Que la banque centrale ait un objectif d’inflation n’est pas anodin : cela détermine sa politique, et a donc une influence sur la santé de la monnaie, celle l’économie, ainsi que celle de votre épargne.
Nous avons vu hier que la Fed avait progressivement remplacé, ces dernières décennies, sa politique monétaire « conventionnelle » par des politiques « non conventionnelles ». Au centre des nouvelles politiques se trouve l’objectif de 2% d’inflation annuelle, qui a remplacé l’observation de la base monétaire comme indicateur principal déterminant l’action de la Fed.
Nous nous demandions par ailleurs quel effet cet objectif d’inflation pouvait avoir sur les cycles d’expansion et de récession ainsi que sur le niveau de prospérité économique.
En pratique, cet objectif a ouvert la voie à une expansion massive de la masse monétaire en circulation, politique destinée à soutenir la hausse des prix jusqu’à atteindre l’objectif de 2%. Pourtant, la Fed n’a cessé d’échouer à atteindre cet objectif de 2% au cours de la décennie qui a suivi la crise financière.
Cela s’explique en partie par le fait que, au cours de cette période, de nombreuses forces désinflationnistes étaient à l’œuvre. Brendan Brown précise :
« En tentant d’atteindre leur objectif d’une d’inflation annuelle de 2%, les banquiers centraux et leurs maîtres politiques ont dû faire face à de nombreuses déconvenues. Les prix avaient naturellement tendance à baisser en raison du processus rapide de mondialisation et de numérisation. Les banquiers centraux ont cherché à contrer cette tendance naturelle et à faire monter les prix de manière durable.
Ils se sont heurtés à une multitude d’obstacles […]. Ils ont alors redoublé d’efforts, développant de nouveaux outils monétaires non conventionnels conçus pour accroître l’efficacité de leurs politiques visant à raviver l’inflation. »
Tout cela reste cependant une expérience sans précédent, couplant une augmentation massive de la masse monétaire avec l’utilisation de nouveaux outils de politique monétaire qui n’ont guère fait leurs preuves jusqu’à présent. Ainsi, M. Brown nous met en garde :
« Ces outils ont entraîné de graves effets secondaires. En particulier, ils ont détruit les mécanismes de signaux de marché que constituent les taux d’intérêt à long terme et qui sont essentiels au bon fonctionnement d’une économie capitaliste. Bien qu’il soit encore trop tôt pour savoir quel sera à terme le coût de ces dysfonctionnements, il y a déjà des indications que les conséquences seront graves. »
Des prix de marché faussés
Les conséquences sont effectivement sérieuses, étant donné que nous sommes maintenant dans un monde où les taux à court terme sont fortement influencés par le niveau du d’intérêt appliqué par la Fed sur les réserves excédentaires des banques.
Dans le même temps, les taux à long terme sont manipulés au travers des programmes d’achats d’actifs de la Fed. Le mécanisme de fixation des taux d’intérêt s’étant ainsi encore davantage éloigné du celui d’un marché, les « mécanismes de signalisation » ne fonctionnent plus et les entrepreneurs interprètent à tort la faiblesse des taux d’intérêt comme un signal les encourageant à allouer davantage de capitaux dans des projets d’investissement à plus long terme.
Cela a pour conséquence de réduire les investissements à plus court terme dans l’offre de produits de consommation, tandis que l’augmentation de la masse monétaire encourage simultanément un accroissement des dépenses des consommateurs. Il n’est donc pas surprenant qu’une accélération de l’inflation des prix des biens de consommation s’ensuive.
Bien entendu, c’est exactement ce que veulent les banquiers centraux dans leur quête d’une inflation de 2% par an et, pour eux, la multiplication de faux signaux sur le marché des taux d’intérêt ne signifie rien d’autre que « mission accomplie ».
Comme l’indique Brown, ces « dysfonctionnements » ont toutefois un prix, puisque les taux d’intérêt maintenus artificiellement bas ont conduit à de nombreux mauvais investissements qui se termineront par des faillites.
Les économistes de la Fed sont probablement conscients des risques, mais les enjeux politiques empêcheront probablement de trouver une issue. Il y a au moins deux raisons à cela.
