Si la Bourse chute, c’est que quelque chose a changé. Cette fois, c’est la politique monétaire de la Fed, mais une telle réaction des marchés est-elle vraiment si surprenante ?
Ce mois de mai se déroule très mal pour les marchés. Mais à la Fed, au moins une responsable affirme que ça n’était pas « pas surprenant ». Bloomberg :
« La présidente de la Federal Reserve Bank de Kansas City, Esther George, a déclaré que la ‘semaine difficile sur les marchés boursiers’ n’était pas surprenante, reflétant en partie le resserrement de la politique de la banque centrale. Elle ne modifie pas son soutien à des hausses de taux d’intérêt de quelques points pour calmer l’inflation.
‘Je pense que ce que nous recherchons, c’est la transmission de notre politique ; elle se fait à travers la compréhension par les marchés qu’il faut s’attendre à un resserrement’, a déclaré George… ‘C’est l’une des voies par lesquelles des conditions financières plus strictes émergeront… En ce moment, l’inflation est trop élevée et nous devrons faire une série d’ajustements de taux pour faire baisser cela… Nous voyons les conditions financières commencer à se resserrer, donc je pense que c’est quelque chose que nous devrons surveiller attentivement. Il est difficile de savoir combien il en faudra.’
Esther George n’aurait pas pu être beaucoup plus claire. Pour une fois elle dit une certaine vérité, prenez en note. Elle dit en substance : « Nous recherchons la transmission de notre politique monétaire, et elle se fait uniquement lorsque les marchés comprennent que la volonté de resserrement est sérieuse. »
C’est très clair, la politique monétaire se transmet par les marchés, et pour transmettre cette politique, les marchés doivent nous écouter, nous croire, et ne doivent pas nous combattre.
On ne se bat pas contre la Fed
Le don’t fight the Fed marche dans les deux sens, à l’aller et au retour.
La crise, c’est non seulement une succession d’événements, mais aussi un processus d’apprentissage, et cet apprentissage se fait par la révélation de ce qui a toujours été, mais est resté non-dit.
Ici, Esther George fait avancer l’apprentissage, en reconnaissant que le marché boursier est non pas un espace de découverte des prix des actifs financiers, mais un outil de transmission des politiques monétaires dans le cadre nouveau non-conventionnel qui prévaut depuis Greenspan.
Je l’explique depuis… 1990 !
La dérégulation a consisté à mettre le crédit sur les marchés pour pouvoir en produire plus, alors que dans le passé il était en banque.
Je soutiens que, dans notre ère, le marché financier est une gigantesque banque, et qu’à ce titre il exerce les mêmes fonctions de transformation que le système bancaire, du court en long, du risqué en non risqué… Il mutualise, il répartit. Il crée la liquidité comme une banque. Ou la détruit.
Mais le marché n’est pas équipé comme l’étaient les banques ; il n’y a pas de credit-men, que des pseudo analystes du sell-side qui sont payés au bonus et qui donc n’ont qu’un objectif : faire du pognon.
Les marchés ne sont pas des lieux de confrontation rationnelle ; ils sont des lieux de rencontre de personnes qui font du marketing boursier pour gagner du pognon, et de gogos qui les croient par avidité moutonnière. Les marchés accomplissent la fonction du système bancaire, mais en étant aveugles et mus par l’appétit pour le gain, pour le jeu sans frein.
La main invisible est aveugle
L’intelligence et le savoir bancaire sont remplacés par l’appétit pour le jeu des casinos les plus fous.
Ces pseudo analystes marketeux excitent les esprits animaux, ce qui fait que la rationalité quitte les marchés boursiers. Le momentum, la tendance, l’imitation, tout cela règne en maître. Et la main invisible du marché est aveugle, elle ne fait que des conneries et les enchaîne les unes après les autres. C’est la thèse de Soros et c’est la mienne. Et le système est une machine à exploiter la connerie.
Le marché aveugle et idiot doit cependant être régulé comme l’étaient les banques et le crédit bancaire, donc il faut lui appliquer des techniques qui, soit élargissent les conditions financières soit les réduisent.
Il faut le faire par le biais du niveau des indices boursiers, bêtement.
Lorsque l’on souhaite élargir et assouplir, il faut faire monter les indices ; lorsque l’on souhaite resserrer et contracter les conditions financières, il faut accepter de faire baisser les indices. C’est ce que ne dit pas explicitement Esther George, mais que je vous dis cyniquement depuis plusieurs décennies.
La mutation du rôle des marchés les a transformés en outil colossal de transformation, de distribution et d’allocation, en outil de gonflement des patrimoines par effet de richesse fictive ; face à cet outil gigantesque, les banques centrales sont obligés d’employer des outils grossiers, primaires, des outils qui écrasent tout. Elles emploient soit des vannes de distribution mal calibrées, soit des marteaux pilons ravageurs et dévastateurs.
Vous devez commencer à comprendre que les discussions sensées devraient en ce moment porter non pas sur les queues de cerise de la régulation, c’est dire sur le cycle court, mais sur les outils, les structures, et les fonctions des systèmes mis en place il y a 40 ans. Nous sommes entrés dans une phase de questionnement du cycle long.
C’est ce que nous verrons demain…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]