Les délocalisations qui ont profité à la Chine commencent à la défavoriser : combien de temps l’empire du Milieu restera-t-il la locomotive industrielle de l’Asie ?
La page du Covid est définitivement tournée en Chine continentale.
Depuis le début d’année, Pékin a assoupli drastiquement sa politique sanitaire et a rouvert le pays sur le monde. Après l’ouverture des frontières sans quarantaine début janvier pour les expatriés et les voyageurs d’affaires, ce sont maintenant les touristes qui peuvent demander des visas de voyage – voire en être exemptés dans certaines villes.
Sur place, les déplacements inter-régionaux sont de nouveau possibles en train à grande vitesse ou par avion. Et le port du masque n’est plus qu’un lointain souvenir.
Le pays est revenu, en quelques semaines, sur trois ans de politique sanitaire drastique. Tous les ingrédients semblent donc réunis pour que la remondialisation puisse reprendre son cours, et pour que l’empire du Milieu assure une part toujours croissante de la production mondiale.
Mais 2023 n’est pas 2019, et les industriels ne sont plus aussi enclins à s’implanter en Chine continentale qu’avant le Covid. Le taïwanais Foxconn, sous-traitant bien connu du géant Apple pour l’assemblage de l’iPhone, vient de jeter un pavé dans la mare.
Suite à la signature d’un nouveau méga-contrat, les analystes s’attendaient à ce que Foxconn installe, comme à son habitude, de nouvelles lignes de production en Chine. Ce ne sera pas le cas, et les nouvelles capacités industrielles verront le jour en Inde.
Le contexte géopolitique pourrait faire croire qu’il s’agit d’une instrumentalisation de l’outil industriel dans le conflit larvé qui oppose Taipei à Pékin – et il est possible que ces considérations aient pesé dans la balance.
Mais les seuls critères économiques suffisent à justifier ce choix inédit.
Le cas Foxconn, médiatisé car il s’agit du premier fournisseur d’Apple, pourrait être l’arbre qui cache la forêt des délocalisations à venir. La mondialisation n’a pas dit son dernier mot : elle a survécu à la pandémie, elle survivra aux grands discours sur les relocalisations… mais l’empire du Milieu, qui nous avait habitués à en être le premier bénéficiaire, pourrait cette fois-ci en faire les frais.
Quand Foxconn abandonne la Chine
Le nouveau contrat entre Apple et Foxconn aurait pu être dans la lignée des précédents.
Le groupe californien, qui ne fabrique plus lui-même ses produits depuis des décennies, cherchait un sous-traitant pour assembler ses oreillettes AirPod. Le jeudi 16 mars, Reuters a révélé que l’entreprise taïwanaise, qui assemble déjà 70% des iPhones produits sur la planète, avait remporté l’affaire.
La logique industrielle aurait voulu que l’activité soit installée sur le méga-site de Zhengzhou, qui peut accueillir jusqu’à 300 000 employés et où sont déjà assemblés iPhones et autres produits Apple.
Le site d’assemblage de Foxconn à Zhengzhou : une véritable ville-usine. Photo : Foxconn
Selon les informations de Reuters, c’est pourtant à 4 000 km de là que sont installées les capacités d’assemblage. Foxconn prévoirait en effet de construire un nouveau site en Inde, dans l’Etat du Telangana, mobilisant pour ce faire une enveloppe de 200 M$.
Avec cette future ligne de production indienne, Foxconn permet à Apple d’accélérer sa sortie de Chine. Jusqu’à l’année passée, la quasi-totalité (95%) des iPhones étaient assemblés en Chine, et les quelques pourcents assemblés en Inde était des modèles d’ancienne génération. Ce n’est qu’en septembre 2022 qu’Apple a timidement inauguré l’assemblage des derniers modèles dans la plus grande démocratie du monde.
A court terme, selon les analystes, un quart de la production des iPhones – et une part potentiellement plus importante des accessoires – devrait être assurée hors de l’empire du Milieu.
