La Banque centrale européenne ne peut intervenir que sur une certaine qualité d’obligations. Les agences de notation pourraient bientôt mettre l’Italie au pied du mur.
Vous souvenez-vous de l’époque où les agences de notation régnaient sur les marchés financiers ? En 2010, une tribune de la BBC commençait même ainsi : « existe-t-il une institution plus puissante et plus redoutée en Europe (ou dans le monde) que Standard & Poors ? »
Mmmmm…
Il s’avère en effet que la réponse est oui, il existe une institution plus puissante en Europe que Standard & Poors. Mais d’abord, je vous propose un petit retour sur le passé pour situer le contexte.
Je vais expliquer pourquoi, selon moi, il est temps de se préparer au retour des agences de notation. Et cette fois-ci, ce n’est pas la Grèce qui se battra contre les économistes.
Ce graphique est véritablement remarquable. Il montre que les achats d’obligations d’Etat par la Banque centrale européenne (BCE) s’effectuaient à un rythme de sept fois le montant net des obligations d’Etat européennes émises. Autrement dit, la BCE finançait sept fois les déficits des gouvernements européens.
Source: Deutsche Bank
Joost Beaumont de chez ABN Amro a déclaré au Financial Times l’année dernière : « il n’y a pas beaucoup de marchés de la dette qui ne soient pas déformés dans la Zone euro. » C’est la litote du siècle.
Mais remarquez comment il fait référence aux marchés de la dette en général, pas seulement ceux de la dette souveraine. Le même article du Financial Times détaille ensuite l’étendue des interférences de la BCE :
- Obligations sécurisées – 27% de la totalité du marché des obligations sécurisées appartient à la BCE.
- Obligations d’Etat – 1 340 milliards d’euros.
- Obligations d’entreprises – 61 milliards d’euros.
- Titres adossés à des actifs (ABS, Asset-backed securities), qui comprennent les hypothèques, les dettes de cartes de crédit, les prêts auto et autres crédits à la consommation – 23 milliards d’euros.
Je ne comprends pas comment on peut croire que les rendements des obligations européennes reflètent un risque ou une réalité.
A moins bien sûr que les politiques d’assouplissement quantitatif (QE) de la BCE n’arrivent à leur terme – ce qu’elles sont censées faire dans l’année. C’est à ce moment que nous verrons ce que les marchés pensent réellement de la dette européenne.
En supposant que la vérité nue ne soit pas trop douloureuse.
Les règles de la BCE sont comme le code du Pirate des Caraïbes
La BCE n’est pas censée financer les dépenses publiques. Elle s’est retrouvée à le faire « par erreur » lorsqu’elle a mis en oeuvre sa politique monétaire.
Les règles de la BCE sont comme la loi des pirates dans le film Pirates des Caraïbes : « le code est ce qu’on pourrait appeler des ‘lignes directrices’ plutôt que de véritables règles. Bienvenue à bord du Black Pearl ! »
Voici quelques exemples :
En mai 2010, la BCE a modifié ses règles de collatéral pour tenir compte des obligations grecques dévalorisées. Elle avait fait exactement la même chose temporairement le mois précédent.
En décembre 2016, le prix des obligations allemandes a tellement monté que c’en était ridicule et que les rendements sont entrés très loin en territoire négatif. La BCE fut obligée de changer ses règles pour être autorisée à les acheter.
La confusion régnait à propos du programme d’achats d’obligations d’entreprises par la BCE en octobre 2016 lorsque la Banque centrale se retrouva à posséder des junk bonds après la dégradation de la notation de la dette d’un producteur de potasse allemand. La BCE se contenta de modifier ses règles.
