▪ Des sommets historiques ont été retracés par le Nasdaq 100, le DAX 30 a pratiquement doublé de valeur depuis le 9 mars 2009, le CAC 40 a retracé les 3 936, le FT 100 les 6 000 points et ce mois de décembre s’avère le plus bullish depuis 1999.
Wall Street est parti en congé avec des indices au plus haut et des T-Bonds au plus bas, sur une série de statistiques bien décevantes : consommation anémique, ventes de logements neufs en deçà des attentes, chute de 1,3% des commandes de bien durables. Cela semble avoir rassuré tout le monde puisque Paris s’était lancé dans un cavalier seul à la baisse (sous 3 900 points) sitôt connu le fort rebond des dépenses des ménages français au mois de novembre : +2,4% au lieu de +1,5% anticipé.
Oui vraiment, merci « petit robot Noël »… Nous ne pensions pas si bien dire à l’entame de cette avant-dernière semaine de l’année 2010 : les 16 précédentes séances (dont 13 de hausse pour le Nasdaq) ont été gérées par les logiciels algorithmiques de la même façon qu’un pilote automatique nous emmène de Paris à New York — de jour comme de nuit — sans que le capitaine ait besoin de garder la main sur son joystick dès que l’appareil a atteint son altitude croisière.
Les machines de la dernière génération sont toutes pourvues de commandes numériques. Les cockpits sont standardisés, une batterie de logiciels gère l’ensemble des paramètres de vol. Lorsqu’un voyant se met à clignoter, c’est qu’il se produit une anomalie… qui nécessite la mise en action d’un autre logiciel chargé d’identifier puis de sélectionner les procédures permettant un retour à la normale.
Il est bien loin le temps où le copilote ouvrait une trappe située au milieu de l’appareil muni de sa lampe frontale, d’une pince à manche isolant et d’une clé de 12 pour débloquer un train d’atterrissage récalcitrant, régler une climatisation défaillante, vérifier l’état d’une boîte de connecteurs ou inverser le flux entre deux réservoirs.
En cas de panne majeure des instruments (tous les systèmes sont redondants, ce qui élimine 98% des risques de navigation à l’aveugle), un retour aux commandes manuelles est prévu. Cela suppose de débrayer l’ensemble des systèmes informatiques qui interdisent les fausses manoeuvres… c’est-à-dire toutes celles dont l’intelligence artificielle embarquée ne comprendrait pas la finalité.
▪ Mais la transmission des instructions aux parties mécaniques de l’appareil reste de toute façon 100% numérique. Autrement dit, n’importe quel avion de ligne moderne se pilote comme un drone (mais de l’intérieur). Un « copi » qui resterait à terre pourrait tout aussi bien faire décoller et atterrir un A 380 depuis un simulateur — rien ne remplace les sensations — situé dans une salle au pied de la tour de contrôle… ou depuis un bateau bourré d’électronique, comme ceux qui contrôlent les tirs de missiles, situé au beau milieu de l’Atlantique ou du Pacifique.
Le capitaine restant à bord aurait grosso modo une seconde d’avance sur le « copi » manoeuvrant à partir de paramètres 100% virtuels, depuis la terre ferme ou en mer depuis l’équateur (à l’aplomb des satellites de télécommunication) : cela ne constitue pas un avantage « décisif ».
Mais imaginez l’ennui du « cap’tain » seul dans le cockpit durant un trajet long courrier d’une douzaine d’heures… et qui aurait perdu à pile ou face le privilège de gérer le décollage et d’être applaudi pour avoir réussi un splendide kiss (pose en douceur sur le tarmac) une fois parvenu à destination.
▪ Vous êtes certainement nombreux parmi ceux qui nous lisent à vous préparer à embarquer pour d’autres cieux durant les fêtes, ou à réserver un voyage au cours des prochains mois. Si vous emmenez avec vous un PC équipé de quelques jeux comme Flight Simulator, songez que les occupants du cockpit ont juste à leur disposition quelques écrans de plus… et des hôtesses dévouées pour leur apporter quelques rafraîchissements.
Mais globalement, avec un petit portable sur les genoux relié à l’ordinateur de bord, ils pourraient faire au joystick un boulot tout aussi efficace qu’avec les manettes et les pédales à leur disposition : simple question d’accoutumance à l’environnement « WII » version 3.0.
