▪ La séance du 6 mai à Wall Street restera dans les annales comme la synthèse de tous les travers, excès et absurdités d’une Bourse robotisée, où le trading à la milliseconde peut déboucher sur les pires catastrophes.
Celle à laquelle nous venons d’assister jeudi est selon toute vraisemblance d’origine technique. Cependant, c’est un scénario de krach sans précédent car les indices américains ont plongé de 6% à 7% en cinq minutes (de 20h40 à 20h45), passant de -3% à -9% ou -10%.
Nullement émues d’avoir vu le S&P perdre 9% et le Nasdaq 100 la bagatelle de 10% vers 20h47, les autorités boursières expliquaient benoîtement vers 23h (jeudi soir) que « le système est comme il est, conforme aux voeux des opérateurs. Il faut accepter que de forts décalages surviennent parfois quand le marché est nerveux ».
Mais après le désastre boursier de ce jeudi (et les 1 000 points perdus par le Dow Jones… sa plus forte baisse de l’histoire), qui osera encore prétendre que « le marché a toujours raison » ? Qui osera prétendre que la psychologie des intervenants régit l’évolution des cours alors que 99% des ordres exécutés à l’aveugle entre 20h40 et 20h45 l’ont été par des robots ?
De nombreuses enquêtes vont être déclenchées suite à la colossale erreur de trading sur le S&P 500 qui a déclenché la génération d’une apocalypse de centaines de milliers d’ordres de vente en quelques secondes… provoquant la plus absurde des paniques boursières de l’histoire de Wall Street.
▪ Moins de deux heures après la clôture, le Nasdaq et le NYSE demandaient à la SEC la possibilité d’annuler 60% des transactions survenues entre 20h40 et 21h. Cependant, le premier réflexe des porte-parole du NYSE a été d’indiquer que tout fonctionnait normalement tandis que les faits hurlaient que ce n’était pas le cas.
Pas moins de huit valeurs de premier plan — dont le géant Accenture — ont vu leur cours s’inscrire à… 0,01 $, c’est-à-dire un cent, durant quelques secondes. Aucun système informatique ne s’est opposé à cette situation ubuesque ! Fallait-il alors considérer que le plongeon de 35% de Procter & Gamble — de 62 $ vers 39,4 $, avant un rebond vers 61 $ en clôture — constituait une anomalie ?
Non décidément, les systèmes d’exécution des ordres ont parfaitement fonctionné, même lorsque le repli de Wall Street a atteint les 9%… et c’est tout ce qui compte !
▪ Sans parler de retour au calme, un relatif retour à la normale s’est dessiné en fin de séance. Les dégâts demeurent toutefois impressionnants, avec -3,25% sur le Dow Jones et le S&P 500, et -3,45% sur le Nasdaq Composite.
En faisant abstraction de la psychose d’une contagion planétaire de la faillite grecque, le cataclysme de 20h45 s’expliquerait, selon une rumeur insistante, par une erreur de passation d’ordre chez Citigroup. Une ligne de vente de 16 milliards de dollars — au lieu de 16 millions — y aurait été exécutée sans que les systèmes de contrôle informatiques n’empêchent cette monstruosité.
Citigroup dément… mais annonce mener une enquête en interne. Par ailleurs, de nombreuses sources extérieures concordantes évoquent une anomalie commise par un « agent », consistant dans une vente massive de contrats sur le S&P 100.
▪ Du point de vue conjoncturel, les causes du vent de panique sont connues. Il s’agit de la peur d’une contamination de la crise d’endettement de la Grèce à d’autres pays, puis enfin aux Etats-Unis — qui sont dans une situation de déficit budgétaire explosive, d’après plusieurs membres de la Fed (dont James Bullard et Thomas Hoenig).
Les besoins de financement des Etats-Unis vont éponger une large part des liquidités disponibles dans le monde… à moins de continuer à imprimer des billets verts.
De quoi avoir envie de fuir le dollar… C’est pourtant la chute de l’euro sous les 1,26 $ qui pourrait avoir servi d’étincelle pour une accélération des dégagements à Wall Street, le débouclement mécanique des carry trade yen/dollar ne faisant qu’amplifier la panique. Le film des événements démontre toutefois que les mécanismes anti-panique, les « coupe-circuits » n’ont pas fonctionné.
▪ Le Dow Jones s’est donc effondré de 1 000 points à 9 875 points, la plus forte baisse intraday de son histoire. Le Nasdaq perdait 220 points à 2 188, et le S&P 500 chutait de 100 points à 1 066 points avec Cisco à -12%, General Electric à -14,5%, Bank of America à -11%, Boeing à -12%, Intel et Broadcom à -11%.