Mais la BCE ne s’est pas contentée de s’humilier elle-même avec ses « règles » changeantes. Elle a utilisé cette « souplesse » pour humilier les autres aussi. Ainsi, en 2015, la Banque centrale a interrompu la dérogation dont bénéficiaient les obligations grecques par rapport aux règles jusqu’à ce que le gouvernement grec accepte de se soumettre au plan d’austérité de la Troïka. Les banques grecques ne pouvaient plus avoir accès au financement de la BCE jusqu’à ce que leur gouvernement s’avoue vaincu.
En Italie, la même bataille entre les droits de l’Etat nation sur la politique budgétaire et les engagements de la Banque centrale va se livrer dans les mois prochains.
Selon moi, la bataille avec l’UE autour du budget pourrait être reléguée à l’arrière-plan. Certes, un arrière-plan important étant donné qu’il détermine si la BCE agira ou pas. Mais néanmoins un arrière-plan.
La vraie question est ce que fera la BCE. Parce que c’est la seule institution de l’UE qui a le pouvoir de mettre en oeuvre « ce qu’il faut » pour sauver les obligations européennes. En outre, elle n’a pas de compte à rendre démocratiquement parlant.
Avant d’expliquer comment les agences de notation feront leur retour dans la bataille entre l’Italie, l’UE et la BCE, faisons un bref rappel de la première crise de la dette souveraine européenne. Il est bon de connaître la position de chacun avant que la bataille ne commence.
Les règles du jeu et le point de départ
Selon ce qu’on appelle « la règle de la meilleure note » (first-best rule), au moins une agence de notation doit noter une obligation souveraine comme « investment grade » pour que la BCE l’achète. En tout cas selon ce qu’on appelle le plus communément un programme d’assouplissement quantitatif (QE).
Le think tank Brugel a élaboré le graphique ci-dessous, qui montre que plusieurs pays ont contourné les règles de la BCE depuis 2010. L’axe vertical est une sorte d’amalgame des notes des agences de notation. Au-delà de 10, vous êtes en dehors du mandat de sauvetage par la BCE, à moins de bénéficier d’une dérogation.
En fait, une obscure agence de notation canadienne appelée DBRS a été la seule agence qui a permis à l’Italie de rester hors de la zone à problème en 2013 en la classant A. Les trois agences les plus connues avaient toutes abaissé leur note.
La dérogation, c’est qu’elle fait entrer en jeu le jugement de la BCE. Comme l’a fait la Grèce, pour obtenir une dérogation, un pays doit être gentil avec la Troïka (composé du Fonds monétaire international, de la BCE et de l’UE). Autrement, la BCE exclura les obligations souveraines du pays et donc son système bancaire.
Tout marcha si bien en 2012 que cela fut codifié par l’UE en un nouvel ensemble de programmes avec de nouvelles « règles. »
Les OMT
Le programme clé grâce auquel la BCE pourrait renflouer l’Italie n’a encore jamais été utilisé. Il est appelé Opérations Monétaire sur Titres (Outright Monetary Transactions (OMT)). C’est le programme que certains citoyens Allemands ont attaqué en justice — et ils ont perdu, plus ou moins.
Les règles des OMT exigent qu’un pays soit sous la responsabilité fiscale de l’UE au travers de deux autres programmes de renflouement et d’austérité avant que la BCE ne puisse les sauver.
En mai dernier, Reuters a rapporté l’explication qu’en a donné le vice-président sortant de la BCE :
« Constancio, de la BCE, a dit à l’Italie : ‘lisez les règles sur le soutien de la banque centrale parce que toute intervention de la BCE pour aider l’Italie en cas de problèmes de liquidité doit satisfaire aux exigences de la banque et à ‘certaines conditions.’ »
Les conditions impliquent les mêmes programmes d’austérité que ceux appliqués en Grèce.
Vous remarquerez que cela nous ramène là même où nous avons commencé. La confrontation avec l’UE est à nouveau cruciale. Le renflouement de l’Italie par la BCE, sur lequel tablent les responsables politiques italiens dans les médias, exige de leur part qu’ils mettent en oeuvre une politique d’austérité.