▪ Toutefois, même avec les meilleurs logiciels embarqués du monde, les geeks les plus doués ne peuvent rien contre des pistes verglacées, des stations de dégivrage d’avions privées de glycol, l’absence des pilotes de déneigeuses qui n’ont pu rejoindre leur poste de travail parce que les trains de banlieue ne circulaient plus… faute de conducteurs, eux-mêmes bloqués dans des embouteillages monstres.
Il y a aujourd’hui le même gouffre technologique entre l’aviation des années 80 et 2010 que dans la gestion des marchés en continu au cours du même intervalle. La bourse est intégralement numérisée et télécommandée depuis Wall Street ou la City.
Les logiciels de gestion répètent à l’infini les mêmes process, reproduisent les mêmes patterns (configurations graphiques), les quants optimisent en permanence les algorithmes, traquent sans relâche le risque… mais ils sont totalement coupés de la réalité physique par l’interface numérique.
Leur savoir-faire s’apparente à du pilotage de drone : ils se fient intégralement à leurs écrans car ils sont privés des G artificiels que génère un simulateur.
La conjoncture, l’actualité du jour est décryptée par des analyseurs sémantiques et comparée avec des modèles. Des profils de trading sont préétablis en fonction du contenu supposé des communiqués des banques centrales — d’où l’importance cruciale de chaque adverbe, de chaque locution, de chaque virgule.
▪ Combien de fois avons-nous été confrontés, ces dernières années, à des écarts indiciels de 1%, sans la moindre transaction, en moins de temps qu’il n’en faut pour lire le détail de statistiques économiques présentant des aspects contradictoires ?
Il apparait effectivement tout à fait clair qu’aucun des ordres exécutés dans les 12 ou 15 secondes (et encore, c’est bien plus rapide que cela dans la majorité des cas) suivant la publication d’une statistique bonne ou mauvaise n’a été saisi manuellement. Ils ont encore moins été mûrement réfléchis par les opérateurs qui arrachent ou massacrent les cours — et c’est tellement plus payant quand le consensus est à pris à revers !
Mais il arrive très fréquemment que rien ne se passe — de façon tellement étrange compte tenu de l’écart entre la statistique et les anticipations du marché qu’il faut également envisager que le blocage de tout décalage directionnel fait également partie des stratégies préétablies. Le but étant par exemple d’écraser la volatilité quand tout le monde mise ouvertement sur son envolée.
Si les détecteurs de vitesse et d’altitude des marchés se mettaient à givrer et que les cours décrochent comme dans un trou d’air équatorial, les pilotes de drones algorithmiques ne s’en apercevraient même pas, faute de ressenti physique. D’ailleurs, personne n’a songé à remettre les gaz le 6 mai dernier (flash krach).
Bien au contraire, leur premier réflexe fut de couper les réacteurs alors que la vitesse affichée — par erreur — dépassait la norme de volatilité admise par le constructeur.
Ils ont appliqué la procédure à la lettre : ils ont appuyé sur le bouton « auto-destruction » lorsqu’il leur est apparu qu’ils avaient effectivement perdu le contrôle du fait d’une série de réponses logicielles erronées.
Pour les pilotes de drones, c’est un simple incident technique. Personne n’a été blessé dans la salle de commande, un gobelet de café a peut-être été renversé mais ce sera épongé le temps de sortir une autre machine du hangar et de reprendre la mission comme si de rien n’était.
Le problème, c’est qu’un drone algorithmique programmé pour faire de la haute voltige (ils sont désormais des milliers à être capable de voler à Mach 10 grâce aux plate-forme ultrarapides de type Edge ou Bats) peut s’écraser sur une zone habitée et anéantir en un éclair des centaines de milliers de portefeuilles non spéculatifs qui ne bénéficient pas de la protection de supers logiciels d’arbitrage à la milliseconde.
Au début des années 80, les drones étaient encore à l’état expérimental. Au début du 21ème siècle, ils représentaient déjà une majorité de la flotte traversant le ciel boursier. Fin 2010, il ne viendrait plus à personne l’idée de mettre un pilote dans l’avion !
Et joyeux Noël à tous ceux qui se préparent à embarquer pour un vol boursier télécommandé depuis la City, Singapour ou Wall Street !