Apple a affiché jusqu’à -20% avant de rebondir à -3,8% en clôture. Le record de baisse sur le Nasdaq revenait à Automatic Data Processing avec -30%… avant d’en terminer sur une perte anodine de 2,5% ; le Nasdaq 100 affichait très exactement -10% à 20h45, avec 100% de ses composantes en baisse de plus de 4%.
La moitié des pertes ont été heureusement effacées en quelques minutes. Cependant, il subsistait encore des écarts supérieurs à 4,5% en moyenne à une demi-heure de la clôture, les indices US affichant -3,3% en moyenne au coup de cloche final.
Même avec des pertes réduites des deux tiers au cours de la dernière heure, tous les supports graphiques court ou moyen terme sont cassés. Ils ont ainsi libéré des forces baissières qu’il sera bien difficile de maîtriser, même en annulant des centaines de milliers de transactions jugées anormales.
▪ Les autorités boursières américaines, quoi qu’elles en disent, ont complètement perdu le contrôle de la situation entre 20h40 et 20h45. Les carnets d’ordres ont été totalement purgés en quelques secondes par les programmes informatiques à l’origine d’un déferlement sans précédent de stops vente, rééditant en quelques secondes le scénario du 19 octobre 1987.
C’est terrifiant pour les épargnants de voir disparaître 10% de leur épargne en quelques minutes et jusqu’à 25% sur des blue chips (y compris des valeurs de « bon père de famille ») que les gérants de portefeuille s’arrachaient encore 48 heures auparavant.
Aucune classe d’actifs — sauf les Bons du Trésor US — n’a échappé au jeu de massacre. Le pétrole s’effondrait de 6% vers 75 $ alors que l’euro effectuait une incursion vers 1,255 $. Le WTI clôturait sous les 77 $, sur un écart voisin de -4%.
Wall Street ne pourra plus faire l’économie d’une restructuration complète de l’architecture informatique, de l’encadrement technique des trading programs et du flash trading. De nouvelles rafales d’ordres de vente — comme des répliques d’un fort séisme — risquent de survenir ce vendredi.
Pour enrayer la spirale baissière, il faudra un message autrement plus fort de la part de la BCE que de simples voeux pieux de J.C. Trichet (ce jeudi en conférence de presse) concernant la capacité de la Grèce à respecter les conditions lui permettant d’obtenir le déblocage des 110 milliards d’euros d’aide. Wall Street prend soudain conscience de ce que 10 semaines de hausse artificielle et savamment orchestrée constituaient une gigantesque escroquerie intellectuelle masquant, comme pour les subprime, d’autres arnaques purement financières !
▪ Après une telle journée d’hystérie boursière, cela fait du bien de se détendre un peu. Nous ressortons pour ce faire quelques-uns des e-mails reçus alors que les indices boursiers alignaient une dixième semaine de hausse consécutive depuis la mi-février.
De beaux esprits nous y affirmaient que nous aurions été mieux inspiré de nous mettre au tricot ou à l’élevage de chèvres dans les Cévennes que de persister à publier des théories délirantes sur le surendettement des Etats, l’impuissance de la BCE, la consternante absence de solidarité européenne au sujet du dossier grec, les dangers du flash trading et la surévaluation des actions.
« Les marchés montent et ils vont continuer de monter quoi que vous écriviez. Les marchés –qui ont toujours raison — ont naturellement ‘pricé’ les périls que vous décrivez… sinon, comment pourraient-ils rééditer ou battre leurs records annuels ? Les marchés en savent plus que vous et ils sont réalistes : ils ont compris que la reprise bien est là, contrairement à vous qui vous obstinez à anticiper une consolidation qui n’a aucune raison de survenir ».
Nous n’avons cessé de clamer que la correction sera d’une violence inversement proportionnelle au volume de désinformation des investisseurs et de manipulation des indices par une poignée de brokers qui font la tendance depuis juillet 2009.
Nous étions fin prêts pour jouer le scénario baissier depuis la mi-avril : les dernières prises de positions offensives à la baisse proposées sur le Téléphone Rouge remontent au 15 avril, alors que Paris tutoyait les 4 050 points tandis que l’Euro-Stoxx 50 retraçait les 3 000/3 010.
Mais nous n’aurions pas parié notre chemise sur le scénario d’une rechute du CAC 40 sur les planchers annuels du 5 février dernier en cinq séances (sur une série de huit depuis le dernier test des 4 000 le 26 avril)… et encore moins sur la possibilité de voir tous les gains de Wall Street accumulés en 2010 partir en fumée en cinq minutes !
Au moins comme cela, vous ne pourrez plus nous accuser de prévoir le pire : la réalité dépasse encore une fois nos « fictions » !