A l’apogée de la crise de la dette souveraine, en mai, les responsables politiques italiens s’étaient énervés de la façon dont l’UE avait utilisé les rendements des obligations d’Etat italiennes pour faire pression sur les politiciens italiens afin qu’ils acceptent ses propositions. Sans l’approbation de l’UE, les Italiens n’obtiendront pas de renflouement de la part de la BCE.
Les économistes Olivier Blanchard et Jeromin Zettelmeyer ont expliqué dans le blog du Peterson Institute for International Economics que le plan budgétaire sur lequel les précédents gouvernements s’étaient mis d’accord avec l’UE est « le contraire de ce que le nouveau gouvernement italien a promis » à ses électeurs. Par conséquent, « à moins que le gouvernement ne change de cap, il sera obligé de sortir de l’euro, même si ce n’est pas dans son plan actuel. »
Mais dans le paysage politique italien, une voix affirme le contraire. Selon le ministre de l’économie, l’Italie est sur le point de proposer un budget de compromis que l’UE approuvera. Tout en satisfaisant toutes les promesses de dépenses faites aux électeurs…
Impossible ? Montrant qu’il a le sens de l’humour, le ministre a également déclaré qu’il attend de « confirmer l’engagement pour avancer vers la réduction de la dette italienne. » C’est là une « possibilité solide d’un peut-être déterminé, » au mieux.
Alessandro Polli, un chercheur en statistiques économiques à l’Université de Rome, a déclaré au journal chinois Xinhua que rien de tout ceci n’importe.
« En réalité la note n’a pas été abaissée et pour qui suit l’Italie de près une perspective à la baisse pour le futur doit être prise avec des pincettes, parce que la situation politique peut changer très vite. »
Jusqu’à ce que le budget soit proposé, vous pouvez déclarer et promettre tout ce que vous voulez.
Avec la bataille politique qui attend l’UE et avec les OMT de la BCE, les yeux se tournent vers les agences de notation.
Panique en vue
Puisque le programme OMT est conditionné par les programmes d’austérité de l’UE, les agences de notation redeviennent pertinentes. L’ancienne règle sur ce que peut acheter la BCE s’applique, maintenant que l’UE a codifié les règles des OMT. Les agences de notation sont les gardiennes de cette ancienne règle selon la meilleure des politiques.
En fait, les agences de notation paniquent. Deux agences ont remis à plus tard leur verdict. Elles attendent « une meilleure visibilité » sur le budget italien.
Vendredi dernier, la troisième agence, Fitch, a abaissé la perspective de la dette italienne de « stable » à « négative » — ce qui n’est pas une décote officielle sur l’indice de solvabilité réel. Mais c’est un avertissement.
Si le gouvernement italien propose réellement le budget promis aux électeurs et que les agences de notation réagissent en abaissant les notes comme elles sont censées le faire, le marché obligataire italien retournera dans la tourmente. Les investisseurs commenceront à craindre qu’une nouvelle vague de baisse de notations empêche la BCE de sauver les obligations italiennes à moins que le gouvernement italien n’accepte un compromis.
Des commentaires tels que celui-ci, entendu en 2014 sur CNBC, ne suffiront simplement plus en 2018 :
« L’Italie a rejeté l’abaissement de sa notation de risque souverain par Standard and Poor’s (S&P) au niveau juste au-dessus de ‘junk’, indiquant que le gouvernement ne partage pas les mêmes inquiétudes que l’agence de notation internationale. »
En 2011, la police italienne a investi les bureaux milanais de Moody’s et de Standard & Poor’s dans le cadre de l’enquête sur ces entreprises pour « respect des règlementations. »
On parie que l’histoire va se répéter ?
[NDLR : En réalité, les dettes existantes ne seront pas payées par les générations suivantes et cela signifiera la fin de l’euro tel que nous le connaissons. Il est temps de vous préparer au jour « J » comme jubilé. Découvrez comment ici.]
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passionnant