▪ On est censé être en pleine reprise économique, pas vrai ? C’est ce que semblait sous-entendre la couverture du magazine The Economist la semaine dernière (ou bien était-ce la semaine d’avant ?). Comme moi, vous avez peut-être eu l’occasion de voir ce dessin porteur d’espoir, en déambulant dans les couloirs d’un aéroport. Il représente deux explorateurs armés de machettes et éclairant de leurs torches un coffre au trésor étincelant.
« La reprise ?!! » s’exclame l’un des personnages.
Hum…
Il y a aussi eu cette couverture du magazine The Atlantic où l’on voit le visage plein de suffisance d’un Ben Bernanke, l’air d’attendre obséquieusement les louanges qui lui sont dues. « Le héros », annonce le titre — accompagné du sous-titre : « Ben Bernanke a sauvé l’économie mondiale. Alors, pourquoi tout le monde le déteste-t-il ? »
Hum… (bis)
Nous nous demandons alors : faut-il être un personnage de BD — ou posséder la capacité cérébrale d’un personnage de BD — pour croire que le monde est en mode reprise ? A bien y réfléchir, qu’est-ce que le « mode reprise » ? Nous entendons tant de choses à ce sujet… Mais qui a réellement réfléchi à ce que cela signifie vraiment ?
Le verbe « reprendre » suppose un retour à la normalité, comme après un choc anormal. On peut « reprendre » des forces, par exemple, en revenant à un état normal de santé. De même, on peut « reprendre » ses esprits à la suite d’un étourdissement… ou d’une soirée trop arrosée… ou d’un étourdissement du à une soirée arrosée. Une relation peut « reprendre » après une dispute. Un conducteur peut « reprendre » le contrôle de son véhicule après un moment de distraction.
Dans tous les cas, l’idée de « reprise » implique un retour à ce qui était ‘avant’. Un retour à la normale. Un retour à la moyenne.
Mais qu’en est-il s’il ne s’agit pas de ce genre de situation ? Si nous sommes dans une nouvelle normalité, une nouvelle sorte de moyenne ? Si, comme on dit, nous avons dépassé le point de non retour ?
Hum… (ter)
Imaginez un cocher attendant le retour à la normale après l’introduction de l’automobile. « Les affaires reprendront bientôt », se rassurait-il peut-être en voyant passer un nouveau Model T. Et imaginez, pour une raison ou une autre, que les affaires aient effectivement repris pour quelques jours… ou pour une semaine… voire pour un mois. « Ça y est ! » aurait-il conclu. « C’est la reprise ! »
▪ Parfois, il n’y a pas de reprise
On aurait pu dresser le même constat avec un million d’autres industries d’autrefois. Mais les affaires retourneront-elles jamais à la « normale » pour les membres de la Guilde des maréchaux-ferrants ? Devons-nous nous attendre à une reprise durable du secteur des appareils photos jetables ? Une reprise se profile-t-elle pour les pourvoyeurs de pornographie hors Internet ?
La réponse est claire : non. Ces industries sont mortes et enterrées, elles font désormais partie du passé.
Nous ne nous en portons que mieux, n’est-ce pas ? L’homme — ou la femme — moderne de 2012 n’a pas besoin de s’embêter avec les tracasseries sans fin d’une vie entravée. Il ne trouve plus de raison de maudire sa maladresse photographique lorsqu’il va récupérer ses tirages au magasin. A présent, il n’a qu’à effacer ses horribles compositions numériques et prendre une autre photo avec son téléphone. De même, il n’a plus besoin que son marchand de journaux soit au courant du moindre détail de ses caprices et obsessions intimes. Le désir d’une personne est le nom de domaine d’une autre personne.
Qu’en est-il alors de cette « reprise » ? Le terme sous-entend un retour à la façon dont les choses étaient avant la « crise mondiale ». Nous pensons qu’elle n’aura pas lieu.
Et heureusement !
Le marché veut la destruction de la dette. Il veut des comptes réglés et la mort des institutions moribondes. Il a soif d’une vague d’événements « à la Lehman ». Le marché veut du capital libéré des entreprises embourbées afin que des entreprises plus neuves, plus jeunes, avec des produits supérieurs et des business models innovants puissent en faire meilleur usage. Il veut que les erreurs soient punies, que les fautes soient corrigées et que les leçons des processus à cet égard soient rendues disponibles pour que tous les connaissent et en tirent des leçons.
Si l’on considère que The Atlantic a raison et que Bernanke a réellement sauvé l’économie mondiale, il ne l’a fait qu’au sens où il a « sauvé » les investisseurs des leçons qu’ils avaient besoin d’apprendre. De même, il a « sauvé » le marché du processus d’évolution par lequel il devait passer. Et, en ayant fait cela, l’homme aux manettes des machines à imprimer des dollars continue de nous « sauver » de l’avenir dont nous aurions autrement pu profiter.
Fort heureusement, Bernanke ne pourra pas éternellement « sauver » l’économie. Que tout le monde le déteste ou qu’il soit universellement adoré, son travail connaîtra un jour ce que connaît toute chose sur cette terre… une fin.
Et alors, le futur sera libre de recommencer.