▪ Nous ne connaissons pas dans le détail l’intégralité des déclarations de Ben Bernanke devant le « Economic Club of Indiana ». Mais nous avons pu très vite constater que Wall Street ne réagissait pas positivement à l’intervention du patron devant un parterre de journalistes et de parlementaires.
Répondant à une question d’un sénateur du Tennessee, il a une fois de plus défendu la mise en oeuvre d’un QE3 illimité au nom de l’emploi. Au passage, il a démenti qu’il s’agisse d’une stratégie pour offrir plus de capacité d’endettement à l’Etat fédéral — mais qui oserait insinuer une telle horreur ?
Balayant les objections concernant la transmission inflationniste d’une surabondance de liquidité vers les matières premières, il réaffirme sa conviction que la hausse des prix demeurera sous contrôle.
Peut-être les statisticiens de la Fed ont-ils effectué des milliers de simulations pour parvenir à cette conclusion. En revanche, 90% de la population américaine sont bien convaincus que si les calculs tombent juste, c’est que les prémisses sont fausses.
▪ La jauge de l’inflation est-elle truquée ?
A commencer par la jauge de l’inflation, laquelle a été expurgée au fil des ans de toutes ses composantes volatiles. Là où ce n’était pas possible, les truqueurs de chiffres ont introduit des biais complexes — les « variations corrigées des données saisonnières » par exemple — cela permet d’en atténuer les effets. Ils ont également ajoutés quelques variables structurellement déflationnistes comme la performance des outils informatiques, les équipements des véhicules, toujours plus nombreux et plus performants pour un prix toujours moindre.
L’outil de calcul a été profondément remanié en 1980 (avec l’arrivée de Ronald Reagan), une autre fois en 1990, puis une troisième et dernière fois en 1994 avec la célèbre exclusion des prix alimentaires et de l’énergie de l’indice central, encore appelé core rate.
Certains économistes qui semblent douter de tout et qui ont du temps à perdre ont recalculé ce que serait l’inflation de 2012 avec le panel de biens et services de 1980. Ils ont obtenu le taux astronomique de 9% en rythme annuel !
Avec le panel statistique de 1990 à 1994 (en vigueur depuis 18 ans), l’inflation 2012 tournerait autour de 5%. Nous sommes parfaitement d’accord que l’informatique a révolutionné la performance de nombreux pans d’activité économique — la productivité des entreprises n’a jamais été aussi élevée ; certaines composantes de prix des années 80 ont tout simplement disparu aujourd’hui.
Mais la non prise en compte de données cruciales concernant l’immobilier (coût de la construction, loyers, coût du crédit non grade et subprime) a permis la constitution d’une bulle que la Fed prétend n’avoir jamais été en mesure d’identifier compte tenu des éléments dont elle disposait.
▪ Pour une politique monétaire ultra-laxiste, Ben Bernanke plaide non coupable
Ben Bernanke continue aujourd’hui de nier qu’il y ait pu y avoir un lien direct entre sa politique monétaire ultra-laxiste — ou celle de son mentor Alan Greenspan — et l’explosion des prix de l’immobilier entre 2003 et 2007. La faute en revient à un manque de régulation de l’activité des organismes de crédit… enfin de ceux qui n’étaient pas sous le radar de la Fed, comme les célèbres monoliners qui fournissaient des assurances fantômes (CDS) contre le risque de défaut des dérivés de créances immobilières.
Tout le monde sait bien que pour des Bear Stearns, des Merrill Lynch, des Citigroup, Ben Bernanke n’a jamais rien trouvé à redire et traite depuis le début de la crise ces établissements comme des victimes. Sauf — tout le monde s’en souvient — Lehman Brothers qui fut sacrifié pour l’exemple, une semaine avant le sauvetage massif d’AIG et l’octroi du statut bancaire à Goldman Sachs (ce qui lui donnait libre accès aux guichets de la Fed).
▪ Wall Street en joie en raison de l’ISM manufacturier américain
Pour en revenir au déplacement de Ben Bernanke à Indianapolis, il continue de prendre ses auditeurs pour des idiots avec son inflation sous contrôle et ses centaines de milliards créateurs d’emplois… mais il semble avoir oublié d’inventer un nouveau mensonge car Wall Street est resté sur sa faim. Le Nasdaq clôturait en repli de 0,1%, le S&P grappillait 0,25% (contre 1% vers 17h30). En revanche, le Dow Jones continuait de surperformer avec 0,6%.