Une nouvelle vague de délocalisations
Si les industriels ne se bousculent plus pour augmenter leurs capacités de production en Chine, c’est parce que le contexte local a bien changé durant la pandémie.
Sur trois ans, le prix du foncier a continué d’augmenter dans les principales mégapoles malgré une stabilisation ces derniers mois. Les salaires des ouvriers qualifiés et des ingénieurs ont poursuivi leur hausse. Nombre d’activités qui étaient rentables début 2020 ne le sont plus début 2023, et même l’assemblage de produits technologiques perd de son intérêt.
Le contrat pour la fabrication d’AirPods est un cas d’école. Toujours selon Reuters, Foxconn aurait dans un premier temps envisagé de ne pas répondre à l’appel d’offre, au vu des marges d’assemblage bien plus faibles sur ce produit que sur les iPhones.
Dégager des bénéfices en Chine semblait difficile au point de rendre le contrat non-rentable.
En délocalisant la production en Inde, Foxconn peut espérer diminuer ses coûts salariaux d’un facteur 2, obtenir des subventions des autorités locales, et pourra même permettre à son client final, Apple, de vendre sur place des produits Made in India, lui évitant ainsi les taxes douanières à l’importation.
C’est cette même mécanique qui conduit de plus en plus d’entreprises dont l’activité manufacturière s’était déplacée en Chine à considérer une implantation dans d’autres pays d’Asie. Avec une population qui rattrape celle de la Chine et une classe moyenne de plus en plus nombreuse, l’Inde est évidemment une destination de choix.
Evolution de la population de l’Inde, de la Chine, et des Etats-Unis. Source : Banque Mondiale/Alphabet
Même des entreprises chinoises
D’autres pays d’Asie ont aussi les faveurs des industriels. Indonésie, Vietnam, Thaïlande et Malaisie accueillent de plus en plus d’entreprises étrangères. Les sociétés occidentales qui avaient déplacé leurs activités vers la Chine dans les années 2000, qui ont vu la différence de coûts s’amenuiser au fil des ans et ont eu le plus grand mal à maintenir l’activité durant les trois ans de pandémie sont bien sûr les premières à envisager ce nouvel exode.
Comme Apple, Google a décidé il y a peu de délocaliser la production de son smartphone-phare, le Pixel 7a, hors de Chine. Le groupe a opté pour le Vietnam, tout comme Microsoft pour la production de sa console Xbox.
En parallèle, même les entreprises chinoises ont de plus en plus recours aux délocalisations. Sur les trois premiers mois de l’année, pas moins de 45 projets industriels auraient été lancés au Vietnam par des firmes chinoises, y compris par des groupes cotés comme Luxshare Precision, Xiamen Sunrise, ou Hanghzou First Applied Material.
La parenthèse du Covid achevée, le savoir, les biens et les personnes circulent de plus belle. La mondialisation continue d’homogénéiser les niveaux de vie des pays qui commercent. La Chine peut se féliciter d’avoir rattrapé, en 30 ans, un siècle de croissance occidentale… mais cette victoire économique vient paradoxalement ternir son attrait.
L’Asie connaîtra sans nul doute une croissance économique bien supérieure à la nôtre dans les 10 prochaines années, mais la Chine ne sera plus la locomotive de la région. Pour les investisseurs qui cherchent du rendement hors des frontières européennes, intégrer cette nouvelle donne est primordial.
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C’était déjà le cas pour les produits simples. Les voitures miniatures à collectionner, autrefois fabriquées en Chine, ont vu leur production délocalisée au Bangladesh depuis plusieurs années. Ce n’était pas le fait du donneur d’ordre italien, mais du sous-traitant chinois qui fabrique les modèles.
En fait, Foxcon va en Inde parce que l’Inde a exigé qu’Apple fabrique dans ce pays pour avoir le droit d’y vendre.