** Suite et fin de l’entretien entre Keith Fitz-Gerald, du New China Trader, et Jim Rogers, spécialiste des matières premières.
Q (Keith Fitz-Gerald) La Fed doit-elle intervenir comme elle l’a fait ces derniers mois ?
Rogers : Bernanke devrait avoir honte d’être encore assis là. Vous savez, j’ai lu le Federal Reserve Act. Il n’y est écrit nulle part que [la Banque Centrale] est censée renflouer les banques d’affaires ! Il n’y est pas écrit non plus qu’on doit renflouer Wall Street. Leur mission, c’était de garder une devise solide, puis de créer de l’emploi — d’aider l’emploi. Mais il n’est dit nulle part "renflouez les banques d’affaires".
Les banques d’affaires font faillite depuis des siècles. Nous n’en sommes pas encore à la fin du monde… même si les banques d’affaires font faillite. Elles ont seulement causé un certain recul, et alors ?
En réalité, les récessions sont bénéfiques au système. Elles nettoient le trop-plein. Et du trop-plein, croyez-moi, il y en a à Wall Street depuis ces dix dernières années. On ne croise jamais des cultivateurs de coton de 29 ans au volant de Maserati ou dans des jets privés à destination de contrées exotiques. Par contre, des gars de Wall Street…
Et l’idée que nous devons maintenant leur venir en aide est tout simplement ridicule ! Je n’ai jamais vu aucun d’eux rendre son chèque de bonus.
Les marchés de la dette ont rapporté beaucoup. Nous savons désormais que cet argent a été gagné de façon incorrecte, si ce n’est illégale, et pourtant, maintenant, nous sommes censés les renflouer. C’est déjà terrible qu’ils soient autorisés à garder leur argent. Mais le plus scandaleux, c’est que cela coûterait plus cher d’essayer d’empêcher la récession que de la traverser.
Nous avons aujourd’hui des filets de sécurité. Nous en avions aux Etats-Unis dans les années 1970, et les Japonais en avaient dans les années 1990. Il y a des preuves irréfutables qui indiquent que cela coûterait plus cher d’essayer d’éviter les problèmes que de les affronter.
Q : C’est une réflexion intéressante, je n’y avais jamais pensé.
Rogers : Et bien, nous verrons si ça se vérifie. Dans la nature, il existe un phénomène naturel, les feux de forêt. Ce sont des choses terribles. Mais la nature les a inventés pour nettoyer les forêts et leur permettre de repousser sur de nouvelles fondations, plus solides. C’est aussi ce que font les récessions, c’est un phénomène naturel.
Personne n’aime les récessions, tout comme personne n’aime les feux de forêt. Mais au final, tout le monde se sent mieux. Bernanke pense qu’il peut stopper ça ; mais il va détruire le système en essayant de le sauver.
Q : Pensez vous qu’une partie du système financier puisse y survivre ? Ou pensez-vous que les changements seront tellement importants que nous n’y verrons clair que dans quelques années ?
Rogers : Reposez-moi cette question dans cinq ans, dans 10 ans. C’était sans doute vrai dans les années 1930. C’était même vrai après les années 1960. Très peu de gens se sont intéressés à la finance dans les années 1970, très peu. Toute une génération a ignoré la bourse dans les années 1930 et 1970.
Est-ce que cela va se reproduire ? Probablement, pour toutes les raisons dont nous avons parlé.
Il y aura donc de gros changements, c’est sûr. Si vous êtes dans le secteur qui s’occupe des faillites et qui les règle, vous avez un bel avenir devant vous — à Wall Street ou dans le domaine légal. Si vous êtes dans les matières premières, vous avez un bel avenir. Certains secteurs de la communauté financière vont bien s’en sortir. Beaucoup d’autres vont disparaître ou au moins traverser de graves difficultés.
Q : Jusqu’où le dollar peut-il baisser ?
Rogers : Je n’en ai aucune idée. Il faut que je le regarde évoluer. Les politiques et les bureaucrates peuvent faire des choses terriblement idiotes, ils l’ont prouvé au cours de l’histoire.
Ils peuvent même faire des choses tellement idiotes que personne n’y croit. Et on doit se contenter de les regarder faire.