Si les trois indices américains ont pu afficher jusqu’à 1%, ils le devaient aux bons chiffres publiés dans l’après-midi aux Etats-Unis.
En fait, il s’agit d’un seul bon chiffre, mais les experts l’ont analysé au travers de plusieurs de ses composantes. En tout cas, il a suffi à éclipser une série de mauvaises statistiques macro-économiques dévoilées lundi matin, d’abord en Asie puis en Europe.
L’ISM manufacturier américain (puisqu’il s’agit de lui) a refranchi le seuil technique des 50 — à 51,5 contre 49,8 début septembre — et la production industrielle a rebondi de 47,2 vers 49,5.
Nous avons été surpris (comme beaucoup d’analystes) par cette performance inespérée de l’industrie américaine. Elle contredit totalement la chute du PMI de Chicago au cours de la même période, ainsi que l’effondrement historique (de -13%) des commandes de biens durables du mois d’août.
Par ailleurs, les dépenses de construction pour août sont ressorties en baisse de 0,6% (le consensus visait une progression de 0,5%). Ce second chiffre a été totalement occulté et personne ne s’est donné la peine de la commenter.
▪ Les chiffres affichent repli sur repli
Ce sont en fait tous les autres chiffres publiés ce lundi qui ont été occultés. L’indice PMI des acheteurs de l’industrie manufacturière française se replie de 46 en août vers 42,7 en septembre, son plus bas niveau depuis avril 2009, et signale donc une forte détérioration de la conjoncture dans le secteur.
Les ventes d’automobiles en France continuent de se contracter (-13% au mois de septembre) avec toutefois de fortes disparités entre constructeurs. Une fois encore, le haut de gamme ne connaît pas la crise.
Dans la Zone euro, l’indice PMI manufacturier a rebondi à 46,1 en septembre, contre 45,1 en août, mais il demeure très en-dessous de la barre des 50 points. Ceci traduit une poursuite de la contraction de l’activité… même si elle est moins pire que prévue. Enfin, le taux de chômage dans la Zone euro s’est élevé à 11,4% en août 2012 ; il demeure au contact de ses records absolus depuis 15 ans.
Les derniers chiffres en provenance de Chine traduisent pour leur part un net ralentissement dans le secteur manufacturier (le PMI reste ancré sous les 50, à 49,8 contre 49,2 le mois dernier).
Le patronat japonais revoit à la baisse ses estimations de production pour le troisième trimestre — après trois mois de repli consécutif cet été — d’après le rapport Tankan publié la nuit dernière.
▪ Que de mauvaises nouvelles mais la Zone euro s’obstine à rester dans le vert
Rien de tout ce qui précède ne saurait préoccuper Wall Street ni infléchir les prévisions de croissance et de profit des multinationales. Si l’activité se contracte, elles continueront de fermer des usines (comme Arcelor Mittal)… de tailler dans leurs effectifs (comme Bank of America, Pfizer et des milliers d’autres)… de réaliser des économies d’échelles en fusionnant (comme Glencore/XStrata en fournit un exemple à plusieurs dizaines de milliards de francs suisses).
Aucune fusion, aucune bonne nouvelle à l’horizon mais Paris s’impose en tête du peloton européen avec un gain de 2,39% à 3 435 points tandis que l’Euro-Stoxx 50 affichait 1,8%, dans le sillage de Paris et de Milan (2,8%).
Dès le début de la matinée, Paris avait bénéficié de rachats à bon compte après le plongeon de 5% de la semaine passée ainsi que d’achats techniques en cette première séance du quatrième trimestre 2012. Il reste toutefois difficile de parler d’achats de conviction, surtout avec un volume d’affaires ne dépassant pas 2,5 milliards d’euros à 17h30, malgré une volatilité de 90 points en séance (entre 3 348 et 3 438 points).
Cette séance de lundi a peut-être procuré une nouvelle porte de sortie aux acheteurs de la mi-juillet ou de fin août. Les cours de vente étaient d’autant plus attractifs lundi soir que l’effet ISM a été parfaitement orchestré, les opérateurs se préoccupant davantage de ne pas « rater le train de la hausse » que de vérifier si la locomotive disposait encore de carburant.
Cet éclair de croissance aux Etats-Unis au milieu d’un crépuscule récessionniste mondial nous apparaît presque surnaturel, un peu comme le dernier flash d’une ampoule dont le filament vient de se briser…