La demande de pétrole varie avec les saisons et les cycles économiques, et affecte ainsi le prix de l’essence. Elle détermine aussi la meilleure saison pour remplir sa cuve à fioul…
Après notre petite histoire du marché du pétrole et notre analyse de l’offre de pétrole, poursuivons aujourd’hui l’analyse sur l’or noir avec un zoom sur la demande, et sur le cycle économique du pétrole.
Comment se caractérise la demande de pétrole ?
Nous remplissons le réservoir de notre voiture et notre cuve à fioul plus ou moins quel que soit le prix. Il en va de même pour l’utilisation du pétrole dans le secteur industriel, quoi que dans une moindre mesure.
En termes d’économiste, on dit que la demande de pétrole est très inélastique par rapport au prix. Il faudrait en effet que le prix des carburants pour voiture augmente dans d’énormes proportions pour que les conducteurs qui en ont la possibilité substituent les transports en commun à la voiture.
Par ailleurs, le pétrole ne fait pas l’objet d’une demande de réservation qui vient atténuer les fluctuations de son cours, comme c’est par exemple le cas de l’or : les stocks stratégiques des Etats sont relativement faibles.
Par exemple, aux Etats-Unis, qui consommaient en 2021 environ 20 million de barils par jour, les stocks étaient récemment descendus à moins de 40 jours de réserve. Cependant, même si ces réserves stratégiques étaient rétablies à leur niveau de 2010, elles ne suffiraient pas pour répondre seules à la demande du pays pendant 80 jours.
Réserves stratégiques de pétrole brut des Etats-Unis (en millions de barils)
Le cours du pétrole fait également l’objet de variations saisonnières.
Quand faut-il remplir votre cuve à fioul ?
A votre avis, quel mois de l’année est-il en général plus avantageux de faire des stocks d’essence ou fioul ? Si comme moi vous pensiez « été », alors vous avez tout faux !
En effet, ce n’est pas tant l’utilisation des dérivés du pétrole pour le chauffage hivernal qui influence la demande que, d’un côté, les carburants qui viennent remplir les réservoirs de nos différents véhicules lors des vacances printanières ou estivales, et, de l’autre, l’accroissement de l’activité agricole et logistique durant le plus chaud semestre de l’année dans les pays développés.
En moyenne, sur la période 1983-2017, « les prix du pétrole Brent et WTI [NDLR : Le WTI désigne la référence américaine et le Brent la référence européenne et mondiale] ont eu tendance à enregistrer des performances anormalement positives durant les mois de mars, avril et août, et des performances anormalement négatives pendant les mois d’octobre et novembre », comme indiqué dans un article de recherche publié en 2018 dans le Journal of International Studies.
Ce résultat peut être vérifié par exemple sur le site Seasonal Charts sur la période 1982-2012 :
Il est donc en principe plus avantageux d’attendre octobre ou novembre pour recharger vos stocks d’essence et de fioul.
Cependant, cette généralité statistique se heurte parfois au mur de la réalité empirique. D’une part, le cours du pétrole est à la merci des aléas géopolitiques. Mais il ne faut pas oublier que des risques existent également en France, comme on a pu le constater avec les grèves chez TotalEnergies au mois d’octobre, qui ont conduit à des problèmes d’approvisionnement et se sont soldées par une pénurie de carburants.
Bref, combinez cette demande inélastique, dépourvue de stocks élevés et assez saisonnière à une offre qui est à la merci du jeu politique, et vous comprenez mieux pourquoi il est très difficile d’anticiper les fluctuations à court et moyen termes du cours du pétrole.
A long terme cependant, les choses sont censées être différentes.
A long terme, le cours du pétrole est censé être cyclique
Le cours du pétrole est en principe cyclique, et ce pour au moins 2 raisons.
Tout d’abord, « dans le passé, les prix du pétrole et du gaz naturel suivaient le cycle économique mondial, en suivant la demande mondiale d’énergie », comme l’indique Natixis dans une note du 26 septembre 2022. En attestent ces quatre graphiques :
Comme le relève Patrick Artus :
« Cette réaction des prix de l’énergie au cycle économique est stabilisante, puisque l’inflation reculait fortement dans ces ralentissements économiques provoqués par la réaction de la politique monétaire à l’inflation. »
C’est ce qui explique que le cours du pétrole ait une corrélation faible voire négative avec les obligations souveraines, puisque l’ « or noir » a tendance à monter en période de hausse des taux d’intérêt.
Cours du pétrole (WTI) et taux américains à 10 ans
La seconde raison est que « L’extraction de matières premières est une activité extrêmement cyclique, caractérisée par un cycle d’investissement à long terme », comme le rappellent Stöferle et Valek (S&V) dans leur rapport In Gold We Trust 2022.
Il s’agit d’une caractéristique classique des industries d’exploitation du sous-sol terrestre, comme j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer au sujet de l’argent métal. Voici comment les deux Autrichiens décrivent le mécanisme à l’œuvre :
« Des marchés de l’énergie tendus entraînent une hausse des prix, et les entreprises génèrent alors des bénéfices supérieurs à la moyenne et attirent les capitaux des investisseurs. Le marché récompense la croissance et incite les entreprises à utiliser leur nouveau capital pour forer de nouveaux puits ou développer de nouvelles mines. L’offre commence à augmenter et finit par dépasser la demande.
Le cycle s’inverse lorsque les prix des ressources chutent, la rentabilité des entreprises s’effondre, le cours des actions baisse et les capitaux fuient le secteur. Au fil du temps, l’épuisement se produit, l’offre diminue inexorablement et le cycle se répète. Toute perturbation de ce cycle soigneusement chorégraphié a des conséquences. »
Un point sur lequel nous aurons l’occasion de revenir lorsque je vous parlerai transition énergétique.
A long terme, le cours du pétrole est donc censé être cyclique… mais cela pourrait bientôt ne plus être le cas, comme nous verrons dans un prochain billet !