** Les places européennes n’ont pas aligné une quatrième séance de baisse — mais les acheteurs, qui ont remporté la mise, n’ont pas eu la tâche facile. La journée avait très mal débuté alors que Wall Street menaçait de prolonger le violent mouvement de correction de mardi.
Une perte de 1% à 1,3% supplémentaire était anticipée, mais les heures qui ont suivi ont démontré que les échanges en pré-ouverture sur les indices américains ne sont pas des précurseurs très fiables de la tendance.
La tendance peut basculer radicalement sans que l’actualité du jour n’explique ce phénomène. Le rebond de Wall Street était d’autant moins attendu que les places asiatiques avaient donné le ton en fin de nuit avec une purge collective de 3% à Séoul, Hong Kong ou Shanghai.
Sans de nouveau vous dépeindre une toile de fond conjoncturelle qui demeure très sombre — les résultats trimestriels du premier trimestre devraient en témoigner –, il faut revenir sur le scénario assez improbable de la journée d’hier. Les échanges avaient été très volatils en Europe avec une tendance à la remontée des indices de la mi-journée jusqu’en fin de séance. Wall Street s’est montré tout aussi irrégulier, mais avec une tendance à l’alourdissement de l’heure du déjeuner jusqu’en clôture.
Contre toute attente, le Dow Jones gagnait 80 points au cours de la première demi-heure puis 100 points à l’heure du déjeuner. Il est ensuite repassé dans le rouge (-0,4%) à l’heure du café. Mais les acheteurs se sont remobilisés et l’indice phare est parvenu à grimper de 0,6% au final, et ce malgré le net repli de Citigroup, Bank of America ou de Morgan Stanley (de -2% à -4%).
Seul le Nasdaq a effectué un parcours à peu près sans faute avec environ 2% de gains en moyenne au cours de la dernière heure de cotations, et -1,85% au final.
Le S&P 500 a bien failli repasser dans le rouge dans le sillage des valeurs bancaires. Cependant, le secteur de l’assurance a largement compensé cette lourdeur. En effet, le gouvernement américain pourrait étendre — via le TARP — son aide aux organismes chargés de gérer l’épargne des futurs retraités. L’importance systémique de cette activité est incontestable en ces temps d’appétit pour l’épargne. L’assureur AIG a ainsi rebondi de près de 2,5%, Cigna a gagné 6,5% et Lincoln a flambé de 32,3%.
** L’une des informations susceptible de changer la donne sur les marchés est ce projet de la SEC de restreindre le champ d’action des vendeurs à découvert en rétablissant la règle de l’uptick. Elle avait été instaurée en 1938 puis supprimée mi-2007… pour cause de manque d’efficacité.
Dans les faits, cela consiste à ne pouvoir introduire un ordre de vente que lorsque qu’une meilleure demande — c’est-à-dire supérieure au dernier cours traité — se présente dans le carnet d’ordres. Cela n’empêchera cependant pas les arbitragistes ou les programmes de trading — dont l’activité est directement associée aux contrats à terme — d’aller "servir" les acheteurs et d’enfoncer les éventuels supports.
En revanche, cette règle va compliquer la tâche des opérateurs — souvent individuels — qui essaient de se protéger par des ventes stop. Ils n’auraient alors plus aucune garantie de voir leurs ordres exécutés en totalité si les cours plongent sous la limite indiquée.
La SEC envisage également de resserrer les seuils de déclenchement des coupe-circuits qui neutralisent cette fois les programmes de trading informatisés, permettant ainsi à une contrepartie de s’organiser. Mais une telle mesure s’avère rarement suffisante pour enrayer une spirale baissière.
** Que les amateurs de ventes à découvert se rassurent, il existe des parades comme par exemple rentrer des limites avec deux décimales derrière la virgule, ce qui permet depuis un an resserrer les fourchettes de transactions sur Euronext. Cependant, la meilleure protection contre les initiatives de la bureaucratie, c’est la bureaucratie elle-même !
En effet, modifier les règles de fonctionnement des marchés n’est pas si simple. Il faut recevoir l’aval de la majorité des cinq commissaires de la SEC supervisant le contrôle de Wall Street avant de pouvoir entamer la phase de rédaction du texte, ce qui prend deux mois.
Il faut ensuite le faire voter, et cela prend deux mois de plus, puis trois mois de plus pour faire rentrer les nouvelles directives en application. Autrement dit, si la règle de l’uptick est adoptée, ce sera en guise de cadeau de Noël ou, soyons optimistes, pour les fêtes de Thanksgiving !
** Si l’évolution des indices tournait de nouveau au carnage, la SEC pourrait toujours dégainer le bazooka comme à l’automne dernier, c’est-à-dire interdire purement et simplement les ventes à découvert sur une liste de titres, un secteur de la cote, ou — pourquoi pas — l’ensemble des composantes du S&P 500, voire la totalité des valeurs listées sur le NYSE.
Nous parions que ceux qui ne croient pas à poursuite du rebond de Wall Street auront eu le temps de se préparer à toute éventualité afin que de beaux esprits ne puissent pas de nouveau se servir du procédé bien commode consistant à désigner les shorts (les vendeurs à découvert) comme cibles privilégiées de la vindicte populaire.
Philippe Béchade,
Paris