La première concerne les anticipations. Il est aujourd’hui généralement présumé que tout signe de « déflation » ou de détérioration de l’économie déclenchera des mesures de relance encore plus fortes. Comme le note M. Brown :
« Dans le monde étrange et déstabilisant de la norme internationale d’inflation de 2%, tout le monde présume que les banques centrales assoupliront leurs politiques monétaires (ce qui implique une baisse des taux d’intérêt réels à court et moyen terme) en réaction à tout repli de l’inflation en dessous de leur objectif de 2%. Les conséquences pourraient bien être une nouvelle accélération de l’inflation des prix des actifs, comme celle à laquelle nous avons assisté en 2017. »
Cette hypothèse est désormais intégrée dans la perception par Wall Street du comportement de la banque centrale. Une incapacité de la Fed à intervenir tel qu’anticipé entraînerait probablement une chute des marchés boursiers et peu de politiciens en poste actuellement voudraient voir cela se produire.
La quête des taux d’intérêt négatifs
Mais le problème le plus important réside probablement dans le fait que la Fed cherche désespérément à faire remonter le taux d’inflation afin de disposer d’une marge de manœuvre en cas de nouvelle récession ou de crise financière.
En l’état actuel des choses, les taux d’intérêt réels et nominaux sont trop proches de zéro pour que la Fed puisse les faire baisser de manière significative – dans le cas où elle voudrait amorcer un nouveau programme de relance. En d’autres termes, la Fed veut être en mesure de faire baisser les taux de manière importante afin de stimuler l’économie si nécessaire, mais les taux nominaux ne peuvent pas être abaissés fortement en dessous de zéro.
En revanche, si la Fed parvient à porter le taux d’inflation (et les anticipations d’inflation) à 2% ou plus, elle pourra alors faire baisser les taux d’intérêt réels bien plus bas que zéro. [1]
Brown sait parfaitement où tout cela nous mène. En fait, nous y sommes déjà. L’un des problèmes majeurs qui se pose est la faiblesse des revenus issus des intérêts générés par les placements et la chasse au rendement qui implique de prendre de plus en plus de risques. Il en résulte une fragilisation du système financier.
Parmi les autres problèmes qui se posent, nous pouvons citer l’accumulation de mauvais investissements et l’incapacité des investisseurs ordinaires à épargner et à investir de manière fructueuse. L’augmentation des inégalités, la multiplication des défauts de paiement et le ralentissement de la croissance économique sont autant de conséquences auxquelles nous devons nous attendre.
Heureusement, Brown ne se contente pas d’exposer le problème. Il propose un plan pour un retour progressif à une relative normalité. Pour lui, l’étalon-or constitue la solution idéale.
A défaut de mettre en place cette solution, il envisage également plusieurs autres alternatives qui garantiraient une monnaie relativement saine et stable, contrairement aux expériences monétaires de plus en plus farfelues auxquelles nous assistons aujourd’hui.
Brown est tout simplement un homme pragmatique qui connaît parfaitement les rouages des marchés financiers. Son livre serait un ajout très utile à la liste de lecture de tous ceux qui souhaitent comprendre en détail les différents aspects de la politique monétaire et le monde dangereux que la Fed a construit.
Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais
[1] Si vous souhaitez approfondir ce sujet, je vous recommande l’interview qu’a donnée récemment Bob Murphy dans The Austrian (NDLR : en anglais, contrairement à cet extrait que nous traduisons) :
« Je suis d’accord pour dire que les taux d’intérêt ultra bas ne sont pas bénins et n’ont rien fait de bon, ils posent un véritable problème. Ceux qui partagent le point de vue de Yellen ou de Paul Krugman affirment que »on peut aller plus loin et réduire les taux d’intérêt quasiment à 0% puis nous engager dans un programme d’assouplissement quantitatif et ainsi essayer d’augmenter les anticipations d’inflation future. »
Et l’objectif de ces politiques est de réduire les taux d’intérêt réels. Donc, en fait, ce qu’ils sont en train de dire, c’est qu’une fois que le taux d’intérêt nominal a été ramené à zéro (et effectivement, ils pourraient même les pousser en territoire légèrement négatif, mais ils ne pourraient pas aller à -10% en termes de taux nominal, car même les fonds de placement monétaires prendraient la décision de ne détenir que de l’argent liquide), comment peut-on réduire encore davantage les taux d’intérêt réels ?
Pour cela, il faut faire en sorte que les anticipations d’inflation future soient revues à la hausse, de telle sorte que même un taux d’intérêt nominal de 0% soit équivalent à un taux réel de -10%. Mais lorsqu’ils tiennent ce type de discours, il faut comprendre que leur raisonnement est fondé sur les principes keynésiens. Ils pensent qu’il est désirable de pousser les gens à consommer davantage ou à investir immédiatement et que, pour cela, le meilleur levier consiste à faire baisser les taux d’intérêt réels. »