L’Espagne, en son temps, a eu une politique d’argent facile et de protectionnisme. La gueule de bois due à trop de liquidités et à la monnaie frelatée l’a frappée.
Nous avons visité un musée dans le centre-ville de Salta en Argentine.
Il est dédié à l’histoire de la ville et de la province. Il a été créé dans le bâtiment réaménagé de la mairie, sur la place principale.
Nous avions débuté la journée en assistant à la messe dans l’ancienne cathédrale, de l’autre côté de la place : un bâtiment très ornementé illustrant l’opulence de l’architecture coloniale.
La cathédrale est magnifique. C’est un bâtiment classique, cruciforme, avec une grande coupole au centre et des plafonds aux voûtes en berceau.
Derrière l’autel, dans l’abside, se trouve l’un des décors de sanctuaire les plus démesurés qu’il m’ait été donné de voir.
Il contient tant d’éléments décoratifs recouverts à la feuille d’or, étincelant, brillant et reflétant la lumière de toutes parts, qu’on en reste le souffle coupé.
« L’Amérique d’abord » ? Rappelons-nous que « l’Espagne d’abord » n’a pas très bien marché au XVIème siècle…
Salta ne nous attirait pas, a priori. Mais hier, nous avons été étonné. Après la messe, nous nous sommes arrêté boire un café à l’une des terrasses de la place.
La place, avec ses arcades – la cathédrale et la mairie de part et d’autre – est splendide. Au centre, il y a un parc avec des palmiers, de l’herbe verte et un énorme monument en granit.
Des couples s’embrassaient sur les bancs et des familles accompagnées de jeunes enfants se promenaient. A proximité, un accordéoniste aveugle a joué nos tangos préférés. Le temps était idéal.
Le musée est vaste et contient des collections dédiées à trois périodes.
La période préhispanique y est exposée, avec ses poteries, têtes de flèches et pétroglyphes remontant à quelque 1 000 ans. Une exposition est également consacrée à la période coloniale, et une autre à la Guerre d’Indépendance.
C’est la période coloniale qui nous a le plus intéressé. Dans une salle, en particulier, étaient exposés des échantillons de monnaies utilisées dans les colonies, et quelques explications étaient données sur la façon dont l’économie de cette ère avait fonctionné.
Nous avons appris des choses qui sont peut-être intéressantes.
Premièrement, l’argent falsifié est toujours source de problèmes.
Deuxièmement, le concept de « l’Espagne d’abord » n’a pas très bien fonctionné à son époque.
Resituons d’abord le contexte…
Francisco Pizarro et son armée massacrèrent 2 000 Incas lors de la bataille de Cajamarca, en 1532.
Mais sa drôle de bande d’aventuriers et de desperados ne tardèrent pas à s’entretuer, se jalousant butins, célébrités et honneurs.
Six ans plus tard, Pizarro remporta une bataille sur son ancien partenaire Diego de Almagro… à qui il infligea le supplice du garrot avant de le faire décapiter. Plus tard, les partisans d’Almagro assassinèrent Pizarro.
La meilleure façon de gérer ce bouillonnement d’énergie meurtrière consista à le canaliser par de nouvelles explorations et conquêtes. Il fallait trouver d’autres cités d’or, croyait-on… et donc, on se mit en route.
L’or « gratuit » de l’Espagne
En 1582, Salta fut fondée par le conquistador espagnol Hernando de Lerma. Les Incas avaient conquis cette région de l’Argentine actuelle environ 100 ans avant l’arrivée des Espagnols.
Au lieu de la reconquérir, les Espagnols prirent simplement le relais des Incas, faisant des habitants leurs vassaux. D’autres conquistadors prirent sans difficulté les régions formant aujourd’hui le Pérou, la Bolivie et le Chili – offrant ainsi à la couronne d’Espagne un vaste empire au sein du Nouveau Monde.
Les effets immédiats et évidents furent bénéfiques. En revanche, ce ne fut pas le cas des conséquences plus durables et moins évidentes : en particulier lorsque les Espagnols prirent des décisions politiques de type Trump.
De toute évidence, le Nouveau Monde fut littéralement une mine d’or pour la monarchie espagnole.
