** Nous avons été rapidement convaincu que le CAC 40 parviendrait sans trop de difficultés à préserver le support des 5 750 points — même si l’indice affichait jusqu’à 1,2% de repli en milieu d’après-midi et un niveau plancher de 5 739 points dans le sillage d’Alcatel-Lucent. La société a été sévèrement impactée par le profit warning de son concurrent suédois Ericsson (-25% à Stockholm).
La moitié des pertes ont été comblées au cours de la dernière heure. Pendant ce temps, Wall Street s’employait à montrer le bon exemple après une entame de séance placée sous le signe d’un petit flight to quality (fuite vers la sécurité) au profit des marchés obligataires.
Des taux qui se détendent, des multiples de capitalisation abordables (relativement aux marchés asiatiques), des déclarations plutôt encourageantes d’Henry Paulson depuis la Georgetown University (il suggère d’aider les emprunteurs en difficulté sur leurs prêts immobilier)… il n’en fallait pas davantage pour redonner un moral de vainqueur aux gérants américains.
** Le Dow Jones a rapidement réagi, après avoir enfoncé brièvement le seuil des 13 900 points. Ceci a permis à l’Eurotop 100 de rester au contact du palier des 3 300 points, et au CAC 40 de se rapprocher au final des 5 775 points. Cela restaure une petite marge de sécurité par rapport à la zone dangereuse des 5 750 points.
La restauration d’un climat boursier plus positif tient à des petits détails ; juste retour des choses, puisque les grands sujets d’inquiétude macro-économique ne font même plus chuter les indices. Or la journée d’hier fut particulièrement prodigue en « petits détails ».
Cela avait commencé hier matin par l’inscription d’un nouveau record absolu à Shanghai à 6 125 points dès les premiers échanges. Ca s’est poursuivi avec un brusque rebond du dollar vers 9h30 (il se redressait de 1,4225 vers 1,415/euro). Puis, vers 15h15, les investisseurs eurent l’immense joie de découvrir que la production industrielle s’était maintenue aux Etats-Unis au mois de septembre (+0,1%) au lieu de dégringoler dans le sillage du ralentissement dans l’immobilier.
Et comment ne pas ne pas s’enthousiasmer pour la flambée du baril de pétrole — propulsé en 48 heures de 85 $ vers un record historique de 87,9 $ sur le NYMEX ? Cela devrait engendrer une pluie de pétrodollars sur Wall Street d’ici quelques jours ou quelques semaines tout au plus… histoire de contrebalancer l’effondrement de la balance des capitaux aux Etats-Unis au mois d’août puisque les investisseurs étrangers ont rapatrié pour 69 milliards de dollars d’actifs libellés en dollars — mais ce sont en fait près de 170 milliards de dollars qui ont déserté le sol américain cet été.
Par ailleurs, le moral des milieux d’affaires allemands se stabilise en octobre, selon l’institut ZEW (autour de -18 au lieu des -22 anticipés). De quoi faire oublier l’accélération du taux annuel d’inflation dans la zone euro (2,1% en septembre, contre 1,7% en août) puis l’avertissement « coup de massue » d’Ericsson, évoqué en préambule.
En résumé : que du bonheur !
** Et pour égayer cette belle séance de mardi, nous avons beaucoup ri en suivant en tâche de fond l’interview de Matt Ridley par les représentants du Comité du budget de la Chambre des Communes. Accusé d’avoir causé pire déroute bancaire en 150 ans sur le sol britannique (la faillite de la Barings fut causée par sa filiale singapourienne) et d’avoir puisé sans vergogne dans les caisses de l’Etat (plus de 13 milliards de livres sterling pour garantir un encours équivalent à 100 milliards de livres, dont une bonne partie sous forme d’emprunts à taux variable), le président de Northern Rock — vous aviez naturellement deviné qu’il s’agissait de lui ! — s’est défendu en mettant en exergue la transparence des activités de sa banque aux yeux des autorités monétaires britanniques.
A l’en croire, seuls le grand public et les fonds d’investissement n’étaient pas au courant des difficultés de Northern Rock début août. Un plan de sauvetage aurait été élaboré dès le 10 août, avec l’aval du Chancelier de l’Echiquier et la pleine coopération de la Bank of England.
En ce qui concerne le grain de sable qui a enrayé la belle mécanique des prêts à risque et/ou à géométrie variable, Matthew Ridley explique que la soudaine coagulation du marché des subprime était jugé parfaitement impossible et que l’effondrement de la liquidité n’était « prédictible par personne ».
Quel farceur ! Ce fut le clou de son témoignage — la chute méritait vraiment le détour : il fallait un sacré sens de l’humour et un flegme tout britannique pour oser proférer ce genre d’affirmation sans même esquisser un plissement des yeux… tout en maîtrisant les saccades d’un rire venu du plus profond des muscles abdominaux.
Nous connaissons des rédacteurs de la Chronique qui ont écrit des chapitres — et même des livres — à ce sujet, démontrant que seul un miracle pouvait empêcher que la folie du subprime ne se termine par un désastre.
Et quel désastre ! Les 20 milliards d’euros de pertes (en comptant large) du Crédit Lyonnais en 1992/1993 font pâle figure en regard de celles encourues par Northern Rock si les prix de l’immobilier se retournent en Angleterre — ce qu’ils ont déjà commencé à faire sur le sol irlandais.
Le Crédit Lyonnais constitue quant à lui une source d’inspiration vivifiante pour le système bancaire américain. Le CDR (Consortium de Réalisation) sert de modèle à la méga-structure de defeasance (cantonnement des créances pourries) que les plus grands établissements de crédit américains sont en train de mettre en place.
La seule variante, c’est qu’en France, le CDR bénéficiait d’un nantissement sous forme d’argent public (nos impôts !). Aux Etats-Unis ou en Angleterre, par contre, ce sont les spéculateurs qui vont mettre au pot en espérant identifier « au toucher » quelques fruits sains au milieu d’un panier de pommes pourries. Au final, cela revient à faire une nouvelle fois supporter le risque global par le marché — c’est-à-dire par tous les épargnants de la planète.
Que du bonheur on vous dit… On en redemande !
Philippe Béchade,
Paris