Ce qui pourrait provoquer l’effondrement de notre monnaie… c’est qu’on s’en serve !
Un de mes lecteurs a récemment déclaré que « le système dans son ensemble est une SVB puissance 100 ».
Cette simplification efficace me conduit à une autre, très courte et concise : quand on a fait les QE, on a acheté à 100, voire 120, ce qui maintenant vaut 70 ; et on a émis 100, ou 120, de monnaie en conséquence. Comptablement, cette monnaie garde sa valeur, et, au niveau du système on ne peut s’en débarrasser. Pourtant, sa contrepartie s’est dévalorisée.
Donc, je propose le raccourci suivant qui est le vice existentiel des QE : « Les QE consistent à mettre du fixe sur du variable, ce qui conduit inévitablement au décalage. La crise est contenue en germe dans cette pratique. »
La racine de toutes les crises financières, c’est cela : l’application de fixe sur du variable.
Les valeurs partent, la monnaie reste
La dérégulation et le transfert des fonctions bancaires sur les marchés ont permis de tout rendre biodégradable/frivole, c’est-à-dire de transformer tout ce qui était fixe en variable au gré des esprits animaux.
C’était un progrès considérable, mais il y a une faille de taille : la monnaie et le fiduciaire restent fixes, eux. Ils ne sont pas cotés et biodégradables sur le marché ; 100 $ de billets ou 100 $ de dépôts restent 100 $, même s’ils ont été créés en contrepartie de quelque chose qui ne vaut plus rien.
Les opérations de la Fed et de ses consœurs ont consisté à retirer des mains du privé des titres, emprunts, et des fonds d’état à valeur variable puisque liée au niveau des taux d’intérêt, mais en contrepartie, elles ont émis de la monnaie qui, elle, garde sa valeur ; d’où le décalage naturel, fondamental existentiel.
Décalage qui n’attend qu’une occasion de se manifester.
C’est comme la crise de l’immobilier, qui consiste à émettre des dettes fixes sur du variable, qui est la valeur de l’immobilier. Crise qui se répète en ce moment dans le monde pour certains segments de l’immobilier.
C’est la structure même de l’expérience de John Law, qui a émis de la monnaie – fixe – sur les titres de la Compagnie du Mississipi, d’Occident, etc., qui étaient variables et surévalués.
Si la crise venait à s’amplifier et à durer, c’est-à-dire si elle produisait son « run », sa ruée logique sur les banques, alors la solution serait d’immobiliser la monnaie, c’est-à-dire de bloquer les dépôts et avoirs bancaires, de les convertir en quelque chose… comme les jetons des monnaies numériques de banques centrales (MNBC). On pourrait aussi les convertir en emprunts perpétuels obligatoires, dans une grande opération dite d’assainissement, couplée à un conflit militaire…
D’où les préparatifs en cours. Ils ne sont pas innocents.
Pour éviter la boule de neige
En résumé, la monnaie et les dépôts actuels n’ont de valeur que tant que l’on ne s’en sert pas, et qu’ils ne partent pas à la recherche de leurs contre-valeurs.
C’est le grand bluff.
Mais on ne peut pas vendre la monnaie à découvert ; toute monnaie émise doit être détenue par quelqu’un. La seule chose qu’il est possible de faire au niveau individuel, c’est de s’en servir pour acheter des biens réels, utiles, utilisables, et durables, ce qui fait monter leur prix, et donc réduit l’écart entre la valeur de la masse de papiers émis et la valeur de la masse des richesses réelles.
On retrouve ici à la fois la raison fondamentale d’acheter de l’or avec ses dépôts bancaires, mais en même temps la raison fondamentale pour laquelle l’or ne peut monter !
Les autorités sont obligées de contrôler le prix de l’or et de ne pas le laisser monter, car s’il montait, cela attirerait l’attention des foules sur la situation monétaire, sur le décalage et les phénomènes de foules s’enclencheraient ; se produirait alors la boule de neige.
Tant que les autorités essaieront de défendre le système par leurs subterfuges, l’or ne pourra monter. On ne le laissera pas monter, il ne le pourra que quand les autorités baisseront les bras ou quand les dynasties cesseront de croire que l’on peut sauver le système, et quand elles-mêmes, comme les princes du temps de John Law, demanderont de l’or en contrepartie de leurs avoirs de type monétaire.
La Chine a compris tout cela et, avec ses excédents de dollars, préfère acheter des actifs – voire des pays entiers – avec ses nouvelles routes de la soie. La Chine, avec son initiative, sort du système et préfère perdre un peu sur ces investissements plutôt que de tout perdre sur ses dollars. La Chine joue le rôle des princes du temps de John Law.
On retrouve ici l’argumentation que j’avais développée au tout début des années 1980, lorsque je participais aux réflexions sur la dérégulation financière en France, argumentation acceptée par les participants, mais écartée par pur cynisme opportuniste.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]
1 commentaire
L’utilité du capitalisme serait la baisse des prix de ce qui est produit et la production prioritaire de ce qui est le plus utile au plus grand nombre en y passant le moins de temps possible et en sacrifiant le moins possible de ressources. Pour résumer que le capitalisme soit un moyen , or il est devenu une religion, et les esprits fort qui ne veulent pas sacrifier un passereau sont insultés ou poursuivis. La majorité des fidèles les plus favorisés qui n’ont même pas conscience d’en être, a basculé dans la soumission volontaire, comme tous les portefaix-ravis salariés-consommateurs de cette religion sacrificielle. La communication financière est la version moderne des cantiques antalgiques et soporifiques de la messe du dimanche. Quand aux bulles de son pape elles s’adressent au troupeau des prêteurs-emprunteurs en les flattant comme tout puissants , là où ne sont que des dindons de la farce.