En échange de la libération de l’empereur inca Atahualpa, fait prisonnier, Pizarro exigea que les Incas remplissent une pièce d’environ 6,5 mètres de long sur 5 mètres de large et 2,5 mètres de haut avec de l’or et deux fois plus d’argent. Cela dura plusieurs mois.
Les Incas remplirent consciencieusement cette pièce. Pizarro fit tout de même étrangler Atahualpa.
Les premiers vaisseaux, leur ligne de flottaison s’enfonçant sous le poids des cargaisons d’or et d’argent, partirent sans tarder en direction du Trésor royal en Espagne.
L’argent gratuit, à l’image de l’amour libre et de l’alcool à volonté, c’est excitant… au début. La gueule de bois survient plus tard.
Gueule de bois monétaire
Cet or en provenance du Nouveau Monde augmenta énormément la masse monétaire du Vieux Monde. Les prix augmentèrent lentement, partout en Europe… leur niveau grimpant globalement de 500% entre 1550 et 1700.
En Espagne, cependant, les dégâts furent bien plus importants. L’argent gratuit vint enrichir encore plus de nombreuses familles comptant déjà parmi les plus riches, et bénéficiant des meilleures relations… sans qu’elles n’aient à fournir le moindre effort ou le moindre travail.
Alors qu’elles ne produisaient rien, elles avaient la possibilité d’acheter des biens et services. Les historiens de l’économie affirment que c’est ce qui a provoqué le déclin de l’Espagne, faisant du pays « le parent pauvre de l’Europe » pendant les 300 années suivantes.
Les Espagnols s’étant habitués à cet afflux d’argent frais, il leur en fallut de plus en plus pour suivre le rythme de l’augmentation des prix.
Selon le musée de Salta, cela les poussa à extraire la moindre once d’or… et, plus tard, d’argent-métal… des colonies.
Donc, bien que l’Espagne se retrouva rapidement avec trop d’argent, la ville de Salta, elle, en manqua. Cela força le gouverneur royal à faire fonctionner une économie sans argent réel. A la place, il décréta que les métaux de base – le cuivre, le fer, etc. – étaient de la « monnaie ».
La courte explication accompagnant l’exposition des pièces de monnaie coloniales en décrit les conséquences : l’argent falsifié ne pouvait fournir des informations stables et précises concernant les prix ; il ne pouvait offrir aux gens un moyen de conserver et protéger leur argent ; « il fut à l’origine d’une grande confusion et de nombreuses erreurs ».
Bref, cet argent a produit ce que le dollar américain fondé sur le crédit produit depuis les années 1970. En 1970 aux Etats-Unis, il était possible d’acheter une maison moyenne pour environ 25 000 $. A présent, elle coûte 200 000 $, soit à peu près sept fois plus.
En outre, le dollar falsifié a déformé le reste de l’économie, créé des bulles, égaré l’investissement, gaspillé des ressources et un temps précieux.
Autrement dit… rien de nouveau sous le soleil.
La politique de « l’Espagne d’abord » a aussi énormément contribué à retarder le développement économique des colonies espagnoles.
A l’époque, tout comme à présent, la monarchie et les compères pensaient qu’ils pouvaient récupérer un avantage en forçant les autres à conclure des accords soumis à leurs propres conditions. Ils voulaient conclure des accords gagnant-perdant, où ils occupaient la place du gagnant.
Ils ont donc organisé un monopole commercial avec les colonies, soigneusement contrôlé, de sorte que seule l’Espagne (et ses initiés) pouvait en tirer profit.
Là aussi, cela a provoqué des conséquences inévitables.
Le commentaire du musée nous indique que tout le commerce passait par des ports spécifiques, tels que Buenos Aires, où il était approuvé et taxé par des administrateurs royaux.
Cela provoqua des pénuries, des retards et des augmentations de prix aussi bien côté acheteur que côte vendeur. Cela contribua également à la création de tout un secteur dont le seul but était d’échapper aux réglementations.
Les navires, entrepreneurs et banquiers étrangers ne tardèrent pas à déjouer ce système en établissant leurs propres systèmes de contrebande.
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« L’Espagne d’abord » a ralenti la croissance économique des colonies espagnoles. Mais cela a probablement accéléré le développement de la flotte marchande britannique, débordante d’activité.