les marchés.
Les opérations réalisées dans le cadre du quantitative easing depuis 2015 ont forcément asséché la liquidité de certains actifs qui se sont retrouvés dans le bilan de la BCE, car toutes les obligations achetées par la BCE ne circulent plus, par définition.
C’est donc bien sur ce type de liquidité qu’il existe un risque systémique, au même titre qu’avant la crise des subprime. C’est ce que nous verrons plus en détails dans un prochain article.